Kofi Annan, la mort d’un apôtre de la paix

Article paru sur le site du journal Le Figaro le 19/08/2018 par Maurin Picard

L’ex-secrétaire général de l’ONU et Prix Nobel de la paix a durablement marqué la diplomatie internationale.

Kofi Annan n’était déjà plus secrétaire général de l’ONU en février 2012, mais il avait accepté d’endosser une dernière responsabilité, pour alléger le fardeau de son successeur, Ban Ki-moon: mener une mission de bons offices en Syrie. L’aventure fut de courte durée, la mission impossible. Face à l’escalade de violences, redoutant que la poignée d’observateurs onusiens déployés sur le terrain ne soit prise pour cible, le Ghanéen Prix Nobel de la paix 2001 avait rapidement jeté l’éponge, déplorant les dissensions entre grandes puissances. «J’ai perdu mes troupes sur le chemin de Damas», avait-il lâché, mâchoire serrée. La paix hors d’atteinte, les armes allaient continuer de parler, pour longtemps.

Cet échec cuisant, celui d’une organisation dédiée à la paix dans le monde mais dépassée par une guerre atroce aux enjeux trop complexes, rappelait celui subi en Irak neuf ans plus tôt: Kofi Annan était alors le secrétaire général des Nations unies en exercice, et il avait consenti, non sans inquiétude, à laisser son ami brésilien Sergio Vieira de Mello prendre la tête de la mission onusienne à Bagdad. Fidèle aux préceptes d’un de ses prédécesseurs, Dag Hammarskjöld, Kofi Annan voulait «combler le vide» laissé par la chute du régime de Saddam Hussein. L’attentat de Bagdad, le 19 août 2003, dans lequel périt Vieira de Mello, confirma ses pires craintes. Lorsqu’il quitterait son poste, trois ans et demi plus tard, la tragédie irakienne, qu’il n’avait su empêcher ni écourter, pesait toujours sur ses épaules. Au point d’éprouver le besoin de «disparaître du monde» trois mois durant, avec sa femme, Nane, née Wallenberg, et se réfugier un temps dans le silence éthéré des montagnes italiennes.

Kofi Annan, décédé samedi 18 août en Suisse à l’âge de 80 ans, pourrait être l’homme de ces seules défaites, mais sa popularité intacte, sur les bords de l’East River (Manhattan), en dit long sur un double mandat (1997-2006) que beaucoup de fonctionnaires internationaux contemplent aujourd’hui avec nostalgie. À commencer par l’actuel patron de l’ONU, Antonio Guterres, pour qui Annan, par son autorité morale et sa promotion inlassable des droits de l’homme, «incarnait» les Nations unies. «J’ai eu le privilège de parler en son nom, confie l’actuel porte-parole, Stéphane Dujarric, mais aujourd’hui, il m’est difficile de trouver les mots. Il n’a jamais cessé d’œuvrer à faire de ce monde un monde meilleur pour les jeunes, comme il le disait.»

«Gentleman Kofi», comme l’appelait Bernard Kouchner, était un homme exquis «à la silhouette impeccable, aux allures de prince et d’une politesse que rien ne vient froisser». «Un timide contraint à la parole, qui jamais n’élève la voix» mais dont «le rire d’Afrique» résonnait parfois au 38e étage de la maison de verre, «lorsqu’il était en confiance». Une éducation britannique et des origines patriciennes lui avaient conféré cette aura bonhomme, qui lui valait souvent des applaudissements polis dans les rues de New York ou de Genève, sa dernière résidence, où il aimait arpenter en solitaire les rives du Léman.

