Prévention de l’extrémisme violent
Les 7 et 8 avril 2016 s’est tenue à Genève une Conférence sur la prévention de l’extrémisme violent organisée par l’Organisation des Nations Unies en partenariat avec le Gouvernement suisse.
Cette conférence a réuni 700 représentants de 120 pays, dont trente au niveau ministériel, de nombreuses agences du système des Nations Unies, des organisations humanitaires comme le CICR et des représentants de la société civile et de l’économie privée,[1]des médias et des réseaux sociaux.
Au cœur des discussions était le Plan d’action du Secrétaire général des Nations Unies pour la prévention de l’extrémisme violent (A/70/674)[2] publié le 24 décembre 2015 et dont l’Assemblée générale des Nations Unies a « pris note » (formule diplomatique marquant le désaccord de plusieurs Etats sur ce Plan d’action)[3] dans une résolution (A/RES/70/254)[4] adoptée par consensus le 12 février 2016 à New York.
La première journée a réuni des experts de haut niveau. Le deuxième jour, les discussions ont été ouvertes par le Secrétaire général des Nations Unies, M Ban Ki-moon, et par le Conseiller fédéral Didier Burkhalter, Chef du Département fédéral suisse des affaires étrangères.
Parmi les points soulevés :
- l’accent mis sur la prévention à long terme, et non seulement la répression, la nécessité de s’attaquer aux racines du mal par une approche globale qui permette de gagner les cœurs et les esprits (« winning people’s hearts and minds ») ;
- de nombreuses demandes de pays musulmans de ne pas limiter l’extrémisme à l’Islam,[5] et aussi de ne pas utiliser la terminologie d’ « Etat islamique » mais celle de « Daesh » ;
- l’importance du dialogue entre cultures et religions, notamment dans les interventions de l’Organisation de la Coopération Islamique[6] et de la Jordanie,[7] et la demande de faire la différence entre radicalisme et religion véritable ;
- la nécessité de trouver un équilibre entre liberté d’expression et limitation de discours extrémistes, y compris sur Internet et sur les réseaux sociaux (des représentants de Microsoft et de Facebook participaient à cette conférence et à un événement parallèle) ;
- la nécessité de respecter le droit international, à commencer par la Charte des Nations Unies et aussi les droits de l’homme (tant civils et politiques qu’économiques et sociaux), le droit des réfugiés et l’état de droit (« rule of law »), dans la prévention et la répression de l’extrémisme violent : comme le soulignait le CICR, le non-respect des principes du droit international humanitaire contribue trop souvent à une escalade de la violence ;[8]
- l’utilité de former militaires, policiers et responsables d’établissements pénitentiaires pour éviter des violations amenant à la radicalisation ;
- le rôle des jeunes, par l’éducation, par la formation professionnelle, et par l’intégration dans la vie sociale et politique,
- le rôle des femmes, dont le respect des droits constitue une contribution à la prévention de l’extrémisme violent ;
- l’importance des plans nationaux : le Plan d’action du Secrétaire général demande à chaque État d’élaborer un plan national d’action contre l’extrémisme violent. Ces plans nationaux pourraient aussi s’inscrire dans des plans régionaux d’action avec l’appui des organisations régionales et sous régionales. La France a rappelé qu’elle a adopté en 2014 un plan national de lutte contre la radicalisation violente et les filières terroristes ;[9] la Suisse a présenté à la Conférence un « Plan d’action de politique étrangère de la Suisse pour la prévention de l’extrémisme violent ».[10]
- le rôle des organisations régionales : l’Union Européenne a ainsi développé, dès 2004, sa propre stratégie de lutte contre l’extrémisme violent, avec la prévention comme pilier principal. Elle a également élaboré un plan d’action contre le recrutement des combattants terroristes étrangers ;[11]
- le rôle d’organisations transrégionales comme l’Organisation Internationale de la Francophonie[12] et le Commonwealth :[13] les Secrétaires générales de ces deux organisations ont participé à la Conférence de Genève et toutes deux s’engagent dans des programmes de prévention de l’extrémisme violent ;
