«Usages de la symbolique dans les relations internationales».
Article paru sur le site l’Opinion le 16/07/2019 par Frédéric Charillon
L’usage de la symbolique fait partie intégrante de l’art politique. En donnant au défilé du 14 juillet une tonalité européenne, en permettant à Angela Merkel de voir défiler ses propres troupes (dans un exercice typiquement français, on le rappelle assez souvent) à ses côtés et aux côtés d’un noyau dur de quelques autres partenaires, pour le centenaire du défilé de la victoire de 1919, Emmanuel Macron a lui aussi usé de ce registre.
De l’emplacement de l’ambassade américaine en Israël jusqu’au choix du premier voyage officiel de tel chef de l’exécutif, en passant par quelques décisions spectaculaires bien qu’ayant peu d’impact sur le cours du monde (l’embargo français sur les armes à destination d’Israël en 1967, l’invasion de la Grenade par les Etats-Unis en 1983…), on pourrait même avancer que les relations internationales sont essentiellement faites de symboles, lancés en pâture au public. Le reste étant composé de processus routiniers et peu visibles.
Faut-il voir alors dans l’usage de la symbolique une seule rhétorique destinée à masquer l’essentiel, c’est-à-dire soit la dureté réelle du monde, soit l’impuissance d’un pays à agir ? On se souvient de la jolie formule de François Mitterrand, envoyant une aide humanitaire dans un Moyen-Orient où la France était déjà hors-jeu, mais ponctuant son geste d’un lyrique « rien que cela, mais tout cela ». Car la définition du symbole, au sens strict, est bien d’évoquer de façon claire et identifiable… quelque chose d’absent.
En réalité le maniement du symbole en relations internationales a plusieurs fonctions importantes. Il mobilise l’opinion, il fait passer un message, et il incarne ce que l’ennemi souhaitera le plus détruire.
Mobiliser l’opinion et émouvoir les foules
Le symbole, en tant qu’image, fait appel au registre de l’affectif : mémoriel ou idéologique il fait vibrer une corde partisane, un attachement personnel, une appartenance à une communauté ou à une nation. Il fait communier un groupe dans la douleur d’un souvenir, la fierté d’un épisode historique, le partage d’une humiliation ou l’assouvissement d’une vengeance. Il mobilise et rassemble, y compris de manière négative contre un autre. C’est bien son but que de susciter le soutien à un acte, soit pour renforcer un acteur sur la scène intérieure, soit pour en faire un leader à l’échelle internationale (soit les deux, l’obtention d’une reconnaissance internationale constituant souvent une ressource dans le jeu politique interne).
En ressuscitant l’ennemi « turc », en ravivant le souvenir de la bataille du champ des merles (présenté comme une défaite serbe cuisante contre les musulmans au Kosovo, en 1389), Slobodan Milosevic avait mobilisé l’opinion serbe dans les années 1990, au service de son dessein nationaliste de Grande Serbie. Par l’emploi de mots-clefs (« croisade », « libération »…), par la référence à un personnage historique (Bolivar pour Chavez, quelques Tsars pour Poutine, Alexandre le Grand pour les autorités de Skopje), par un hommage (le « Ich bin ein Berliner » de Kennedy à Berlin après la construction du Mur), une visite (Mitterrand à Sarajevo en 1992, Chirac à Bab el Oued en 2001), une frappe militaire, on émeut, on soulage, on défoule ou on provoque, volontairement. On pourrait qualifier ce jeu de secondaire par rapport à la réalité du rapport de force, mais combien d’épisodes de relations internationales ont pour déclencheur un acte symbolique ?
Faire passer un message
L’autre fonction du registre symbolique est de susciter une adhésion suffisamment forte autour d’un message donné, pour que celui-ci devienne inexpugnable. L’image de François Mitterrand et de Helmut Kohl, main dans la main à Verdun, en 1984, est restée célèbre : après cela, comment contester la centralité de la réconciliation franco-allemande dans le processus européen ? Barack Obama étreignant un survivant du bombardement atomique à Hiroshima en 2016, ou entonnant « Amazing Grace » au sein de la communauté noire après la tuerie de Charleston en 2015, sont d’autres moments forts qui ont fait le tour de la planète et diffusé le message d’une présidence américaine qui n’était plus (à l’époque) celle d’un Occident blanc contre le reste du monde.
Quelle meilleure manière également de rappeler une posture, que par un coup d’éclat symbolique, qui circulera autrement plus amplement dans le monde qu’un communiqué officiel, sans parler d’un télégramme diplomatique ? Depuis le « What do you want ? » de Jacques Chirac en 1996, menaçant les forces de sécurité israéliennes (qui malmenaient les habitants palestiniens dans la vieille ville de Jérusalem) d’interrompre sa visite, jusqu’à la vidéo « make our planet great again » d’Emmanuel Macron prenant Donald Trump à ses propres mots en 2017, le signal de l’exaspération par le symbole est décidément un mode d’expression qui mérite d’être tenté.
Le symbole comme cible de l’adversaire
A condition toutefois d’être conscient du fait que pour le taureau, le chiffon rouge est aussi un symbole. S’il ne reste rien de la paix israélo-arabe, c’est en partie parce les symboles en ont été éliminés. Anouar al-Sadate, qui s’était rendu à Jérusalem et avait initié la paix de Camp David, fut assassiné par un membre du Jihad Islamique. Yitzhak Rabin, qui avait serré la main de Yasser Arafat à Washington le 13 septembre 1993, finit assassiné par un extrémiste juif, après une campagne violente de la part du Likoud contre lui (dans laquelle Benjamin Netanyahu joua un rôle essentiel). Les symboles nationaux, d’une histoire ou d’une prospérité, attisent aussi les haines : on protège les monuments pour éviter le symbole catastrophique de leur mise à bas ; ce sont les tours jumelles new-yorkaises du World Trade Center qu’Al Qaida a ciblé en 2001, avec le Pentagone et la Maison Blanche. On soulignait ironiquement à Londres, à l’époque, que l’Union européenne était protégée d’un tel sort, puisqu’on ne voyait pas très bien quel symbole anéantir pour la frapper.
Représenter ou invoquer un symbole est une arme à double tranchant dans les relations internationales. En jouant sur l’affectif donc en partie sur l’irrationnel, on mobilise de façon positive, mais aussi de façon négative. Il n’y a qu’un pas de l’émotion à la provocation. Manier le symbole, sur la scène mondiale, demeure essentiel pour faire triompher une volonté politique. Mais, comme la négociation ou la sortie de conflit, c’est là l’objet de tout un savoir-faire.
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