« Non, Bachar Al Assad n’est pas le bouclier des Chrétiens d’Orient »
Au sein de la guerre qui déchire la Syrie depuis cinq ans, le sort des chrétiens d’Orient a particulièrement ému l’opinion publique française.
Hind Kabawat, nous donne son point de vue de chrétienne syrienne et membre de l’opposition syrienne. Elle est négociatrice au sein du Haut Comité des Négociations de l’opposition syrienne et directrice des Études pour la construction de la paix interreligieuse à l’Université George Mason (États-Unis)
La solidarité des Français avec les chrétiens d’Orient s’est manifestée de manière constante ; un véritable mouvement s’est déclenché pour les sauver de la persécution et de la mort. Dans le même temps, un malentendu s’est progressivement installé.
Face à la progression de l’État islamique et à la présence de groupes armés djihadistes sur le territoire syrien, Bachar Al Assad a endossé le rôle de protecteur des chrétiens d’Orient. Les paroles reconnaissantes envers Bachar tenues par le Patriarche de Damas devant une délégation de parlementaires français ont renforcé, pour l’opinion publique, cette idée que Bachar serait le dernier rempart contre la submersion de l’État islamique promettant une mort certaine aux chrétiens d’Orient.
Les raisons du soutien à Bachar Al Assad
L’attachement historique des Français aux chrétiens d’Orient est ainsi devenu peu à peu une raison de soutenir Bachar Al Assad dans le conflit syrien – non par parce que l’on ignore ou pardonne ses crimes, mais parce qu’entre deux calamités, il apparaît comme la moins redoutable – non seulement pour les chrétiens, mais aussi pour d’autres minorités. Le soutien russe est venu cautionner cette vision des choses, car Vladimir Poutine se pose lui aussi en défenseur des chrétiens.
C’est sur ces bases que s’est cristallisée une partie de l’opinion publique française, notamment à droite de l’échiquier politique. L’axe chrétiens-Bachar-Poutine est devenu la colonne vertébrale d’une lecture géopolitique et culturelle du conflit syrien. Face à cet axe semble n’exister que Daech, l’opposition syrienne étant, selon les cas, ignorée ou méprisée.
Non, Bachar Al Assad n’est pas le protecteur des Chrétiens d’Orient
En tant que chrétienne, Syrienne et membre de l’Opposition syrienne aujourd’hui organisée en Haut comité des négociations, il me paraît essentiel que ce malentendu se dissipe rapidement. Non, Bachar Al Assad n’est pas le protecteur des chrétiens d’Orient. La vérité est qu’il est maître dans l’art de manipuler les minorités. Il a enfermé les chrétiens d’Orient dans une alternative intenable : manifester leur soutien à un régime que nombre d’entre eux haïssent, ou bien être livrés à la folie sanguinaire des djihadistes. La répression exercée par Bachar sur son peuple n’a jamais épargné les chrétiens. En remettant en liberté les terroristes emprisonnés pour qu’ils aillent grossir les rangs de Daech en Syrie, Bachar a polarisé le conflit syrien et enfermé les chrétiens dans des alternatives inacceptables.
Beaucoup de Chrétiens syriens sont des opposants à Bachar Al Assad
Il a notamment pu faire croire à l’opinion occidentale que sa seule opposition, c’est Daech et les milices qui en sont proches. Il a effacé de la perception occidentale une réalité pourtant évidente : entre les soutiens d’un régime sanguinaire et les djihadistes-terroristes se trouve une très nombreuse frange de la population qui ne demande qu’à vivre dans un État de droit, où les pratiques religieuses minoritaires seraient respectées. Que cela plaise ou non, de très nombreux chrétiens syriens sont bel et bien des opposants à Bachar Al Assad et refusent d’être pris en otage par sa propagande. L’opinion publique occidentale ne saurait davantage rester captive d’une vision binaire du conflit syrien. Pas plus qu’il n’en protège les Chrétiens, Bachar ne protège pas l’Occident de Daech. Il nourrit cette bête hideuse, la fait grandir, car elle sert in fine sa cause.
Sur le chemin de la démocratie ?
La décision de Vladimir Poutine de retirer les troupes russes de Syrie a surpris tout le monde. Beaucoup pensaient que le soutien de Vladimir Poutine au régime de Bachar Al Assad était intégral et éternel. Ils se sont trompés. Cette évolution démontre que la situation en Syrie est bien plus complexe qu’il n’y paraît. Elle démontre aussi que l’Opposition syrienne n’est pas le ramassis de demi-terroristes que décrit le régime mais une organisation représentative qui tient son rang dans les négociations en cours à Genève, et les Russes l’admettent officiellement. Pour les chrétiens d’Orient, l’espérance est bien davantage dans la réussite de ce processus de paix que dans le maintien de Bachar. Pour la première fois depuis des années, ils voient se profiler la possibilité d’une Syrie prenant le chemin la démocratie et leur permettant de vivre leur identité librement, au lieu de la vivre sous le chantage cruel du régime ou la menace mortelle des terroristes.
Les chrétiens d’Orient ont besoin que l’opinion publique française comprenne que Bachar n’est pas leur bouclier. Ils ont besoin qu’elle les accompagne dans ce processus complexe et fragile, qu’elle ait confiance dans ce que les Syriens veulent pour eux-mêmes au lieu de les enfermer dans des impasses qui sont en réalité toujours la même impasse : celle du totalitarisme.
Article publié sur le site du journal La Croix
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