L’humanitaire maritime : un incubateur de nouvelles approches
Article publié sur le site de l’IRIS le 06/06/2017 par Léonie Leborgne et Catherine Saumet
Depuis une décennie, les besoins humanitaires ne cessent d’évoluer, s’intensifiant et se complexifiant. [1] En 2015, selon l’UNHCR, 65.3 millions de personnes étaient déplacées. Parmi celles-ci, 21.3 millions sont des réfugiés au titre de la convention de 1951[2] et la très grande majorité d’entre eux le sont dans un pays voisin. Seule une minorité de 6% sont accueillis en Europe. Malgré cette faible proportion, la crise migratoire à laquelle est confrontée l’Europe depuis 2014 a contribué à mettre en avant les fragilités du système humanitaire traditionnel. En effet, cette crise, bien que faussement nouvelle[3], est de par les enjeux qu’elle recoupe difficilement appréhendée par les acteurs humanitaires traditionnels. Face à cette situation, de nouvelles approches de l’humanitaire émergent avec une implication grandissante des mouvements citoyens. L’espace maritime, offrant des conditions spécifiques à l’intervention humanitaire, est devenu le principal incubateur de ces nouvelles approches.
L’espace maritime : un espace plus propice aux actions humanitaires
Cette crise migratoire méditerranéenne a mis en perspective les spécificités de l’action humanitaire au sein de l’espace maritime : une action humanitaire obligatoire, flexible et simplifiée dans un milieu hostile où il n’est pas seulement question d’assistance, mais bien de survie. Cette survie dépend de l’entraide et de la coopération des marins, dont la solidarité constitue, historiquement, un impératif moral. Celui-ci est devenu une obligation légale, inscrite dans les différents textes relatifs au droit international de la mer et contribue grandement à faciliter les opérations d’assistance.
La convention des Nation unies sur le droit de la mer de Montego Bay de 1982, qui demeure la base du droit maritime actuel, précise les droits et devoirs des États côtiers et délimitent plusieurs zones maritimes selon le degré de juridiction des États sur celles-ci. Ils sont ainsi intégralement souverains sur la zone des eaux territoriales qui s’étend jusqu’à 12 miles marins au-delà des côtes. Hors des eaux territoriales, les restrictions de navigation sont moindres, voire absentes dans les eaux internationales à plus de 200 miles des côtes. Cette liberté de navigation offre une facilité d’accès aux personnes requérant une assistance, incomparable aux contraintes politiques, juridiques et administratives inerrantes à la terre ferme.
À cette liberté de mouvement s’ajoute des obligations légales d’assistance. Ainsi, chaque capitaine de navire a l’obligation de fournir une assistance à tout autre navire en détresse quelle que soit sa nationalité ou ses occupants et dans n’importe quelles zones maritimes. Seuls les bâtiments de guerre sont exempts de cette règle. Cette obligation d’assistance est définie par plusieurs conventions internationales : la convention SOLAS de 1974 qui décrit les obligations en matière d’équipements de sauvetage et rappelle l’obligation d’assistance[4] ; la convention Search and Rescue (SAR) de 1979[5] qui encadre la coordination des organisations chargées des opérations de recherches et de sauvetage sur terre et en mer ; et la convention SALVAGE[6] de Londres de 1989 qui pénalise la non-assistance en milieu marin.
L’humanitaire maritime : un incubateur de nouvelles approches
Ces spécificités maritimes d’accès facilité et d’assistance obligatoire ont permis l’apparition de nouvelles approches d’intervention. L’intensité de la crise, et par conséquent des besoins, a surpris les acteurs comme les États ou les ONG traditionnelles. Manquant de flexibilité et de réactivité, ces acteurs n’ont souvent pas su faire face à des besoins toujours plus conséquents.