- une succession de conférences internationales traitant de sujets analogues : le Sommet de la Maison Blanche en février 2015, [14] le Colloque annuel de l’Alliance économique internationale sur le thème Culture et lutte contre l’extrémisme violent, organisé au Council on Foreign Relations à New York,[15] suivi d’un Sommet le 29 septembre à New York,[16] une Conférence internationale avait eu lieu à Alger sur la dé-radicalisation et l’extrémisme violent les 22 et 23 juillet 2015,[17] une réunion ministérielle de l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) à Belgrade en décembre 2015,[18] le Haut-Commissaire des Nations Unies pour les Réfugiés convoquait en décembre 2015 à Genève un Dialogue à haut niveau sur les causes profondes des déplacements de populations[19] et, le 30 mars 2016, une réunion pour les réfugiés syriens ;[20] le 5 avril, à Stockholm, le Cinquième « Dialogue international en faveur de la consolidation de la paix, du renforcement de l’État et de la prévention des conflits » traitait du thème « Surmonter la fragilité et consolider la paix dans un monde en mutation »[21] , le 7 avril, également à Genève, l’Initiative pour les migrants en situation de crise (« Migrants in Countries in Crisis Initiative » MICIC) tenait une réunion d’information pour Gouvernements et organisations internationales ;[22] plusieurs délégations à la Conférence ont mentionné le Sommet humanitaire mondial (Istanbul, 23-24 mai 2016),[23] l’Allemagne a annoncé que OSCE prévoit de tenir à Berlin, les 31 mai et 1er juin, une réunion contre le terrorisme mettant l’accent sur la prévention de la radicalisation de la jeunesse ;[24] la Francophonie organisera, du 6 au 8 juin 2016, à Paris, une conférence internationale intitulée « Lutte contre le terrorisme et prévention de la radicalisation : vers une approche francophone intégrée », l’Egypte a annoncé que, lors de sa présidence du Conseil de sécurité en juin, elle organiserait un débat sur la prévention de l’extrémisme violent à New York le 11 juin ; le Plan d’action du Secrétaire général devrait être discuté à nouveau les 23 et 24 juin à New York à l’occasion du dixième anniversaire de l’adoption de la Stratégie des Nations Unies contre le terrorisme.[25]
- la Suisse a exprimé l’espoir que toutes ces réunions s’inscrivent dans un seul effort et souligné la nécessité d’un effort global et à long terme ;
- le rôle de la Genève internationale, engagée depuis de nombreuses années dans des négociations visant à trouver des solutions pacifiques à des conflits, des réunions sur la sécurité, sur le désarmement, sur les droits de l’homme, sur le développement (plusieurs interventions ont souligné l’importance des Objectifs durables du développement), sur l’action et le droit international humanitaire, siège aussi d’un Fonds mondial pour l’engagement de la communauté et la résilience (GCERF)[26] et aussi de l’Organisation internationale du travail, du Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, du Haut Commissariat pour les réfugiés, de l’Organisation internationale pour les migrations, de l’Union Internationale pour les télécommunications (UIT), du CERN, du CICR, de la Fédération internationale des Sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, de l’Union interparlementaire,[27] du Forum Economique Mondial, du Conseil oecuménique des Eglises, et de nombreuses ONG humanitaires et des droits de l’homme, de plusieurs centres de recherche et de formation sur le droit international, la paix et la sécurité.[28]
Face à une menace globale, c’est bien une réflexion approfondie, nourrie des leçons de l’histoire, et une mobilisation permanente de tous, Etats, organisations internationales et société civile, qui est nécessaire pour retrouver l’esprit des fondateurs de l’ONU, redonner sa légitimité à la Charte, au droit international, en particulier aux instruments des droits de l’homme et au droit international humanitaire, pour « gagner les cœurs et les esprits » de tous.
Michel Veuthey,
Observateur Permanent Adjoint
Mission Permanente d’Observation de l’Ordre Souverain de Malte auprès de l’Office des Nations Unies à Genève.
