« Il faut une loi pour protéger les Chrétiens d’Irak comme les Indiens d’Amérique »
Article paru sur le site du Figaro
Monseigneur Habib Hormuz Al-Naufali est archevêque dans le diocèse de Bassora dans le sud-est de l’Irak, où une poignée de chrétiens lutte contre l’extinction. Il alerte sur la situation tragique de son pays et appelle l’Occident à agir.
Monseigneur Habib Hormuz Al-Naufali est l’archevêque chaldéen de la ville de Bassora (sud-est de l’Irak). Il est en France pour quelques jours à l’occasion d’un double concert donné par le chanteur Grégory Turpin, au profit de son diocèse, pour la construction d’une école multiconfessionnelle à Bassora. Les deux concerts, organisés en partenariat avec l’association Fraternité en Irak, auront lieu dimanche 27 novembre au Trianon à 16h et 20h.
LE FIGARO. – Vous êtes archevêque de la ville de Bassora, dans le sud-est de l’Irak. Comment qualifierez-vous la situation des chrétiens dans votre pays?
MSG AL-NAUFALI. – Les chrétiens souffrent, ils souffrent depuis longtemps. Une mentalité s’est instaurée chez beaucoup de musulmans selon laquelle ils seraient des citoyens de seconde zone. Il n’y a plus de système laïc dans notre pays, la tradition islamique s’installe jour après jour. Seul le Kurdistan échappe à cette évolution et est un peu plus laïc. La situation a empiré avec l’invasion américaine de 2003, et maintenant la guerre civile et Daech. Tout cela a chassé plus de 80% des chrétiens d’Irak, c’est-à-dire plus d’un million de personnes, qui ont été disséminées dans soixante pays différents. C’est un génocide.
Votre région n’est pourtant pas sous le régime de Daech…
Daech ne fait que pratiquer une théorie qui existe ailleurs, dans beaucoup de mentalités. Nous sommes très faibles dans le sud. Nous étions 2000 familles il y a dix ans, aujourd’hui nous ne sommes plus que 400, répartis dans 3-4 villes. Beaucoup de gens ont de la famille émigrée à l’étranger, qui fait pression pour les pousser à quitter le pays. Nous sommes tristes, car nous perdons notre culture, notre héritage, nos biens.
Quel genre de persécutions subissez-vous?
Ce sont des persécutions physiques et psychologiques. Par exemple, il y a un mois, un chrétien a été abattu par un gang parce qu’il vendait de l’alcool. Il est très difficile de trouver un emploi, car ils demandent aux chrétiens d’apporter une lettre de recommandation du parti, mais nous n’avons que nos églises, et ça ne compte pas.
Quand est-ce que la situation a commencé à se dégrader pour les chrétiens dans la région?
Ces persécutions envers les minorités sont continuelles dans la région, avec plus ou moins d’intensité. Au XIXème siècle, ça a commencé dans le sud de la Turquie, puis il y a eu le génocide des Arméniens après la première guerre mondiale, puis le massacre des Chaldéens en 1933 en Irak, puis l’exode des Juifs d’Irak en 1948 avec l’indépendance d’Israël, puis dans les années 1970 Sadam a détruit 63 villages chrétiens, nous avons sacrifié plus de 10000 jeunes hommes chrétiens dans la guerre contre l’Iran.
La situation était-elle meilleure sous le règne dioctatorial de Sadam Hussein?
On ne peut pas dire ça, nous avons aussi de nouveaux droits aujourd’hui que nous n’avions pas auparavant. Mais l’Etat est faible. Avant il n’y avait qu’un dictateur à qui s’adresser, aujourd’hui, ce sont des dizaines de petits dictateurs qui gèrent le pays. Des leaders tribaux, religieux, des chefs de gangs. La situation est devenue encore pire avec l’invasion américaine en 2003. Entre 2004 et 2009, il n’y avait plus de police, plus d’Etat pour nous protéger. Et puis, avant, il n’y avait pas de visas ni d’avions pour fuir le pays. Les chrétiens d’Irak serraient les dents, se sacrifiaient, fuyaient du Nord au sud ou du Sud au nord. Mais maintenant, ils partent tous en Occident, en Allemagne, en Suède, en France, qui les acceptent.
Comprenez-vous ces gens qui partent?
Oui, mais la plupart des familles de la diaspora ne sont pas heureuses. Elles sont dans une lutte continuelle, pour ne pas perdre son héritage, pour s’intégrer dans des sociétés qui sont très différentes. Comment s’intégrer? A la fin, ils finiront par disparaître. Ils ne savent plus parler l’araméen, la langue du Christ, ils perdent leurs coutumes, et même la foi.
La coalition est actuellement en train de libérer la plaine de Ninive. Pensez-vous que les chrétiens chassés vont pouvoir rentrer chez eux?
Une fenêtre d’espoir a été ouverte dans la plaine de Ninive. Mais ils auront besoin de temps, pour retrouver et reconstruire ce que Daech a détruit. Ils auront besoin de soutien de la part du gouvernement, des associations, de l’Eglise. Le gouvernement irakien est trop faible, c’est à peine s’il arrive à se protéger lui-même. Il faut un pouvoir fort pour protéger les minorités. Nous avons besoin d’une loi nationale pour protéger les chrétiens d’Irak en tant qu’autochtones comme il y a une loi pour protéger les Indiens d’Amérique ou les aborigènes en Australie.
Avez-vous de l’espoir?
Nous chrétiens, pensons que le soleil finit toujours par se lever. L’Ouest doit apporter son soutien aux musulmans modérés, ouverts aux autres, qui croient à la diversité. Pas les Frères musulmans qui ne reconnaissent pas les chrétiens. Jusqu’à aujourd’hui, l’université Al-azhar refuse de condamner Daech efficacement. Ils ont dit que Daech était contre l’islam, mais ils n’ont pas condamné ces persécutions contre les chrétiens. Quand des leaders religieux disent à La Mecque que les chrétiens et les juifs sont des singes et des porcs, il y a un problème.
Il y a une forte minorité chiite dans votre région. Est-il plus facile de dialoguer avec les Chiites?
Oui, je les aime beaucoup, j’ai d’excellents rapports avec les leaders chiites de ma région. On construit un dialogue, ils respectent Jésus, et nous demandent de rester à Bassarah. Mais ils ont du mal à se dresser contre les radicaux.
Qu’attendez-vous de la communauté internationale?
Nous sommes tristes d’être autant délaissés. Nous avons de l’aide des églises occidentales, de certaines associations. Mais c’est comme un bouquet de fleur ou la boite de chocolats que vous apportez au chevet d’un grand malade à l’hôpital. Nous avons besoin que l’ONU prenne cette question au sérieux. Caritas une association censée être catholique n’a pas versé un centime aux chrétiens de ma région. Je leur ai écrit à plusieurs reprises, sans réponse. Il y a une hypocrisie, une diplomatie du double visage en Occident. Beaucoup de paroles, peu d’actes. Plus tard, quand des écrivains se pencheront sur ce moment historique que nous sommes en train de vivre, ils écriront peut être: honte à vous.
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