Douglas Murray : «Sur les migrants, que cela plaise ou non, l’Italie sera un test»

Article paru sur le site du journal Le Figaro le 29/08/2018 par Alexandre Devecchio

Le journaliste et essayiste britannique, auteur du best-seller L’Étrange Suicide de l’Europe. Immigration, identité, islam, jette un regard sombre sur la crise migratoire et l’attitude de la plupart des gouvernements européens.

LE FIGARO. – Le sujet de l’immigration est en train de créer une fracture profonde en Europe. Tout homme ou femme venant de l’étranger semble être automatiquement inclus dans la catégorie «migrants» ou «réfugiés». Mais les situations ne sont-elles pas très différentes d’une personne à l’autre?

Douglas MURRAY. – La plupart des médias européens, et de nombreux politiciens, sinon la plupart, utilisent jusqu’aux mots de «migrants» et de «réfugiés» de manière interchangeable. Par exemple, ils parlent de la crise des «réfugiés» de 2015, or ces événements étaient en fait une crise «migratoire». Certes, il y avait des réfugiés dans le nombre. Mais les propres chiffres de l’Union européenne, issus de l’agence Frontex, montrent que l’essentiel des personnes arrivées en 2015 (au moins 60 %) n’avaient pas plus de droits que quiconque dans le reste du monde d’être en Europe. Pour leur propre convenance, la plupart des politiciens ne prennent pas la peine de différencier ces deux choses. Ou bien ils le font en parole, mais pas dans leurs actions. Et la plupart des médias – parce qu’ils font campagne ou parce qu’ils sont paresseux – sont très heureux d’induire leurs lecteurs et leurs téléspectateurs en erreur. Mais oui, ce sont effectivement des situations très différentes.

L’indistinction entre migrants économiques et réfugiés a-t-elle encore compliqué le débat sur ce sujet?

Certainement. Chose curieuse, les militants les plus enclins à confondre ces deux aspects sont les partisans des «frontières ouvertes», en particulier ONG et journalistes qui aiment se présenter comme de grands humanitaires (même si ces humanitaires attendent des autres qu’ils règlent leurs factures). Ceux-ci ont cherché à présenter tous ceux qui viennent en Europe comme des demandeurs d’asile désespérés. Pourtant, quelqu’un qui fuit la guerre civile syrienne n’est pas dans la même situation qu’une personne d’Afrique subsaharienne qui cherche à améliorer son niveau de vie. La privation économique est une chose terrible, c’est certain. Mais ce n’est pas la même chose que de fuir un nettoyage ethnique. Les assimiler est un désastre à long terme. Car tous les sondages montrent que les Européens sont très bien disposés envers les véritables demandeurs d’asile. Les mélanger avec les migrants économiques en vue d’hypothétiques avantages politiques à court terme produira rapidement une baisse très nette de l’empathie des Européens pour tous, y compris pour les plus démunis.

N’est-ce pas en distinguant clairement ces deux situations que nous pourrions protéger correctement le droit d’asile?

Oui, mais il y a une vérité plus sombre. C’est que l’Europe ne peut pas même accueillir tous ceux qui sont, dans le monde, de véritables demandeurs d’asile. Nous pourrions nous porter volontaires pour accueillir tous les Syriens qui vivent dans des camps de réfugiés au Liban, en Jordanie et en Turquie. Nous ne le faisons pas parce que nous préférons qu’ils ne viennent pas. Mais quel politicien oserait faire remarquer que nous préférerions, à juste titre, que les Syriens restent près de leur pays et ne gagnent pas l’Europe? Il y a une telle hypocrisie dans tout cela. Regardez l’accord que nous avons conclu avec la Turquie. Nous payons un pot-de-vin massif au calife Erdogan. Et en retour, il tient un fusil sur la tête de l’Europe.

J’ai déjà demandé à l’un des partisans d’Angela Merkel pourquoi l’Allemagne n’avait pas fait venir plus de migrants directement depuis les camps de Grèce et d’ailleurs. S’ils croient tellement en leur politique, pourquoi ne le font-ils pas? Sa réponse a été que le flux de personnes a ralenti et qu’il n’est pas nécessaire de le faire. En réalité, il a ralenti à cause d’un énorme chèque allemand. Pourquoi nous mentons-nous à ce sujet? Notre politique de ces dernières années n’a été ni planifiée ni équitable: elle a été aléatoire et chaotique et a profité à plusieurs reprises à ceux qui enfreignent la loi et non à ceux qui ont fait la queue. Nous avons puni ceux qui ont suivi les règles et récompensé tous ceux qui ne l’ont pas fait.

Une fois arrivés en Europe, les migrants qui n’ont pas été déclarés éligibles au statut de demandeurs d’asile doivent-ils être renvoyés?

Bien sûr. Si quelqu’un est venu et qu’il n’a pas le droit d’être ici, il devrait être renvoyé. Certes, les questions juridiques et le nombre de dossiers sont désormais redoutables. La tâche est incroyablement difficile. Que cela nous plaise ou non, l’Italie sera un test. Matteo Salvini s’est engagé à renvoyer un demi-million de personnes qui se trouvent en Italie illégalement. Bonne chance à lui. Mais je pense que cela se révélera impossible. La presse du monde entier surveillera tous les détails. Chaque scène malheureuse sera diffusée par les télévisions des cinq continents. Les gens diront que les Italiens se comportent comme des nazis. La pression internationale augmentera. Tout le monde sera encouragé à revenir au désastreux statu quo actuel. Pour que M. Salvini réussisse à gérer cela avec humanité, ce ne sont pas seulement les médias européens, mais aussi les citoyens européens qui doivent se comporter de manière responsable et honnête.

Les 28, soumis au droit européen, ont-ils les moyens de faire appliquer leurs lois?

Les lois sont en place dans la plupart des pays, mais il n’y a pas de volonté politique pour les appliquer. En particulier pour empêcher les migrants clandestins de déposer un recours en justice à la dernière étape de la procédure avant de disparaître. C’est ce qui se passe en Suède. Par ailleurs, même pour les vrais demandeurs d’asile, j’estime utile de discuter de la question de savoir si l’asile doit être permanent. La Suède compte encore de nombreuses personnes arrivées dans les années 1990 en tant que véritables demandeurs d’asile fuyant la guerre civile dans l’ex-Yougoslavie. Leur pays natal est en paix depuis plus de deux décennies et la question de savoir ce qu’ils font encore en Suède me paraît pertinente. De façon générale, nous tous, en Europe, attendrons que la situation empire, tout en prétendant que tout va bien et en essayant de faire taire toute personne qui dit le contraire. Un jour, ce ne sera plus dissimulable. Et nous allons paniquer.


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