L’action humanitaire est-elle sous le règne des influenceurs ?

Article paru sur le site adn.eu le 29/01/2018

Deux campagnes de mobilisation sur le ring. D’un côté, la nouvelle génération à l’influence gigantesque tout droit sortie des internets, la Love Army de Jérôme Jarre qui œuvre en faveur du peuple Rohingya. De l’autre, la campagne de sensibilisation Soyons Humains portée par la fondation Abbé Pierre et Emmaüs Solidarité qui dénonce le mobilier urbain anti-SDF.

La Love Army, ou comment un influenceur a challengé les professionnels de l’humanitaire
Avec sa Love Army, Jérôme Jarre, influenceur savoyard de renommée mondiale, a cassé les internets. Il a réussi l’exploit de réunir plus de deux millions d’euros destinés aux réfugiés Rohingyas. Et pourtant, l’initiative a essuyé les critiques des acteurs de l’humanitaire qui ont dénoncé, notamment, un manque de connaissance du terrain.

Si ce débat reste pertinent, l’efficacité de la campagne de Jérôme Jarre interpelle

  • 400 000 tweets de plus que la campagne #SoyonsHumains de la fondation Abbé Pierre
  • 4 fois plus d’utilisateurs engagés.
  • 1,3 milliard d’internautes touchés.

Pourquoi Soyons Humains de la Fondation Abbé Pierre et Emmaüs Solidarité ne parvient pas à mobiliser autant que Love Army

Premier constat : les publics ciblés par les deux campagnes diffèrent. On le retrouve dans les biographies des comptes étant intervenus dans ces discussions. Forte de ses vidéos embarquées par des influenceurs maitrisant parfaitement les codes de Twitter, la Love Army atteint un public jeune et étudiant. Si la campagne de la Fondation Abbé Pierre et Emmaüs Solidarité rassemble en quelques jours des centaines de photos d’internautes sur Twitter, via le hashtag #SoyonsHumains, elle mobilise très majoritairement des militants et des acteurs politiques.

Le buzz ne fait pas la presse

Le nombre de tweets originaux sont toutefois relativement proches – 10 000 pour Soyons Humains et 19 000 pour la Love Army – mais le combat se joue au niveau du nombre de retweets. En effet, les tweets les plus partagés de la Love Army sont tous issus d’influenceurs.

Cela nous éclaire sur la mécanique vertueuse mise en place 

Une action collective coordonnée : la même vidéo est relayée par l’ensemble des influenceurs.
Une canalisation efficace des contenus : 65 % des publications sur le sujet utilisent le hashtag #LoveArmyForRohingya.

Résultat : 96% de retweets, soit un taux de reprise singulièrement élevé pour une campagne de communication

 

Les 3 tweets les plus relayés autour de la Love Army sont des vidéos

Véritable produit du Web, Jérôme Jarre s’est fait connaître avec ses micro-vidéos sur Vine et rapidement devenu un des français les plus suivis et populaires sur les réseaux sociaux, ce qui lui confère une force de frappe phénoménale. Ce capital sympathie créée par Jérôme Jarre et de sa Love Army permet à sa campagne de connaître une vélocité redoutable.

Bien que mobilisatrice, la campagne de Jérôme Jarre n’est pas parvenue à s’inscrire à l’agenda

Après le pic de médiatisation de #LoveArmyForRohingya, les discussions ne décollent pas.

Deuxième constat : cette vive mobilisation ne permet pas d’inscrire le sujet en profondeur dans le débat politique et médiatique. Les discussions ont disparu aussi vite qu’elles sont arrivées.

A l’inverse, la campagne #SoyonsHumains, a réussi à s’installer davantage dans la durée des conversations

À l’inverse, la campagne #SoyonsHumains tend à redynamiser les conversations.

La campagne #SoyonsHumains a fait l’objet de 966 articles d’actualités en ligne, et a été couverte par la presse quotidienne nationale. Autour de la Love Army, on recense 665 articles, et une typologie de médias plus alternative, notamment des médias musicaux et culturels.

Nouvelle grammaire : quelle place pour les associations et les organisations non-gouvernementales ?

Assistons-nous à une forme de cannibalisation des acteurs traditionnels de l’action humanitaire par des individus isolés qui activent leurs communautés de plusieurs centaines de milliers de personnes ? Plutôt que de s’opposer sur le champ de la mobilisation en ligne, ces acteurs ont fort à gagner à entrer dans une logique de complémentarité afin de compléter la force de mobilisation des uns avec expertise du terrain des autres.

Aujourd’hui, les influenceurs renouvellent les codes sémantiques en impulsant une certaine positivité : les emojis ❤ (200 000 occurrences) et ???? (100 000 occurrences) sont largement utilisés dans la campagne de la Love Army. À la culpabilisation des internautes et des acteurs traditionnels, on oppose une connivence et des sourires entre l’influenceur et les communautés. Le discours de preuve et de transparence est privilégié : une photo de puits prise à l’iPhone et publiée sur Twitter rend tangible l’effet de son don.

Si les associations parviennent aisément à mobiliser leur communauté, elles peinent à obtenir naturellement de la visibilité auprès d’un public plus large. Soutenus par des communautés grand public, larges et inter-connectées, les influenceurs n’ont eux pas de difficulté à soulever des foules d’internautes.

En plus d’une stratégie de Owned media riche de contenus interactifs, les associations ont donc tout intérêt à développer une stratégie Earned media en collaborant notamment avec des influenceurs pour bénéficier d’audiences plus larges. Ceux-ci donnent du poids à leurs messages sur des plateformes privilégiant, à travers leurs algorithmes, les contenus qui engagent le plus les audiences de manière organique.

Une stratégie Earned media à associer à la sponsorisation des publications sur les réseaux sociaux auprès d’une cible identifiée, pour faire face à la fin progressive de la portée naturelle sur le réseaux sociaux…

Cette mécanique a été celle utilisée par Emmaüs France pour sa campagne “L’horreur ne prend jamais de vacances”, visant à sensibiliser sur les conditions de vie tragiques des migrants en Méditerranée.

Au cœur de la campagne : une vidéo choc partagée sur les réseaux sociaux d’Emmaüs. L’association s’est également entourée de nombreux influenceurs pour relayer son message. C’est le cas par exemple d’Omar Sy, que l’on retrouve également au premier rang de la Love Army.

 

La campagne a rapidement connu un succès important sur les réseaux sociaux, notamment dans la sphère grand public. L’association a enfin eu recours à de l’achat média afin d’amplifier davantage la visibilité de son clip sur sa page Facebook. Avec un faible budget et un coût par vue de seulement 0,001€, la campagne de sponsorisation a ainsi permis de générer plus d’un million de vues supplémentaires. Au total (en couplant le trafic organique et payé), la publication aura été visionnée 1 783 614 fois et généré 29 263 interactions avec les internautes.

En combinant contenus riches (Owned media), relai par des influenceurs ciblés (Earned media) et sponsorisation des publications (Paid media), les associations s’assurent ainsi de maximiser la portée de leur campagne de mobilisation.

 


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