« Au Sahel, respecter et faire respecter l’espace humanitaire »

Article paru sur le site du journal Le Monde le 18/11/2019 par Patrick Youssef

Directeur régional adjoint pour l’Afrique au CICR, Patrick Youssef rappelle les défis posés par la fragmentation des conflits, notamment au Burkina Faso, au Mali et au Niger.

Alors que les dirigeants africains et étrangers, ainsi que des ministres et militaires haut gradés, se réunissent à Dakar pour discuter de la paix et de la sécurité en Afrique, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) rappelle les défis posés par la fragmentation des conflits et encourage les Etats et leurs partenaires à jouer un rôle positif afin de préserver l’espace humanitaire.

Ces derniers mois, la situation a continué à se dégrader dans le nord du Burkina Faso où la violence armée a notamment poussé près d’un demi-million de personnes à prendre la fuite pour trouver refuge ailleurs dans le pays. Les structures médicales ont été particulièrement affectées par ces violences : près d’une centaine de centres de santé ont dû fermer.

Plus largement dans la région du Sahel, les violences et les kidnappings contre les acteurs humanitaires se sont multipliés. L’émergence de nouveaux groupes et leur fragmentation ont rendu de plus en plus difficile l’obtention de garanties pour se déplacer dans les zones affectées par la violence. Au cours de l’année, au Mali et au Niger, les organisations humanitaires, y compris le CICR, ont enregistré des actes de violences, attaques et menaces visant leurs personnels, leurs moyens de transport et leurs installations.

Secours à caractère impartial

En août, le CICR a dû suspendre temporairement ses activités dans la région de Tombouctou, le temps d’évaluer la situation et d’obtenir les garanties nécessaires à la sécurité de ses équipes. A cela sont venues s’ajouter d’autres mesures ou restrictions ayant pour effet de limiter fortement voire de suspendre l’acheminement d’envois de secours à caractère impartial et humanitaire aux personnes civiles privées de biens essentiels à leur survie.

Aujourd’hui, au Burkina Faso, au Mali et au Niger, plus de cinq millions de personnes dépendent entièrement de l’assistance humanitaire. Il s’agit de centaines de milliers de familles dénuées de tout, ayant fui les violences, ayant perdu leurs foyers et tout moyen de subsistance. Dans ces contextes, le CICR soutient les structures de santé, distribue nourriture et semences, réhabilite les points d’eau, vaccine le bétail contribuant ainsi à l’amélioration de (sur) vie de 2 millions de personnes. Mais les besoins demeurent colossaux et la nécessité d’un espace humanitaire est cruciale.

Faut-il rappeler que le respect de la mission médicale ou de secours est une obligation en tout temps et en toutes circonstances ? Personnel et moyens sanitaires sont protégés par le droit international humanitaire, protection symbolisée sur le terrain par des emblèmes distinctifs comme la Croix-Rouge ou le Croissant-Rouge. Ils imposent aux belligérants non seulement de ne pas inquiéter ou entraver la mission de secours mais au contraire de lui faciliter l’accès.

Neutralité et indépendance

Faire respecter le droit international humanitaire est un travail de longue haleine, un processus long, pour convaincre les parties à un conflit de garantir l’espace humanitaire, espace où il n’y a de place que pour les victimes et ceux qui les assistent. Partout où il opère, le CICR n’a de cesse de rappeler ces obligations. Par expérience, il apparaît que plus les règles de la guerre sont respectées par les belligérants, plus les chances données à la paix voire de se construire une réconciliation sont grandes.

En Afrique, en plus de son dialogue permanent avec les Etats et leurs partenaires, le CICR, fort de sa neutralité, de son indépendance et de son impartialité, entretient le contact avec quelque 256 groupes armés non étatiques. Rechercher sans cesse de l’influence auprès des parties en conflit ou de leurs soutiens, jouer de persuasion pour convaincre chaque camp de garantir l’espace humanitaire, rappeler sans cesse l’obligation de « respecter et de faire respecter en tout temps et en toutes circonstances » (article premier commun aux quatre Conventions de Genève de 1949, dont 196 Etats sont aujourd’hui parties) le droit international humanitaire, sont autant de missions, de mythes de Sisyphe parfois, que le CICR se doit d’accomplir partout où se trouvent des victimes.

Ces efforts et cette opiniâtreté sont parfois récompensés, mais l’enchevêtrement des situations de violence et la complexité des conflits contemporains ne laissent guère de place à l’optimisme. Espérons néanmoins que ce 6e Forum international de Dakar sur la paix et la sécurité en Afrique, consacré cette année aux défis du multilatéralisme, saura accorder en son enceinte un espace à l’humanitaire, à son action et à son droit.


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