Des mouvements citoyens, comme SOS Méditerranée, se sont ainsi spontanément créés pour faire face à l’urgence de la situation. Les acteurs publics ayant fortement réduit leurs opérations de sauvetage en Méditerranée, avec l’arrêt de l’opération Mare Nostrum en octobre 2014[7], ces dernières ont de plus en plus été assurées par des ONG, des acteurs privés et des associations, dont SOS Méditerranée. L’engagement citoyen ayant mené à la création de l’association met en lumière des formes simplifiées d’entraide. Cette forme de fonctionnement permet une plus grande réactivité avec l’implication de bénévoles et faisant appel aux compétences locales. Ainsi, les membres de l’association sont pour la plupart issus du milieu marin, qu’ils connaissent et maîtrisent.
Ces formes d’engagement illustrent aussi l’émergence de formes innovantes de financement, tel le financement participatif, qui permettent de répondre rapidement à un besoin. D’autre part, l’engagement souvent ponctuel et novateur de ces mouvements ne peut être que partiellement financé par les bailleurs traditionnels car il n’entre pas dans les catégories préétablies. Ces obstacles participent également à faire évoluer les modèles de financement.
Les spécificités du milieu maritime évoquées précédemment ont permis à ces nouvelles formes d’engagement de s’épanouir. Ainsi, se combinent sur un même théâtre l’action de mouvements citoyens spontanés basés sur du financement participatif et celle d’acteurs plus traditionnels comme les États ou les ONG. L’implication de personnes connaissant le milieu maritime au sein des mouvements citoyens est une valeur ajoutée pour les opérations et facilite la coopération avec les acteurs plus traditionnels (ONG, États, navires commerciaux).
Conclusion
Les spécificités du milieu marin ont rendu nécessaire et obligatoire l’assistance aux personnes en détresse. L’intervention humanitaire maritime se voit donc grandement simplifiée, par contraste avec les interventions terrestres soumises à de plus grandes restrictions et difficultés. Ces conditions particulières ont permis l’implication de mouvements citoyens spontanés qui sont devenus des acteurs incontournables des interventions maritimes. N’étant pas bénéficiaires des modes de fonctionnement traditionnels, ces mouvements ont par nécessité une plus grande liberté d’innovation, faisant ainsi évoluer les modèles de financement.
Malgré les difficultés inerrantes au milieu terrestre, ces évolutions – financement participatif, partenariats et coopération, capacités locales et citoyennes – pourraient inspirer l’ensemble du secteur humanitaire dans les années à venir. Des mouvements comme la campagne #HelpCalais pourraient se multiplier afin d’apporter une plus grande réactivité face à des situations de détresse humanitaires où les pouvoirs publics et les acteurs traditionnels sont parfois dépassés. À terme, à l’image de ceux opérant dans l’espace maritime, ces mouvements pourraient devenir des acteurs incontournables du secteur.
[1] Cet article se base sur des propos recueillis lors de la table ronde « Sauver les migrants, est-ce de l’humanitaire ? » qui s’est tenue à la Maison des Sciences de l’Homme, organisée par la Chaire « Exil et migrations », dirigée par Alexis Nuselovici du Collège d’études mondiales, avec des intervenants de l’IRIS et de SOS Méditerranée.
[2] Le terme de réfugié y est définit comme toute personne qui, « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».
[3] La crise dite des ‘boat-people’ dans les années 1970 ayant déjà permis d’observer un tel phénomène.
[4] Un chapitre « prévoit en outre l’obligation générale faite aux capitaines de se porter au secours de personnes en détresse et aux gouvernements contractants de veiller à ce que tous les navires soient pourvus d’effectifs suffisants en nombre et en qualité du point de vue de la sécurité. » Convention internationale de 1974 pour la sauvegarde de la vie humaine en mer
[5] Convention internationale de 1979 sur la recherche et le sauvetage maritimes
[6] Convention internationale de 1989 sur l’assistance
[7] L’opération Mare Nostrum lancée en octobre 2013 et menée par la marine italienne permettait d’effectuer des opérations de sauvetage au-delà des eaux territoriales européennes. L’opération Triton qui lui succèdera en novembre 2014 est menée par FRONTEX et se cantonne à des opérations dans les eaux territoriales et se destine plus spécifiquement à des missions de surveillance des frontières.
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