Comment l’Allemagne a géré l’accueil d’un million de réfugiés
Article paru sur le site du journal l’Express le 21/09/2017 par Catherine Gouëset
Comment l’Allemagne s’y est-elle pris pour accueillir, sans drame, un million de candidats à l’asile depuis 2015? Pourquoi le sujet n’est pas au coeur de la campagne électorale? Explications.
« On y arrivera », avait promis Angela Merkel en 2015 en ouvrant les frontières de l’Allemagne aux réfugiés en provenance des Balkans, en septembre 2015. Depuis cette date, le pays a accueilli un million de personnes, un record. Et le sujet n’a même pas alimenté la campagne électorale pour les législatives du 24 septembre.
Les premiers mois ont pourtant été chaotiques, avec des familles hébergées dans des gymnases bien plus longtemps que prévu. Mais le gouvernement d’Angela Merkel a fait preuve de volontarisme. L’Etat fédéral a dépensé 20 millions en 2016, soit 4,2% de hausse des dépenses publiques -avec un effet bénéfique sur la croissance- qui ont servi notamment à l’hébergement et à la formation de ces nouveaux arrivants.
L’Etat fédéral a organisé l’accueil des réfugiés en accord avec les Länder, selon une clé de répartition basée sur le revenu et la population, de sorte que les Etats pauvres et peu peuplés reçoivent moins de demandeurs d’asile que les plus riches.
L’accent mis sur l’intégration
Désormais, la plupart d’entre eux ont quitté les logements d’urgence, constate le Spiegel. Pour autant, leur installation dans des quartiers périphériques pourrait freiner leur intégration, souligne le quotidien. Conscient que la plupart d’entre eux sont là pour rester, l’Etat fédéral redouble d’efforts pour faciliter cette intégration.
« L’Allemagne ne veut pas faire la même erreur qu’avec les travailleurs immigrés des années 1960, les Gastarbeiters » [‘travailleurs invités’], explique Nele Wissman, chercheure associée au Comité d’études des relations franco-allemandes Cerfa (Ifri): considérant qu’ils n’étaient que de passage, l’Allemagne n’avait pas fait d’effort pour les intégrer.
Cours de langue et ateliers d’intégration – histoire de l’Allemagne, notions d’éducation civique- ont été offerts aux nouveaux arrivants. Plusieurs centaines d’enseignants ont aussi été recrutés pour donner des rudiments d’allemand aux enfants avant qu’ils ne rejoignent les autres classes.
L’implication de la société civile
Le succès de l’accueil de ces réfugiés doit beaucoup à la très forte implication de la société civile. « En 2015 et 2016, on a compté 50 000 projets locaux à l’initiative de bénévoles: qui pour distribuer des vêtements, qui pour aider les nouveaux venus dans leurs démarches administratives ou les initier à l’allemand », observe Thomas Faist, spécialiste des migrations à l’université de Bielefeld. « L’arrivée de réfugiés en provenance des Balkans dans les années 1990 n’avait pas provoqué une telle réponse de la société civile », note le sociologue.
Cette forte réaction citoyenne a eu un double effet, selon lui: « Outre l’aide apportée aux collectivités locales, elle a aussi empêché que le discours de rejet ne prenne de l’ampleur. Jusqu’à présent, cet état d’esprit perdure dans une grande majorité de l’opinion, et même les attaques terroristes de Berlin (décembre 2016) ou de Hambourg, cet été, n’ont pas retourné les Allemands contre les demandeurs d’asile.
La gestion locale au cœur du dispositif
Autre clé de cette réussite, l’ancrage de la gestion au plus près en Allemagne. La prise en charge de l’accueil des réfugiés étant de leur ressort, les collectivités locales se sont efforcées de réduire les délais d’accès aux cours d’allemand ou au droit de postuler à un stage ou un emploi. « Plusieurs villes ont pris exemple sur Wuppertal (Rhénanie du Nord), pionnière dans la création de réseaux liant les services sociaux municipaux, les job centers et les ONG, explique Claudia Walther qui étudie le management local de l’accueil des réfugiés pour la fondation Bertelsmann. Wuppertal a notamment ouvert un lieu d’accueil unique afin d’éviter que les réfugiés n’aient à multiplier des démarches. »
Pallier la pénurie de mains d’oeuvre liée à la crise démographique allemande a été un des moteurs de la participation des entreprises à l’accueil des migrants. Mais elles ont surestimé le niveau de qualification des réfugiés. Seuls 32% ont un niveau d’éducation secondaire, indique le Spiegel. « Un quart à un tiers seulement des nouveaux venus entreront sur le marché du travail dans les cinq prochaines années, a déclaré au Financial Times la commissaire à l’intégration.
L’Allemagne qui dit non
La bienveillance de la majorité des Allemands aurait sans doute fait défaut dans un contexte économique moins favorable, nuance toutefois Thomas Faist. Sans surprise, c’est dans les régions confrontées à la désindustrialisation, tel le Mecklembourg-Poméranie-Occidentale, où le taux de chômage est trois fois plus élevé que dans le reste du pays, que le parti populiste AfD a depuis connu ses meilleurs scores. Aujourd’hui, l’Alternative für Deutschland est représentée dans 13 des 16 parlements régionaux et devrait entrer pour la première fois au Bundestag, avec environ 10% d’intentions de votes.
L’ex-Allemagne de l’Est, qui a reçu le plus petit nombre de réfugiés, est le territoire où le rejet est le plus patent. « Le meilleur scénario, c’est que les gens ne me parlent pas du tout », raconte à la Deutsche Welle, Tasneem, native d’Alep. A Wismar, sur les bords de la Baltique, « quand quelqu’un m’adresse la parole, c’est pour me dire des mots que je n’ose pas vous répéter ». Cette attitude a poussé les trois quarts des 19 000 réfugiés arrivés dans le Mecklembourg en 2015 à fuir vers d’autres Etats. La Syrienne de 19 ans ne peut en faire autant: la loi sur l’intégration votée en 2016 oblige les réfugiés à rester trois ans dans le Land où ils ont été assignés, sauf s’ils ont trouvé un emploi.
La porte refermée
Dès le premier semestre 2016, Angela Merkel a mis fin à l’arrivée massive de réfugiés, consciente de la réticence des partenaires chrétiens sociaux de sa coalition face à sa politique d’ouverture. Le gouvernement a aussi requalifié certains Etats comme « sûrs ». Leurs ressortissants ne peuvent plus prétendre à l’asile. C’est le cas de dizaines de milliers d’Afghans qui doivent être expulsés. Le regroupement familial est suspendu et un tiers des candidats à l’asile ne bénéficient que de la protection subsidiaire. Si la guerre cesse dans leur pays, ils seront renvoyés.
Pour l’heure, à l’exception de l’AfD, les partis ont préféré éluder le débat sur l’immigration. Principal challenger d’Angela Merkel, Martin Schulz (SPD) a lui-même dit que la campagne n’était pas le cadre propice pour débattre de l’intégration des réfugiés. En partie par crainte de donner de l’oxygène aux populistes, mais aussi parce que le SPD partage le pouvoir dans la grande coalition et porte donc lui aussi la responsabilité de cette gestion. Pour sa part, l’AfD accuse les grands partis de cacher le problème. Les électeurs trancheront le 24 septembre.
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