Monsieur le Président de la République, protégeons l’aide humanitaire qui est en danger !

Article paru sur le site Défis Humanitaires le 04/12/2020 par Alain Boinet 

Ce que l’on désigne comme « espace humanitaire » implique que les secours puissent accéder aux populations en danger dans le cadre du Droit International Humanitaire (DIH) et dans le respect des principes de neutralité, d’impartialité et d’indépendance.

C’est indiscutablement un des principaux enjeux de la prochaine Conférence Nationale Humanitaire (CNH) à Paris le 17 décembre en présence du Président de la République qui a annoncé, lors de la 75ème Assemblée Générale des Nations-Unies le 22 septembre, qu’il présenterait, lors de cette conférence, une initiative sur la protection, l’impunité et la criminalisation de l’humanitaire.

L’attente est au plus haut niveau du côté des organisations humanitaires confrontées à une augmentation considérable des besoins des populations en danger et, simultanément, à une multiplication des contraintes politico-administratives et à une augmentation du nombre de blessés, de tués et d’otages.

L’aide humanitaire est menacée dans les zones de guerre, tant par les effets collatéraux des combats, le banditisme et les menaces que représentent des groupes comme Daesch qui a, ne l’oublions pas, revendiqué l’assassinat de 7 humanitaires d’ACTED au Niger le 9 août.

A ces incidents dramatiques en forte augmentation l’année dernière, viennent se superposer des freins, des obstacles, voire des véritables menaces, du fait du « régime des sanctions et des lois anti-terroristes » dites CoTer dans le jargon des experts, au point que le Conseil de sécurité de l’ONU a reconnu ce danger fin 2019.

L’aide humanitaire sanctionnée.

En effet, les lois anti-terroristes criminalisent de facto les acteurs humanitaires qui portent secours à des populations dans des territoires où opèrent des groupes dits djihadistes ou terroristes. Ces acteurs humanitaires peuvent ainsi être considérés comme des complices des terroristes et être trainés devant des tribunaux et condamnés !

Simultanément, un ensemble d’obstacles ou de conditions draconiennes sont dressés sur la route de l’action humanitaire et l’entravent dangereusement. Soumises aux lois anti-terroristes, les banques peuvent aller jusqu’à refuser des transferts de fonds pourtant essentiels aux programmes d’aide dans les pays en guerre ou les secours sont pourtant vitaux en Syrie, au Yémen, en Afghanistan.

De surcroit, des bailleurs de fonds qui financent les projets des ONG, en France notamment, imposent des mesures dites de « criblage » qui visent à contrôler les partenaires, les fournisseurs et les staffs des ONG à l’aide de logiciels spécialisés. Ces mesures peuvent aller jusqu’à exiger un « criblage » au premier euro dépensé et inclure même parfois jusqu’aux destinataires de l’aide comme l’exige dorénavant l’Agence Française de Développement.

Priorité au Droit International Humanitaire sur les lois anti-terroristes dans les zones de conflit.

Que les choses soient claires. Il ne peut en aucun cas être question pour l’humanitaire de « cribler » les bénéficiaires des secours au nom du Droit International Humanitaire. Il en va de notre sécurité et accessoirement que ce n’est pas là que se trouvent les terroristes ! D’autre part, le criblage constant au premier euro des fournisseurs, des partenaires et des membres des ONG est tout simplement infaisable. C’est que nous dit justement Thierry Mauricet dans une longue interview.

Si on peut comprendre les lois anti-terroristes, d’autant plus que nous sommes nous-mêmes victimes du terrorisme dans nos missions humanitaires et jusque chez nous, en France à Paris et Nice, comme ailleurs dans le monde, il est simple de comprendre l’incompatibilité existentielle qu’il y a entre terrorisme et humanitaire.

Et puis, soyons sérieux. Si on cherche à lutter contre le terrorisme, que l’on regarde du côté des États qui le soutiennent, des faiblesses qui le permettent et, malheureusement, des erreurs qui peuvent l’alimenter sans jamais le justifier.

On peut effectivement s’interroger quand on entend le Premier ministre et le Ministre de l’intérieur en France reconnaître que nous payons aujourd’hui des décennies de déni et de faiblesses.

Mais, il est une réflexion plus vaste qui doit nous interpeler. Est-ce que le terrorisme, qui est toujours condamnable, les technologies de l’intelligence artificielle, l’insécurité ambiante, le délitement de la cohésion sociale et nationale ne nous conduisent pas sur la pente dangereuse du traçage et du contrôle généralisé inspiré du modèle chinois où la liberté est en question comme nous l’annonçait, déjà, l’écrivain Georges Orwell.

Le Président de la République peut empêcher la paralysie de l’action humanitaire.

C’est dire si nous attendons une initiative disruptive du Président de la République, Emmanuel Macron, le 17 décembre à la CNH. Et l’essentiel pour nous est que prévale le Droit International Humanitaire (DIH) et par conséquent les Conventions de Genève et les Protocoles additionnels qui légitiment et protègent les humanitaires dans l’exercice de leur mission en zone de guerre. Et cela concerne les États comme les groupes armés non étatiques.

En conséquence, il semble essentiel que les acteurs humanitaires adhérant au DIH et aux principes humanitaires puissent disposer d’une clause d’exemption vis-à-vis des loi anti-terroristes dans les zones de guerre. Si la France veut montrer l’exemple dans cette voie, elle pourrait, comme le propose dans cette édition Françoise Bouchet-Saulnier pour MSF, inscrire cette disposition d’exemption humanitaire dans le code pénal français afin de protéger préventivement ses ressortissants qui pourraient à l’avenir en être victimes.

D’autres sujets importants sont à l’ordre du jour de la CNH (nexus humanitaire – développement – paix, dérèglement climatique, pont aérien humanitaire européen, Stratégie Humanitaire de la République Française, Fonds d’Urgence Humanitaire), et nous en rendrons compte dans notre prochaine édition au début du mois de janvier.

Pour la première fois, le Président de la République, Emmanuel Macron, participera à la Conférence Nationale Humanitaire et il faut saluer cette présence qui ne peut se satisfaire d’une initiative tiède, mais qui nécessite une déclaration disruptive à la hauteur de la liberté d’action indispensable aux secours humanitaires dans le monde.

Nous n’oublions pas que le Président de la République a déclaré aux Nations-Unies : « C’est pourquoi, avec les ONG françaises, avec nos partenaires internationaux, nous construisons une initiative pour assurer l’effectivité du droit international, la protection du personnel humanitaire et la lutte contre l’impunité ». Et d’ajouter : « La neutralité de l’action humanitaire doit être respectée et sa criminalisation endiguée ».

Nous ne pouvons qu’en espérer une traduction concrète.


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