Sur le même sujet
ONU : plan d’action pour la prévention de l’extrémisme violent
[1] Ainsi le « World Economic Forum », Microsoft, Facebook…
[2] http://www.un.org/ga/search/view_doc.asp?symbol=A/70/674&Lang=F
[3] Le Directeur du Département des nouveaux défis et menaces au Ministère russe des Affaires étrangères, M. I. Rogachev, devait ainsi insister à Genève le 8 avril sur l’importance que la lutte internationale contre l’extrémisme violent se fonde fermement sur le droit international, en premier lieu sur la Charte de l’ONU, et sur les principes de souveraineté et d’égalité des Etats et de non-ingérence dans leurs affaires intérieures. Il regrettait que le Plan d’action du Secrétaire général ne reflète pas de manière adéquate le rôle premier qui importe aux Etats dans la lutte contre l’extrémisme, ne demande pas un respect du droit international, y compris le principe de non-ingérence, et ne fasse pas le lien entre la lutte contre l’extrémisme et les efforts en cours dans le cadre de la coopération internationale contre le terrorisme.
[4] http://www.un.org/fr/documents/view_doc.asp?symbol=A/RES/70/254
[5] Voir aussi cet extrait de la déclaration du Secrétaire général des Nations Unies :
« Bien qu’il soit inévitable que nos discussions s’appuient sur des exemples concernant Daech ou Boko Haram, je veux que nous soyons absolument clairs dès le début : le phénomène de l’extrémisme violent qui favorise le terrorisme n’est pas enraciné ou confiné à une religion, une région, une nationalité ou un groupe ethnique » ajoutant : « Nous devons admettre qu’aujourd’hui la grande majorité des victimes dans le monde sont des musulmans » […] « L’objectif des extrémistes violents n’est pas nécessairement de se tourner contre nous mais que nous nous tournions les uns contre les autres. Leur principale mission n’est pas l’action, c’est la réaction. L’objectif est de diviser les communautés »
[6] Voir à ce sujet notamment la Résolution A/RES/65/138. Promotion du dialogue, de l’entente et de la coopération entre les religions et les cultures au service de la paix, adoptée le 16 décembre 2010.
Le Représentant de l’Organisation de la Coopération Islamique (OIC) a ainsi mentionné
- l’initiative de la Jordanie pour une « Semaine mondiale de l’harmonie interconfessionnelle » (« World Interfaith Harmony Week ») dans la Résolution A/65/5 de l’Assemblée générale des Nations Unies, « engageant tous les États qui souhaitent le faire à appuyer la diffusion dans les églises, mosquées, synagogues, temples et autres lieux de culte de la planète, la première semaine de février, du message d’harmonie interconfessionnelle et de bonne volonté fondé sur l’amour de Dieu et du prochain, ou sur l’amour du bien et du prochain, chacun selon les traditions ou convictions religieuses qui lui sont propres »
- le Centre international pour le dialogue interreligieux et interculturel « King Adbullah bin Aziz International Center for Interreligious and Intercultural Dialogue »
- l’Observatoire égyptien des fatwas takfiris
- le Centre de réhabilitation fondé par le Prince séoudien Mohammed bin Nayef « Mohammed bin Nayef Center for Counseling and Care (). Voir à ce sujet l’article du New York Times du 9 avril 2016 « Inside Saudi Arabia’s Re-education Prison for Jihadists »
- le Mouvement mondial des modérés (« Global Movement of Moderates » GMM)
[7] Le Ministre de l’Intérieur de la Jordanie a ainsi mentionné le « Message d’Amman » (« Amman Message ») sur la tolérance et le dialogue entre religions.
[8] Voir cet extrait de la déclaration du Comité International de la Croix-Rouge (CICR) :
« Disregard for the most basic rules of International Humanitarian Law (IHL) very often contributes to a downward spiral of retaliatory violence. The multiplication of acts of terrorism, as well as the sometimes excessive response by States is a real source of alarm. So too are the everyday deliberate actions we observe against civilian populations and objects – be they destruction of cultural heritage, of health facilities, as well as targeting of civilians, hostage-taking, ill-treatment of detainees and torture. These various abuses demonstrate a worrying rejection of our shared humanity »
[9] http://www.franceonugeneve.org/Participation-de-la-France-a-la-Conference-sur-la-prevention-de-l-extremisme et http://www.risques.gouv.fr/actu-risques-crises/actualites/le-plan-de-lutte-contre-la-radicalisation-violente-et-les-filieres et aussi http://www.education.gouv.fr/cid92084/la-prevention-de-la-radicalisation.html
[10] http://www.news.admin.ch/NSBSubscriber/message/attachments/43586.pdf
[11] http://www.consilium.europa.eu/fr/policies/fight-against-terrorism/
[12] Prenant la parole lors du segment de haut niveau, Madame Michaëlle Jean a souligné qu’il était urgent que la lutte contre le terrorisme et l’extrémisme violent aille bien au-delà de l’approche sécuritaire et mette aussi l’accent sur une action de prévention multidimensionnelle se manifestant par des initiatives en faveur du développement, de l’éducation et de la formation pour toutes et pour tous, de l’enracinement de la culture démocratique, de l’Etat de droit et des droits humains, ainsi que de la résolution des crises et conflits.
