José Benavente, le pilote humanitaire qui apporte sa goutte d’eau à l’océan

Article publié sur le site du journal Le Temps le 10/05/2019 par Adrià Budry Carbó

Cet ancien du CICR a investi ses économies et celles d’un ami dans l’achat d’un petit avion monomoteur. A bord de son appareil, il survole la Méditerranée à la recherche d’embarcations de migrants en détresse. 

Souvenir de reportage. Sur l’Aquarius, en cette matinée du 2 mai 2018, la nouvelle se répand comme une traînée d’enthousiasme. A l’occasion de sa première mission, le Colibri doit survoler dans la journée le navire humanitaire, qui se trouve paralysé en haute mer depuis dix jours. C’est l’avion de l’ONG Pilotes volontaires qui patrouille en Méditerranée à la recherche d’embarcations de migrants en détresse. Le support aérien rêvé pour les sauveteurs et le personnel médical de l’Aquarius.

José Benavente s’en souvient lui aussi très bien, de cette journée. Bloqué une semaine par les autorités maltaises, c’est lui qui devait être dans le cockpit du Colibri, accompagné de l’autre cofondateur de Pilotes volontaires, Benoît Micolon. Un an s’est écoulé, l’Aquarius a été définitivement immobilisé par les autorités européennes. Mais l’avion patrouille toujours au-dessus des côtes libyennes. A 2000 pieds, sur une zone de 150 kilomètres de long et 50 kilomètres de large.

Une goutte d’eau dans l’océan

«On y attend votre retour avec impatience», répète José Benavente à la représentante de l’ONG SOS Méditerranée, qui affrétait l’Aquarius avec Médecins sans frontières. Invités à s’exprimer dans le cadre d’une conférence onusienne sur les migrations et la solidarité internationale, ils étaient tous deux de passage fin avril au Palais des Nations, à Genève.

Ancien collaborateur du CICR, le natif de Lyon a puisé dans ses économies pour se payer un petit avion de tourisme. Cent trente mille euros, une aubaine pour ce monomoteur à piston qui pèse à peine 750 kilos en vol; ses trois passagers (deux pilotes et un observateur) et son matériel de reconnaissance inclus. Coût: de 1000 à 1500 euros par jour d’opération, financé essentiellement par des donations.

Le Colibri porte bien son nom. Selon la légende, c’est l’oiseau-mouche qui a tenté d’éteindre un incendie en transportant des gouttes d’eau dans son minuscule bec. Infatigable, José Benavente ne se lasse jamais de faire sa part: 38 vols, 45 embarcations repérées et 4000 migrants sauvés là où «95% des bateaux ont vocation à aller nulle part», résume-t-il. Alors qu’il ne reste plus que trois bateaux humanitaires en Méditerranée, le pilote ne se lasse pas de répéter: «Sans utilisation des moyens aériens, la probabilité de retrouver ces bateaux est très faible.» Chaque jour, six personnes trouvent la mort en tentant de traverser la Méditerranée. Sans compter ceux que l’on ne retrouve jamais.Il continue, lui, à y croire, malgré les obstacles. Ceux qui sont d’ordre pratique et logistique, puisque «en théorie, on ne vole pas de six à huit heures au-dessus de la mer dans un monomoteur à piston». Mais aussi, les entraves administratives et politiques qui ont tendance à s’entremêler. «Qu’est-ce qui peut empêcher deux citoyens de voler pour observer la mer?» balaie-t-il en haussant les épaules.

Parmi les aberrations, celle vécue par le Diciotto cet été. La vedette des garde-côtes italiens n’avait pas été autorisée à rejoindre sa propre base parce qu’elle avait sauvé 67 migrants en mer. «Il y a une volonté de tout faire pour décourager les gens d’intervenir. Y compris les bateaux de la marine marchande, critique l’humanitaire. Je n’ose même pas imaginer leur état d’esprit. Les gens de la mer ont des valeurs. Il y en a qui doivent avoir du mal à trouver le sommeil.»

Exilés de l’Espagne franquiste

Ses valeurs à lui, ce sont celles du quartier lyonnais de Vénissieux, dont il revendique fièrement les origines «parce qu’on en a beaucoup parlé en mauvais termes». C’est là qu’il a appris l’humanitaire et son premier métier d’hydraulicien, à l’Institut Bioforce. C’est aussi là qu’a débarqué son père, après avoir raté un train qui devait l’emmener vers le port de Marseille où l’attendait son billet pour l’Argentine.

Car l’histoire de José Benavente est aussi marquée par l’exil. Son père, proche du Parti communiste espagnol, avait été arrêté avec des tracts anti-franquistes, puis incarcéré dans la prison madrilène de Carabanchel. C’était en 1940: au plus fort de la répression post-guerre civile. La première fois qu’il traverse les Pyrénées, il est ramené par les douaniers français puis tabassé en Espagne. «La seconde, il ne s’est plus arrêté», résume le fils qui a dû attendre des années pour entendre cette histoire. Partis avec deux compères, les exilés ne seront que deux à arriver à destination. Son père a mis quarante-sept ans avant de pouvoir regarder derrière lui.

L’humanitaire est équilibrisme

Si, comme le colibri de la légende, José Benavente compte aujourd’hui les gouttes d’eau, c’est peut-être parce qu’il a «grandi dans une famille où la question de l’exil était au centre. Inconsciemment», lâche-t-il. Le pilote parle posément, avec une certaine distance aérienne, comme s’il énonçait des mots qu’il avait choisis la veille. Ou il y a un an, quand a commencé la mission de Pilotes volontaires.

Il n’a accepté l’invitation à Genève qu’après mûre réflexion, car «au vu du contexte, moins on fait de bruit et plus on a de chances de continuer à opérer». Dans l’humanitaire, la communication est équilibrisme. Un exercice de haute voltige à 2000 pieds d’altitude. D’un côté, la peur d’être transformé en cible dans une Europe devenue forteresse; de l’autre, le besoin de continuer à lever des fonds pour «nourrir» le Colibri.

José Benavente rêve déjà de sortir Pilotes volontaires du «tout-bénévolat». Il s’apprête à accueillir en juillet son septième pilote: une femme, future retraitée d’Air France. Pour que le Colibri ne cesse jamais de survoler la Méditerranée.


Profil

1969 Naissance à Lyon.

1993 Diplôme à l’Institut Bioforce-Développement.

1999 Travaille pour le CICR.

2006 Brevet de pilote professionnel.

2018 Cofonde Pilotes volontaires fin janvier, dont il devient président.


 


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