Syrie : la crise humanitaire et politique continue
Article paru sur le site de Arte Info le 16/04/2018
Samedi, la province syrienne de la Ghouta est tombée aux mains du régime de Bachar al-Assad après cinq années d’un terrible siège. Le jour même, la France, les Etats-Unis et l’Angleterre, ont bombardé plusieurs cibles après une attaque chimique présumée dans la ville de Douma, qu’ils attribuent au président syrien. Sur le terrain, les déplacés sont de plus en plus nombreux et le pays s’est vidé de plus la moitié de sa population. ARTE Info fait le point sur la situation.
Une possible crise humanitaire à Idlib
Je suis profondément inquiet du déplacement massif et continu de près de 700 000 Syriens depuis le début de l’année Panos Moumtzis, coordinateur de l’ONU pour la crise syrienne
Le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian s’est alarmé dimanche dans le JDD d’un possible d’un « nouveau désastre humanitaire » à Idlib. C’est dans cette province, qui compterait 2,5 millions d’habitants dont plus d’un million de déplacés, que le régime envoie quasi systématiquement les combattants et leurs familles évacués de zones reconquises aux rebelles. Elle est dans sa grande majorité contrôlée par l’organisation djihadiste Hayat Tahrir al-Cham, dominée par l’ex-branche syrienne d’Al-Qaïda et engagée dans des luttes intestines avec des groupes islamistes.
Le 10 avril, Panos Moumtzis, coordinateur de l’ONU pour la crise syrienne, estime que 700 000 Syriens ont été déplacés depuis début 2018. Ils s’ajoutent aux 6,5 millions de déplacés internes et aux 5,6 millions de réfugiés dans les pays frontaliers. « Plus de la moitié de la population syrienne a maintenant été déplacée et a besoin d’une aide humanitaire et d’une protection », s’alarme-t-il.
La mission de l’OIAC vient de débuter
La mission d’établissement des faits de l’OIAC (Organisation pour l’interdiction des armes chimiques) est arrivée samedi à Damas. Elle va enquêter sur les accusations d’un recours à l’arme chimique qui aurait eu lieu à Douma, où plus de quarante personnes auraient été tuées selon des secouristes.
Le régime de Bachar al-Assad a nié toute responsabilité, mais il a été accusé par les puissances occidentales qui ont mené samedi des frappes de représailles d’une ampleur sans précédent en Syrie. La mission de l’OIAC, menée à la demande du gouvernement syrien, déterminera si des armes chimiques ont été utilisées à Douma, mais n’identifiera pas les auteurs.
Les enquêteurs de l’OIAC peuvent recueillir des « échantillons chimiques, environnementaux et biomédicaux », interroger des victimes, des témoins, des personnels médicaux et même participer à des autopsies, explique l’organisation internationale. Les ambassadeurs de Russie, du Royaume-Uni et de France se sont rendus lundi matin au siège de l’OIAC à La Haye (Pays-Bas) pour une réunion d’urgence consacrée à la Syrie.
Escalade diplomatique après les frappes occidentales
Les Etats-Unis, la France et la Grande-Bretagne ont effectué samedi à l’aube des frappes contre trois sites présentés comme liés à un programme d’armement chimique syrien, sans faire de victimes, en représailles à l’attaque chimique présumée du 7 avril à Douma. « Le but de cette opération, c’était de détruire les outils chimiques clandestins du régime de Bachar Al-Assad et, à cet égard, l’objectif a été atteint », a déclaré dimanche Emmanuel Macron lors d’une interview à Mediapart et BFMTV.
Les frappes occidentales sont « un acte d’agression à l’encontre d’un Etat souverain » Vladimir Poutine, président russe
Le président russe Vladimir Poutine a déclaré que ces bombardements, menés « sans l’aval du Conseil de sécurité de l’ONU, en violation de la Charte des Nations unies, des normes et principes du droit international », sont « un acte d’agression à l’encontre d’un Etat souverain ». Le dirigeant a échoué à faire voter une résolution condamnant cette opération lors d’une réunion d’urgence du Conseil de sécurité de l’ONU.
Paris, Londres et Washington ont présenté à l’ONU un nouveau projet de résolution sur la Syrie qui devrait être discuté à partir de lundi. Des divergences apparaissent cependant entre les Etats-Unis et la France : Emmanuel Macron affirme avoir convaincu Donald Trump de maintenir les troupes américaines en Syrie « dans la durée ». Mais le chef de l’Etat américain, dans une perspective plus large de désengagement au Proche-Orient, a dit qu’il voulait que « les forces américaines rentrent dès que possible » aux Etats-Unis. Les frappes occidentales vont être débattues lundi par les parlementaires français et britanniques.
Deraa, prochaine cible du régime ?
Après la chute de la ville de Douma, la région de la Ghouta, aux portes de Damas a été déclarée officiellement « nettoyée » samedi soir, à l’issue d’une offensive lancée le 18 février par le régime et durant laquelle plus de 1 700 civils ont été tués, selon l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH). Elle avait résisté pendant ans au siège le plus long du conflit.
La chute de cette zone ouvre la voie à un redéploiement des ressources militaires du régime syrien qui pourrait maintenant prendre pour cible la province méridionale de Deraa, un des derniers foyers de la rébellion. Le président Assad contrôle désormais plus de de la moitié de la Syrie, où vivent les deux tiers de la population.
Le quotidien prorégime Al-Watan juge que les prochaines cibles de l’armée syrienne pourraient être les poches de résistance autour de Damas. De nombreux experts estiment quant à eux qu’il pourrait s’agir de la province de Deraa, un des berceaux de la contestation anti-Assad en 2011. Pour Julien Théron, spécialiste du conflit syrien, le contrôle par les rebelles de la frontière sud « entache l’image du régime redevenu maître de son territoire ». Déclenché en 2011 avec la répression par le régime de manifestations pacifiques, la guerre a fait plus de 350 000 morts.
Pour aller plus loin
- La Syrie dans une impasse ?
- Syrie : la crise humanitaire et politique continue
- Le régime syrien a repris le contrôle de la Ghouta
- Syrie : Adra, les survivantes
- Chaos dans la Ghouta orientale
- Syrie : la prison des jihadistes
- Entretien avec Akram Al-Ahmad, fondateur du « Syrian Press Center »
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