La valse des millions pour le Yémen

Article paru sur le site du journal Le Temps le 25/04/2017 par Luis Lema

A Genève, l’ONU a réuni plus d’un milliard de dollars de promesses de dons en une journée. Mais la paix reste introuvable

C’est la valse des millions. Les Emirats arabes unis en promettent 100. Cinquante de mieux pour l’Arabie saoudite; 94 millions de dollars des Etats-Unis, 116 millions d’euros pour l’Union européenne. La Suisse n’est pas en reste avec 14 millions de francs versés cette année, et 40 millions promis pour les quatre prochaines années… La conférence des donateurs qui s’est tenue mardi à Genève afin de financer l’aide humanitaire au Yémen avait des allures de vente aux enchères. Ce n’est pas trop tôt: comme l’a rappelé le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres, les Nations unies avaient demandé pour cette année 2,1 milliards de dollars afin de venir en aide à quelque 19 millions de Yéménites gravement affectées par la guerre. Avant la conférence de Genève, la communauté internationale n’avait répondu à cet appel de fonds qu’à hauteur de… 15%.

L’aide humanitaire ne peut pas se substituer à une solution politique

Un pays à genoux; une capitale, Sanaa, qui sera bientôt la première au monde privée d’eau potable; plus de la moitié des hôpitaux et des centres de soin détruits; quelque 7 millions de personnes menacées à court terme par la famine, dont presque un demi-million d’enfants et un million de femmes enceintes…

Au Palais des Nations, les dignitaires n’avaient pas de mots assez forts pour qualifier l’ampleur de la catastrophe qui frappe ce pays après deux ans de guerre. Mais à la conscience générale de cette tragédie s’en ajoutait une autre, tout aussi partagée: «L’aide humanitaire ne peut pas se substituer à une solution politique», concédait, parmi beaucoup d’autres, le chef de la diplomatie suisse Didier Burkhalter qui, au nom de la Suisse, a coprésidé cette conférence avec la Suède et l’ONU.

Situation de «quasi-blocus»

L’éléphant au milieu de la salle des débats? Une situation de «quasi-blocus», décrétée par le Conseil de sécurité de l’ONU et dénoncée de manière unanime par les ONG. Censé prévenir l’afflux d’armes, ce blocus est en réalité utilisé par la coalition militaire arabe menée par l’Arabie saoudite pour asphyxier les zones du pays tenues par les rebelles houthistes, soutenus par l’Iran. «La famine délibérée des civils peut constituer un crime de guerre et équivaloir à un crime contre l’humanité», expliquait Hilal Elver, la rapporteuse spéciale des Nations unies pour le droit à l’alimentation. Dès avant la guerre, le Yémen (l’un des pays les plus pauvres du monde arabe) dépendait à près à 90% des importations, notamment dans le domaine alimentaire.

Un diplomate occidental se montrait plus direct encore dans les couloirs de l’ONU. «A quoi bon promettre ces millions, si l’aide ne pourra pas être acheminée aux victimes?», s’étonnait-il.

Des mesures extrêmes pour survivre

Parmi les organisations et les agences de l’ONU qui ont multiplié les cris d’alarme, cette spirale infernale, mise en avant par l’UNICEF: «La violence et l’insécurité alimentaire forcent les familles et leurs enfants à prendre des mesures extrêmes pour survivre.» En cause? Les mariages précoces (les jeunes filles sont littéralement vendues au plus offrant), mais aussi les enfants qui rejoignent massivement les rangs des combattants. Ces trois derniers mois, le nombre d’enfants-soldats recrutés par les milices aurait ainsi triplé par rapport à l’année dernière.

Aux côtés de ses alliés arabes du Golfe, et avec l’aide des Etats-Unis, l’Arabie saoudite mène dans le pays des bombardements incessants et suffisamment meurtriers en termes de victimes civiles pour qu’une enquête récente de l’ONU leur nie toute utilité du point de vue strictement militaire. A Genève, pourtant, la délégation du gouvernement yéménite défendait sans sourciller «l’assistance significative» offerte par l’Arabie saoudite. «Nous sommes prêts à répondre à nos obligations et à ouvrir de nouveaux couloirs» (pour acheminer l’aide humanitaire), assurait le premier ministre Ahmed Obeid Bin Daghr. Son collègue saoudien, Abdullah Al-Rabeeah, se faisait plus déclamatoire encore, affirmant que son pays est «le premier au monde» à soutenir les victimes de la guerre au Yémen.

Offensive possible contre le port d’Hobeidah

En réalité, voilà plusieurs semaines que des préparatifs militaires semblent annoncer l’imminence d’une vaste offensive de la coalition arabe contre le port d’Hodeidah, sur la mer Rouge. Or une telle offensive signifierait très certainement la fermeture de la dernière voie d’accès importante vers tout le nord du pays. «C’est une perspective effroyable, notait le même diplomate occidental. Et pour ne rien vous cacher, ces bruits de bottes insistants ont grandement plaidé pour l’organisation sans délai de la conférence à Genève.»

Au terme de l’exercice, Antonio Guterres saluait néanmoins le «remarquable succès» qu’avait représenté la journée: plus d’un milliard de dollars en promesses de dons, soit la moitié de l’appel lancé par l’ONU pour cette année. «Maintenant, nuançait pourtant à son tour le secrétaire général, nous devons voir ces promesses se traduire par une action à plus grande échelle.» Une seule priorité: «L’accès (de l’aide) à tous et partout», s’exclamait le patron de l’ONU.


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