Pour un fonds d’urgence humanitaire permanent

Article publié sur le site du journal Le Temps le 16/05/2017 par Yves Sandoz

Le professeur Yves Sandoz en appelle à un sursaut de responsabilité pour venir en aide aux victimes des guerres et des famines. Un fonds doté de 4 à 5 milliards de dollars serait la solution

Le 22 février de cette année, le secrétaire général de l’ONU avait lancé un cri d’alarme face à une famine qui était déjà une réalité dans certaines parties du Soudan du Sud et qui menaçait en Somalie, au Yémen et dans le nord-est du Nigeria: «Des millions de personnes luttent déjà contre la malnutrition et la mort», avait alors averti Antonio Guterres, qui sollicitait 4,4 milliards de dollars de toute urgence. Eclipsé par la crise syrienne, son appel n’avait reçu qu’une réponse très insuffisante. Le CICR et d’autres organisations humanitaires ont alors sonné l’alerte, de même que la Chaîne du bonheur.

La conférence qui vient de se tenir sur la situation particulièrement dramatique du Yémen a enfin permis d’obtenir des promesses de contributions plus importantes, mais sans garantie qu’elles soient tenues. Comment justifier ces tergiversations de la communauté internationale quand la vie de millions de personnes est directement menacée par la famine?

4 à 5 milliards de dollars

De nouvelles grandes crises humanitaires sont inéluctables, notamment du fait de la croissance démographique, du réchauffement climatique, des migrations et des tensions produites par celles-ci. Faudra-t-il donc à l’apparition de chacune d’entre elles assister au triste spectacle d’une réponse tardive et insuffisante aux appels désespérés de ceux qui sont plongés au cœur de ces situations? N’est-il pas possible de constituer un fonds d’urgence permanent qui permettrait de faire face sans délai à ces tragédies annoncées?

Le Forum de Davos ne serait-il pas un lieu où devrait se manifester la «mondialisation de la responsabilité»?
En termes financiers, on parle de 4 à 5 milliards de dollars. Cette somme est certes importante mais elle représente moins que: l’amende que VW doit payer aux Etats-Unis; le revenu annuel de dizaines de milliardaires; le bénéfice d’une bonne centaine d’entreprises; le centième du budget militaire des Etats-Unis… Si peu de liens qu’ils aient entre eux, ces chiffres doivent alimenter notre réflexion. Comment expliquer que la communauté internationale ait tant de difficulté à réunir une somme dérisoire à l’échelle planétaire pour sauver des millions de vies?

Certes, comparaison n’est pas raison et l’on ne peut jeter la pierre aux multimilliardaires, aux entreprises les plus rentables ou aux gouvernements des pays riches sous prétexte qu’ils auraient chacun les moyens de fournir cette somme. Et il s’agit encore moins de dénigrer l’action remarquable de la Chaîne du bonheur, ni de décourager chacun d’entre nous à verser son obole aux organisations qui s’engagent de leur mieux sur le terrain au prix de lourds sacrifices. Mais il y a une question d’échelle et l’on confond trop facilement millions et milliards. La Chaîne du bonheur a réuni plus de 11 millions: c’est un très beau résultat et l’on se doit de garder cette possibilité donnée à chacun d’entre nous de manifester sa solidarité à la mesure de ses moyens. Mais cela représente le 400e de la somme requise.

La «mondialisation de la responsabilité»

Le Forum de Davos, notamment, qui s’est donné l’ambitieuse mission d’«améliorer l’état du monde» et qui réunit un grand nombre de riches acteurs, ne serait-il pas aussi un lieu où devrait se manifester la «mondialisation de la responsabilité» appelée de ses vœux par Cornelio Sommaruga, l’ancien président du CICR, et où pourrait se concrétiser l’idée d’un fonds d’urgence permanent? Il ferait en tout cas ainsi l’utile démonstration que ce lieu de dialogue donne aux puissants de ce monde conscience de cette responsabilité… et pas seulement bonne conscience.

Car si, insensible au regard vide d’enfants décharnés, la communauté internationale est incapable de se mobiliser pour sauver des millions d’êtres humains, force sera de conclure, paraphrasant Hamlet, qu’il y a quelque chose de pourri dans notre «village global»!

Yves Sandoz est professeur honoraire de droit international humanitaire


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