Mobiliser le secteur privé pour démultiplier l’aide aux pays en crise
Article paru sur le site du journal Le Temps le 09/11/2017 par Claude Béglé
Alors que les crises humanitaires semblent se multiplier à l’heure des nouveaux moyens de communication, le conseiller national Claude Béglé propose une nouvelle approche de l’aide fondée sur un meilleur partenariat public/privé. Le Conseil fédéral vient d’accepter une motion en ce sens.
L’aide humanitaire est à revoir. C’est urgent. En effet, les crises humanitaires s’aggravent, leur impact international est amplifié avec Internet tandis que l’ONU veut rapidement améliorer nos conditions de vie. Pour cela, il nous faut gagner en efficacité. D’une part, nous devons «Repenser la philanthropie», comme le soulignait très justement ce journal récemment, c’est-à-dire professionnaliser l’utilisation des dons pour augmenter leur impact. D’autre part, nous devons mobiliser le secteur privé avec de nouveaux outils. L’effet de levier pourrait être considérable.
Aujourd’hui, les crises humanitaires se multiplient et durent de plus en plus longtemps (protracted crisis). La proximité inédite due à la globalisation rend les écarts entre régions prospères et déshéritées encore plus intenables. Car comme le notait récemment Peter Maurer, président du CICR, le téléphone portable est devenu aussi vital pour les réfugiés que l’eau et la nourriture. Enfin, il y a deux ans, 193 pays ont approuvé les 17 objectifs de développement durables de l’ONU qui visent à éradiquer la pauvreté, la faim, l’esclavage, et à promouvoir l’éducation, la santé, la justice… d’ici à 2030.
Les besoins financiers sont donc considérables. Le secteur privé, qui a toujours joué un rôle marginal dans l’aide aux pays pauvres, peut devenir un allié majeur.
Garantie publique pour fonds privés
Une première piste serait d’inciter des entreprises privées à investir, même dans des contextes a priori précaires, en réduisant certains risques politiques menaçant leur activité. Concrètement, l’aide publique au développement pourrait financer la prime d’un contrat d’assurance MIGA (l’agence multilatérale de garantie des investissements – filiale de la Banque mondiale), qui couvrirait des investissements privés contre des risques tels que nationalisation, inconvertibilité de la monnaie, rupture de contrat, perturbations dues à une guerre civile. Cela pourrait générer des projets de remise en état de réseaux d’eau potable en Syrie, de construction de logements, mais aussi d’hôpitaux, d’infrastructures électriques ou de communication. L’argent public permettrait de déclencher des projets clés d’un montant bien supérieur à la prime d’assurance. L’effet de levier serait conséquent.
Une deuxième piste est celle de «l’innovative/blended finance». Il s’agirait de créer un point de convergence entre l’action humanitaire et la logique des investisseurs afin de susciter des prêts. Trois exemples: 1) Allocation des fonds par tranches de rentabilité: l’accès aux tranches à forte rentabilité par le secteur privé est combiné à la prise en charge des tranches les moins rentables (voire à rentabilité négative) par l’Etat. 2) Principe du «pay-for-success»: la capacité future du programme à recueillir des fonds dépend de son efficacité (advance market commitments, development impact bonds, social impact incentives, vouchers). Se pose alors la question de la manière de mesurer cette «performance»: un projet actuel recense le nombre d’invalides équipés d’une prothèse. 3) Garantie ou assurance offerte par l’Etat qui limite le risque du projet et libère l’investissement.
Obligation à impact social
Une troisième piste consiste à développer les «humanitarian impact bonds», comme vient de le faire le CICR pour la première fois: des personnes privées placent leur argent dans des obligations à impact social. Ces obligations s’adressent à un public de convaincus car elles sont complexes et peuvent générer jusqu’à 40% de perte si le projet échoue. D’où les montants modestes récoltés à ce jour. Mais ces obligations ont le mérite d’avoir défriché une nouvelle voie.
Ces pistes sont prometteuses, mais de nombreuses questions restent toutefois à préciser. Comment évaluer le risque du projet? Quel est le business model pour une infrastructure d’abord mise à disposition de réfugiés et qui retourne ensuite à une gestion privée classique (par exemple: qui paie le loyer pour les réfugiés? Quel est le montant du loyer?). Quels types de projets privés pourraient à la fois répondre à l’urgence et aider le développement à long terme? Comment mesurer l’impact social d’un investissement? Comment éviter la critique de faire du business sur le dos des victimes?
On le voit, cette coopération public/privé ouvre des perspectives radicalement nouvelles, résumées dans une motion que le Conseil fédéral vient d’accepter. Les réactions déjà recueillies me font penser que cela va dans le sens de l’histoire.
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