La Russie bute sur la complexité moyen-orientale à Genève

Article publié sur le site du Journal Le Temps le 28/02/2017 (Auteur : Stéphane Bussard)

L’émissaire des Nations unies Staffan de Mistura a tenté de réunir autour de la même table le régime de Damas et une opposition qui continue à se déchirer. La Russie, qui joue gros dans le processus, multiplie les rencontres bilatérales pour tenter de sortir les négociations de l’enlisement.

Le jeudi 23 mars, l’envoyé spécial des Nations unies Staffan de Mistura mettait déjà en garde, peu avant le quatrième round de pourparlers sur la Syrie: il n’y aurait pas de miracle à Genève. Après un peu moins d’une semaine, force est de lui donner raison. Les négociations sont enlisées. On ne s’entend même pas sur le format des discussions. Si symboliquement l’émissaire de l’ONU est parvenu à réunir dans la même salle pour la première fois depuis 2014 le représentant du pouvoir syrien Bachar el-Jafaari et les différentes factions de l’opposition, la dure réalité a vite refroidi les plus optimistes. Alors que Staffan de Mistura serrait la main des représentants de l’opposition, les délégués du régime syrien quittaient déjà la salle.

Depuis, Moscou s’active en coulisse pour remettre le processus sur les rails. Depuis les rencontres d’Astana où la Russie a manoeuvré avec l’Iran et la Turquie pour garantir un cessez-le-feu en Syrie et créer, comme l’a fièrement déclaré Vladimir Poutine, les conditions minimales ayant permis de reprendre le chemin de Genève, les négociateurs russes tentent l’impossible: unifier l’opposition. Ce mercredi, les vice-ministres des Affaires étrangères Guennady Gatilov et Mikhaïl Bogdanov vont rencontrer séparément le groupe dit du Caire, celui de Moscou et enfin le Haut Comité des négociations (HCN) que certains membres critiques de l’opposition appellent le groupe de Riyad.

Le Temps a rencontré mardi Namroud Sulaiman dans son hôtel genevois. Journaliste syrien qui se dit «communiste», vivant à Chicago et au bénéfice de la nationalité américaine, il participe aux pourparlers depuis leur début. Il le précise: le groupe de Moscou dont il fait partie rencontre ce mercredi Guennady Gatilov après que celui-ci aura rencontré les deux autres groupes. «Entre mon groupe et celui du Caire dont les représentants logent d’ailleurs dans le même hôtel, nous sommes presque d’accord sur tout. Mais l’unité de l’opposition est encore lointaine. Pour une raison simple: sur les trois objectifs fixés par le processus de Genève, une nouvelle Constitution, un processus électoral et un gouvernement de transition, le HCN soutenu par l’Arabie saoudite et la Turquie est catégorique: il exige comme préalable le départ du président syrien Bachar el-Assad.»

Représentant du groupe dit du Caire à Genève, Jamal Sulaiman le confie au Temps: «Les choses ne sont pas mûres. Il manque encore une vraie volonté internationale de régler le conflit. De plus, le régime syrien continue de présenter la situation comme un choix entre le régime ou les islamistes.» Les attentats suicides du week-end dernier à Homs contre deux édifices de la sécurité syrienne revendiqués par la nouvelle alliance salafiste Tahrir al-Sham et la riposte de Damas par des raids aériens à Douma dans la banlieue de la capitale n’ont fait que fragiliser un cessez-le-feu qui ne tient qu’à un fil. Mardi, Moscou a volé au secours du régime syrien. Lors d’une intervention au Conseil des droits de l’homme, le négociateur Guennady Gatilov l’a martelé: «La lutte contre le terrorisme est une priorité et devrait être à l’agenda» des discussions de Genève. Or certains membres de l’opposition le disent sans ambage: Moscou n’a pas tenu sa promesse de faire pression sur Damas pour contraindre le régime syrien à cesser tout recours à la force.

Selon Staffan de Mistura, le processus sera interrompu ce vendredi et devrait reprendre le 20 mars prochain à Genève. A ce jour, ce quatrième round de négociations met en lumière plusieurs obstacles de taille. Si la Russie, l’Iran et la Turquie ont pu s’entendre à Astana, ils ont désormais tous trois des intérêts très divergents. Moscou commence à prendre conscience de la grande complexité moyen-orientale. Le Kremlin aimerait pouvoir stabiliser la situation syrienne au plus vite, promouvoir un gouvernement de transition (avec ou sans Bachar el-Assad) qui lui assure sa position privilégiée en Syrie. Mais ses intérêts butent désormais sur ceux de l’Iran qui pousse le régime de Damas à adopter des positions extrêmes et qui fera tout pour maintenir la branche alaouite au pouvoir afin de maintenir l’axe chiite entre Téhéran, Damas et le Hezbollah libanais. Cette vision indispose aussi Moscou qui n’entend pas s’enliser dans les querelles confessionnelles du Moyen-Orient.

«Entre la Turquie et l’Iran, explique Mohammad Djalili, professeur émérite de l’Institut de hautes études internationales et du développement, les relations se sont à nouveau fortement détériorées. La vision chiite de la région défendue par Téhéran irrite Ankara.» Pour Jean-Marc Rickli, responsable du Département des risques globaux et de la résilience au Centre de politique de sécurité, l’avenir est sombre: «La situation en Syrie rappelle la désintégration de la Bosnie-Herzégovine. Grace à l’accord de Dayton en 1995, la communauté internationale a cru régler les divisions ethniques et religieuses en imposant la paix et en offrant des aides économiques substantielles. Aujourd’hui, le pays reste très divisé malgré cela. En Syrie, on est face à un conflit qu’il faudra des générations à résoudre car les mêmes dynamiques de désintégration existent et la communauté internationale n’offre aucune perspective économique aux Syriens.»


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