Filippo Grandi, diplomate de la solidarité humaine
Article paru sur le site internet du journal La Croix le 07/02/2017
C’est l’histoire d’une envie d’ailleurs devenue l’engagement de toute une vie, trente années ou presque, investies dans tous les registres de l’action humanitaire, entre missions de terrain et fonctions au siège de son organisation à Genève.
À la tête du Haut-Commissariat aux réfugiés depuis un an, Filippo Grandi, 59 ans, poursuit son travail de Sisyphe, point culminant d’une carrière consacrée au service des réfugiés.
Tout a commencé en 1984, après des études d’histoire à l’université de Milan et un service civil à Amnesty International. Filippo Grandi part en Thaïlande comme volontaire avec le Catholic Relief Services (CRS). Pendant un an, il gère un camp de réfugiés cambodgiens du prince Sihanouk dans un village du nord-est du pays, avant de revenir six mois à Bangkok pour coordonner les programmes de réfugiés de cette organisation non gouvernementale américaine. « C’était un souhait de dépaysement et de voyage, avec l’envie de faire quelque chose d’utile », dit-il. « Je venais d’une famille de tradition catholique, philanthropique ».
Découvre la banalité du mal
C’était aussi l’air du temps. Au début des années 1980, une génération se cherche de nouvelles utopies dans la défense des droits de l’homme et l’assistance aux populations en détresse, victimes de guerres civiles, de famines, de tyrannies. En Thaïlande, Filippo Grandi ne satisfait pas seulement sa curiosité du vaste monde, il découvre la banalité du mal, sous couvert de « mission civilisatrice ». « Je venais d’arriver là-bas », raconte le haut-commissaire. « Un jour, mon chef m’a demandé d’amener des vivres à un groupe de réfugiés contrôlés par les Khmers rouges. Grand débat au sein de l’équipe. Nous étions naïfs mais pas au point d’ignorer qui ils étaient. Au moment d’arriver au camp, il n’y avait pas de réfugiés, seulement des militaires qui ont pris les vivres et sont partis. Je suis revenu furieux en disant : pourquoi m’avez-vous envoyé dans une mission qui n’était pas humanitaire ? J’ai compris qu’il y avait une volonté politique de soutenir ce groupe. À cette époque, les Khmers rouges, chassés de Phnom Penh par les Vietnamiens, étaient devenus des alliés des Chinois et des Américains. »
Humanitaire profondément politique
Choc salutaire, véritable leçon de réalisme. Le jeune bénévole prend conscience de la dimension « profondément politique » de l’humanitaire et de « la difficulté de séparer les deux choses ». « L’action humanitaire doit toujours essayer d’être neutre », affirme Filippo Grandi, « mais, en même temps, il faut comprendre le contexte politique et le gérer. La solution des problèmes humanitaires ne peut être que politique. Nous faisons notre travail, nous essayons d’aider les gens en attendant qu’une solution politique se dessine. »
Gérer ? Le défi semble colossal. L’agence des Nations unies pour les réfugiés, créée en 1950 pour venir en aide aux Européens déplacés par la Seconde Guerre mondiale, devait disparaître au bout de trois ans. Soixante-sept ans après, le même organisme dénombre 65,3 millions de personnes déracinées à travers le monde, parmi elles 21,3 millions de réfugiés.
Les financements manquent devant ces chiffres records et les réfugiés restent longtemps dans les pays de premier accueil. Le HCR agit de plus en plus en partenariat avec d’autres institutions comme la Banque mondiale et l’Union européenne pour répondre à leurs besoins en matière d’éducation et d’emploi.
« Le monde doit retourner à la solidarité »
Aux États-Unis et en Europe, le successeur d’Antonio Guterres fait face à des vents contraires. Donald Trump a suspendu l’admission de réfugiés syriens, François Fillon affirme que « la France n’acceptera pas d’accueillir davantage de réfugiés ». « C’est vrai que les Européens vivent dans des situations économiques fragiles, que le terrorisme peut frapper partout et que le multiculturalisme a déstabilisé des sociétés longtemps mono-culturelles » répond l’ancien patron de l’UNRWA, le programme de l’ONU pour les réfugiés palestiniens. « Ce sont des peurs qu’il faut comprendre et gérer en dialoguant avec les communautés ».
De passage à Paris en janvier, le diplomate en chef de la solidarité humaine a une nouvelle fois encouragé les autorités françaises à aller « plus vite et plus loin » dans l’accueil des réfugiés. « Le monde doit retourner à la solidarité et penser à tous ces gens, non pas avec la peur et la suspicion, mais les bras ouverts, l’esprit ouvert et le cœur ouvert », déclarait-il, la semaine dernière, choqué par l’ampleur des destructions, lors d’une visite à Alep et Homs, en Syrie.
« Un jour, ils reviendront ici et ils reconstruiront ces villes mais aujourd’hui, ils ont besoin de notre aide et de notre protection. » Au fond, Filippo Grandi, le Milanais amoureux des eaux bleues du lac de Côme, aimerait convaincre l’Europe de reprendre son rôle de leader dans la protection des déracinés. « L’Europe, dit-il, a toujours été le laboratoire de la solidarité. »
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