Coronavirus : «Tout concourt à ce que le virus circule sur le continent africain»

Article paru sur le site du journal Libération le 23/02/2020 par Eric Favereau

Avec un seul malade recensé, l’Afrique semble épargnée. Mais Pierre-Marie Girard, de l’Institut Pasteur, interroge la réalité de ce chiffre, vu l’ampleur des échanges avec la Chine.

Après avoir été chef de service des maladies infectieuses à l’hôpital Saint-Antoine, à Paris, le professeur Pierre-Marie Girard est aujourd’hui le directeur des Affaires internationales à l’Institut Pasteur de la capitale et à la tête du Réseau international des Instituts Pasteur, dont 10 sont situés en Afrique.

La grande crainte autour de cette nouvelle épidémie était qu’elle atteigne l’Afrique. Or il n’y a qu’un seul cas connu, en Egypte. Est-ce une bonne nouvelle ?

Aujourd’hui, personne ne comprend pourquoi l’épidémie ne s’est pas encore développée sur le continent africain. Nombreux sont les experts qui doutent de la réalité des chiffres affichés. Les plus optimistes s’en étonnent mais ils font le pari que l’épidémie s’éteindra avant que le continent africain ne soit touché. Pour les pessimistes, il existe deux possibilités : soit des cas n’ont pas encore été repérés et ce n’est plus qu’une question de temps, soit l’évolution toujours croissante de l’épidémie en Chine, les failles inéluctables des mesures d’isolement et l’ampleur de leurs contraintes entraîneront obligatoirement une extension de l’épidémie vers l’Afrique.

Pourquoi y a-t-il un doute si fort ?

Un constat simple : en Afrique, il y a plus d’un million de ressortissants chinois qui font des allers-retours dans leur pays, et il y a eu, en plus, un fort mouvement autour du nouvel an chinois. Tout concourt à ce que le virus circule. D’ailleurs, mercredi, il y a eu une remarquable modélisation faite par une équipe de l’Inserm autour de la chercheuse italienne Vittoria Colizza montrant que l’Egypte, l’Algérie et l’Afrique du Sud seraient les portes d’entrées les plus probables du coronavirus sur le continent africain. Ils ont pour cela travaillé sur l’importance des échanges aériens avec les provinces chinoises contaminées, en pointant les grands hubs aériens par où transitent beaucoup de voyageurs. Ces trois pays sont aussi parmi les mieux équipés du continent pour détecter rapidement les nouveaux cas et les prendre en charge. Dans d’autres pays d’Afrique, selon cette recherche, le risque d’importation est plus faible mais les carences sanitaires peuvent faire craindre une diffusion rapide.

Dans ce cas, qu’est-ce qui explique l’absence ou presque de cas ?

Il est possible qu’il y ait des cas cachés, des personnes infectées qui n’ont pas eu accès aux tests ou, surtout, des personnes infectées en période d’incubation, donc non repérables. L’hypothèse la plus probable, c’est que le coronavirus circule au moins à bas bruit.

Peut-être que le climat ne convient pas à ce virus ?

Non. Le climat tropical n’est pas un frein puissant à la réplication des coronavirus même si une saisonnalité partielle est probable comme pour la plupart des virus respiratoires. Parier sur la protection climatique en Afrique ou le contrôle spontanée de l’épidémie lors de la fin de l’hiver serait absurde.

Que faut-il faire, néanmoins, pour l’Afrique ?

Se préparer, et, c’est le cas de nombreux pays africains, avec l’appui de l’aide internationale. Avec nos 10 instituts, nous avons pu rendre les tests moléculaires disponibles dès leur mise au point. Les centres de référence ont été équipés et les biologistes formés à partir de la mi-janvier. Heureusement, les personnes infectées se révèlent contagieuses principalement lors des premiers symptômes, ce qui permet de repérer les personnes les plus à risque, celles qui peuvent y compris être sévèrement atteintes et transmettre le virus à leur entourage proche. Cela permet d’agir plus efficacement et de circonscrire rapidement la transmission.

Reste qu’à vos yeux, il y aura de toute façon une épidémie en Afrique…

En tout cas, rien n’est fini. L’épidémie n’est pas du tout contrôlée actuellement en Chine, on ne sait pas jusqu’à quand les personnes touchées resteront contagieuses, et comme dans toute épidémie, il peut y avoir des rebonds après des phases d’accalmie relative. Cela va durer encore des mois. Le pire est peut-être devant nous. Mais si le pire n’est jamais sûr, il serait collectivement inadmissible de ne pas s’y préparer et ignorer ainsi les risques encourus par les pays les plus démunis.


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