L’espoir envolé des printemps arabes
Article paru sur le site du journal Le Figaro le 04/02/2019 par Adrien Jaulmes
À une exception près, les révoltes qui ont secoué le Moyen-Orient en 2011 n’ont débouché que sur des répressions et des guerres civiles.
Au début de l’année 2011 éclatait dans le monde arabe une série de manifestations et de soulèvements populaires, vite baptisés le printemps arabe, en référence au «printemps des peuples» dans l’Europe de 1848. Ces mouvements portaient des espoirs d’ouverture politique face à des systèmes bloqués, autocraties ou dictatures. Ces espoirs ont depuis été largement déçus. En fait de démocratisation, les soulèvements débouchèrent sur des troubles de natures diverses. La chute des dictatures fut suivie dans trois pays d’Afrique du Nord, la Tunisie, l’Égypte et la Libye, par une poussée des islamistes. En Tunisie, la société civile parvint à enrayer leur pression. En Égypte, les islamistes remportèrent les élections avant d’être chassés du pouvoir par l’armée. En Libye, la chute de Kadhafi entraîna avec elle l’effondrement de ce qui tenait lieu d’État et une guerre civile qui dure jusqu’à aujourd’hui, sur fond de prolifération djihadiste.
Au Proche-Orient, les revendications démocratiques laissèrent vite la place à des affrontements structurés selon des rivalités confessionnelles. Au Bahreïn, le mouvement fut durement réprimé au nom de la solidarité sunnite. Mais c’est en Syrie et au Yémen que les conséquences furent les plus dramatiques, la contestation politique ayant viré à la guerre civile et confessionnelle.
La tournure prise par les événements fit vite conclure à l’impossibilité de toute réforme démocratique dans le monde arabo-musulman. La faiblesse des États ou les fractures confessionnelles profondes de certains pays jouèrent un rôle dans l’échec des aspirations des manifestants. Huit ans plus tard, les conséquences de cette secousse politique se font encore sentir.
● Tunisie, exemple et exception
Initiatrice du soulèvement, la Tunisie est aussi le pays qui en a le mieux géré les suites. Le geste désespéré d’un jeune marchand des quatre-saisons, Tarek Mohammed Bouazizi, qui s’immole par le feu après avoir été publiquement humilié par une policière le 17 décembre 2010, à Sidi Bouzid, dans le centre du pays, sert de déclencheur. Sa mort est suivie d’une série de manifestations qui s’étendent rapidement à toute la Tunisie, et virent au soulèvement populaire. La fuite du président Zine el-Abidine Ben Ali vers l’Arabie saoudite le 14 janvier 2011 suscite la stupéfaction en même temps qu’elle sert d’inspiration dans le reste du monde arabe. Mais après avoir servi de modèle, la Tunisie devient vite un cas à part. C’est en effet le seul pays où les aspirations démocratiques n’ont pas débouché sur un retour à la dictature ou sur une guerre civile. Trois élections générales ont eu lieu depuis la révolution de 2011, et les perdants ont à chaque fois admis le verdict des urnes, le parti islamiste Ennahda acceptant même de faire des concessions à ses rivaux laïques. Pourtant les difficultés rencontrées par la Tunisie rendent cette expérience fragile. Une crise économique persistante, un chômage massif, une population soumise aux influences de l’islam radical et une frontière avec une Libye où opèrent des groupes djihadistes font peser de grandes incertitudes sur l’exception tunisienne.
● L’Égypte, retour à la case départ
Quelques semaines après la Tunisie, le pays le plus peuplé du monde arabe, et plus ancien État de la région, bascule à son tour. Le soulèvement de la place Tahrir, qui occupe pendant trois semaines le centre du Caire, obtient le départ du président Hosni Moubarak le 11 février 2011. Rétrospectivement, l’événement apparaît plus comme une parenthèse que comme une rupture. Après la victoire des Frères musulmans, qui remportent l’année suivante les élections et placent l’un des leurs à la présidence, la réaction de l’armée est aussi habile que brutale. Au bout d’un an, en juin 2013, le président Morsi est renversé après des manifestations immenses accompagnées par un pronunciamiento, et remplacé par un nouveau militaire, le maréchal Sissi. Le retour de l’armée au pouvoir s’est accompagné d’une reprise en main assez brutale. Mais la crise économique rampante et la guérilla menée par les islamistes dans le Sinaï restent des facteurs de déstabilisation préoccupants.