Ce faisant, elle a souligné l’importance des principes et des valeurs universelles humanistes pour combattre l’obscurantisme. Elle a également présenté la plateforme de dialogue en ligne lancée récemment par l’OIF et intitulée « Libres ensemble ».
[13]La réunion des Chefs de Gouvernement à Malte en novembre 2015 a décidé de constituer une unité au sein du Secrétariat du Commonwealth pour renforcer l’action de prévention de l’extrémisme violent au niveau national, régional et mondial, dans la ligne du Rapport que le Commonwealth avait publié, en mars 2008, intitulé « Civil Paths to Peace. Report of the Commonwealth Commission on Respect and Understanding »
[14] The White House Summit on Countering Violent Extremism, Washington DC, 17-19 février 2015.
[15] Voir à ce sujet la déclaration de la Directrice générale de l’UNESCO (« Lutter contre l’extrémisme violent – Mettre un terme au nettoyage culturel »)
[16] Leaders’ Summit on Countering ISIL and Violent Extremism.
[17] Voir à ce sujet http://www.aps.dz/algerie/26146-une-conférence-internationale-sur-la-lutte-contre-l-extrémisme-et-la-dé-radicalisation-mercredi-à-alger et http://www.algeria-watch.org/fr/article/mil/conference_extremisme.htm
[18] La 22e réunion du Conseil ministériel de l’OSCE a adopté le 4 décembre 2015 à Belgrade une « Déclaration Ministérielle sur la prévention et la lutte contre l’extrémisme violent et la radicalisation qui conduisent au terrorisme »
[19] Huitième Dialogue annuel du Haut Commissaire sur les défis de protection « Comprendre les causes profondes des déplacements et y faire face », les 16 et 17 décembre 2015 au Palais des Nations à Genève.
[21] Voir le document en français sur le site du Gouvernement suédois
[22] https://micicinitiative.iom.int
[23] www.worldhumanitariansummit.org
[24] The conference intends to make use of the comprehensive OSCE approach to security allowing a cross-dimensional discussion on current issues of young people and violent extremism and radicalization that lead to terrorism, including in relation to the phenomenon of « Foreign Terrorism Fighters », perspectives for their reintegration into society, and specifically the issue of the terrorist radicalization and de-radicalization of young women.
[25] « La Stratégie antiterroriste mondiale des Nations Unies » A/RES/60/288, adoptée le 8 septembre 2006
[26] Voir, sur le rôle des investissements de l’économie privée pour prévenir l’extrémisme violent, la rencontre à haut niveau organisée à New York en septembre 2015 (« Investing in Fragile Environments: The Role of the Private Sector in Countering Violent Extremism. »)
[27] http://www.ipu.org/french/home.htm
[28] Mentionnons particulièrement
- le GCSP (« Geneva Centre for Security Policy ») et en particulier le Séminaire organisé le 6 avril, la veille de la Conférence
- Intervention du Professeur M. Mohamedou, Vice-Directeur du GCSP
- le DCAF (« Geneva Centre for the Democratic Control of Armed Forces »)
Sur le même sujet
Le succès ne doit rien à l’improvisation. Il faut juste de la méthode !
04/10/2020. L’éditorial de Xavier Guilhou
Saint-Siège : « Que la Syrie sorte de ce gouffre d’horreurs »
30/03/2017. Six ans après le début du conflit, le nonce apostolique à Damas, le cardinal Mario Zenari, confie ses espoirs.
«La politisation de l’humanitaire, c’est le pire qui pouvait arriver»
16/12/2016. Le directeur du CICR, Yves Daccord, estime que ce n’est pas au Conseil de sécurité d’organiser la logistique de l’aide d’urgence.