Un brillant jeune homme

Pour Kofi Annan, l’aventure des Nations unies commence par une tragédie, en septembre 1961. Durant une visite estudiantine à New York, il apprend que Dag Hammarskjöld a péri dans un accident d’avion à la frontière du Congo. À l’aube de sa carrière internationale, Kofi Annan fait siennes les convictions du téméraire Suédois: la foi dans la diplomatie «silencieuse», et personnelle, pour renverser les montagnes et le droit de «s’inviter» dans une crise, au nom de l’article 99 de la charte des Nations unies aujourd’hui négligé, en offrant une porte de sortie pour les protagonistes, la médiation onusienne. Tandis qu’il entame sa carrière à l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) en 1962, le brillant jeune homme n’oubliera jamais de se référer à ce mentor spirituel, en se demandant systématiquement:«Qu’aurait fait Dag dans cette situation?» Il gravit les échelons pour devenir directeur des opérations de maintien de la paix (DOMP), sans pouvoir stopper le génocide du Rwanda (1994) ni le massacre de Srebrenica (1995).

Candidat des États-Unis, qui voyaient en cet homme issu du sérail onusien le remplaçant idéal (et lisse) du trop remuant Boutros Boutros-Ghali, Annan rejoint Hammarskjöld au rang des «mauvaises» surprises pour les grandes puissances. Héritant du «job le plus impossible au monde» en 1997, il se refuse à être «plus secrétaire que général» et défie ouvertement Washington sur l’Irak, dont il juge l’invasion «illégale». Une poignée de main controversée et un cigare fumé avec Saddam Hussein en 1998, puis une gestion hasardeuse du programme «pétrole contre nourriture» (1,8 milliard de dollars évaporés) terniront durablement son bilan, à la grande joie des néoconservateurs américains. Annan a pourtant relancé le processus de réforme d’une organisation septuagénaire et obsolète. En 2005, lors du sommet du Millénaire, il fait adopter le principe de la «responsabilité de protéger», succédané du «devoir d’ingérence» honni par les régimes autoritaires.

Après son départ des Nations unies, Kofi Annan n’allait pas tarder à reprendre du service. Suivant les émeutes sanglantes du Kenya en décembre 2007 (1000 morts, 300.000 déplacés), l’Union africaine fait appel à ses services. Après six semaines de consultations à Nairobi, un règlement de paix est esquissé. «Un génocide vient d’être évité», écrira Roger Cohen dans leNew York Times. Suivront la naissance de sa fondation éponyme, visant à promouvoir la bonne gouvernance et la transformation de l’agriculture en Afrique, puis sa nomination à la présidence du club très fermé des «Anciens pour la Paix» imaginé par Nelson Mandela. Il se trouvait encore à Johannesburg, le 17 juillet, pour célébrer le centenaire de la naissance de «Madiba», s’affichant aux côtés de Barack Obama. «Je suis un indécrottable optimiste, je suis né ainsi et je le resterai», confiait «Gentleman Kofi» à la BBC pour son 80e anniversaire, le 8 avril. Ajoutant que cette ONU si «imparfaite» et tant décriée «pouvait être améliorée», bien sûr. «Mais si elle n’existait pas, il faudrait l’inventer.»


«De bien des manières, il était les Nations Unies»

De son afrique natale à l’Amérique, les grands dirigeants ont multiplié les hommages au diplomate ghanéen, ancien secrétaire général de l’ONU et Prix Nobel de la paix.

● Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU

«De bien des manières, Kofi Annan était les Nations unies. Il en a gravi les échelons jusqu’à diriger l’organisation et la faire entrer dans le nouveau millénaire avec une dignité et une détermination sans égales.»

● Desmond Tutu, archevêque anglican sud-africain, Prix Nobel de la paix

«C’était un remarquable être humain qui a représenté notre continent et le monde avec une immense grâce, intégrité et distinction.»

● Barack Obama, ancien président des États-Unis

«Kofi Annan était un diplomate et un humanitaire qui incarnait la mission des Nations unies comme peu d’autres l’ont fait. Son intégrité, son abnégation, son optimiste et son sens de notre humanité commune ont toujours guidé son action envers la communauté des nations.»

● Emmanuel Macron, président de la République française

«La France lui rend hommage. Nous n’oublierons jamais son regard calme et résolu, ni la force de ses combats.»

● Nana Akufo-addo, président du Ghana

«Il a considérablement contribué au renom de notre pays par sa position, par sa conduite et son comportement dans le monde.»


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