● La Libye, l’état en décomposition
La révolution libyenne a été le premier des soulèvements de 2011 à se transformer en guerre civile. Les manifestations contre Kadhafi qui éclatent à Benghazi, la capitale de la Cyrénaïque, tournent vite au soulèvement armé. C’est aussi le premier cas où des forces étrangères interviennent dans le soulèvement, quand les forces de l’Otan, emmenées par la France et le Royaume-Uni arrêtent l’armée libyenne envoyée à la reconquête des régions rebelles. La première phase du conflit prend fin avec la mort de Kadhafi, massacré par les rebelles après que son convoi a été bombardé par l’aviation de l’Otan à Syrte. Mais la Libye, État pétrolier de création récente, et dont les institutions et l’appareil d’État ont été totalement phagocytés par quarante années d’une dictature fantasque, bascule assez vite dans une guerre civile généralisée entre milices rivales. Malgré son homogénéité confessionnelle et peut-être en raison de son étendue et de la richesse de ses ressources pétrolières, la Libye reste huit ans plus tard un pays fractionné, alors que des groupes djihadistes contribuent à déstabiliser la région, en Tunisie ou au Sahel.
● Le Yémen, la guerre à huis clos
Inspirées par les révolutions de Tunisie et d’Égypte, les manifestations qui éclatent au Yémen pour réclamer la démission du président Ali Abdallah Saleh, habile despote au pouvoir depuis plus de 20 ans, obtiennent sa démission en novembre 2011. Saleh est remplacé début 2012, par son ancien vice-président, Abd Rabbo Mansour Hadi, mais les forces centrifuges, tribales et régionales, traditionnellement puissantes au Yémen, reprennent de la vigueur avec le changement de pouvoir. Les groupes djihadistes et les tendances séparatistes sapent les tentatives de normalisation du nouveau gouvernement. En 2014, les houthistes, organisation politico-religieuse qui a participé aux protestations contre Saleh, se soulèvent. Ils chassent de Sanaa le président Hadi, puis s’emparent d’Aden. Effrayés par l’allégeance à l’Iran, réelle ou supposée, de cette branche yéménite du chiisme, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis interviennent militairement. Soumis à un blocus étroit, les houthistes résistent au corps expéditionnaire saoudien et émirien et à leurs alliés yéménites. Sans vainqueurs, ni vaincus, la guerre s’enlise depuis lors, faisant des ravages dans un pays qui était déjà l’un des plus pauvres du monde arabe. Affamée par le blocus, la population est victime de l’une des plus graves crises humanitaires contemporaines.
● La Syrie, de la guerre civile au conflit régional
Le soulèvement syrien, qui débute en mars 2011 avec l’arrestation et la torture d’adolescents ayant tracé des slogans hostiles au régime de Bachar el-Assad dans la ville de Deraa, s’est rapidement transformé en l’un des pires conflits du Moyen-Orient contemporain. D’abord pacifiques et désarmées, les manifestations sont férocement réprimées par les autorités. À mesure qu’elles virent à l’insurrection, la Syrie bascule dans une guerre civile de plus en plus structurée par les appartenances confessionnelles. Parallèlement, le conflit s’internationalise sur fond de rivalités régionales entre l’Iran et l’Arabie saoudite. Les insurgés, de plus en plus dominés par les islamistes et des groupes djihadistes, sont soutenus par les monarchies du Golfe et par la Turquie. Perdant le contrôle de provinces entières, le régime de Bachar doit son salut au soutien des Iraniens et de leurs alliés du Hezbollah libanais, puis de la Russie qui va jusqu’à intervenir directement en 2015. La décomposition de l’État syrien favorise l’émergence d’entités autonomes. Les djihadistes de l’État islamique proclament un califat à cheval sur la Syrie et l’Irak, alors que dans le nord-est de la Syrie les forces kurdes se taillent un proto-État d’inspiration marxiste, le Rojava. Parvenu à se maintenir grâce à ses soutiens extérieurs, le régime de Bachar el-Assad arrive peu à peu à reconquérir le terrain perdu sur les rebelles. Mais la guerre est loin d’être terminée, et la Syrie est exsangue. Les destructions sont immenses, des millions de Syriens ont été contraints à l’exil ou s’entassent dans des camps de réfugiés dans les pays voisins.
● Le Bahreïn, la révolte écrasée
Petit royaume insulaire du golfe Arabo-Persique, le Bahreïn voit des manifestations démocratiques éclater dans la capitale, Manama en février 2011. Mais les manifestants sont majoritairement chiites, comme la population du royaume, et s’opposent au pouvoir sans partage de la famille régnante, sunnite, les Khalifa. L’Arabie saoudite et les monarchies voisines qui craignent autant les appels à la réforme que l’influence de l’Iran sur le mouvement, interviennent militairement. En mars 2011, ils écrasent le campement que les manifestants ont installé place de la Perle, au centre de la capitale, et répriment brutalement le mouvement. Depuis une insurrection de basse intensité qui rappelle par certains aspects l’intifada palestinienne s’est installé dans les quartiers populaires, et les activistes sont pourchassés et emprisonnés par les autorités.
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