En quoi l’Union européenne s’intéresse-t-elle aux religions ?

Article publié sur le site du journal La Croix le 26/03/2017 par Isabelle de Gaulmyn

Pourquoi donc les dirigeants européens, qui fêtent ce samedi les 60 ans du traité de Rome, ont-ils éprouvé le besoin de voir le pape François le vendredi 24 mars ?

Il est vrai que l’on voit mal en quoi, a priori, une religion, quelle qu’elle soit, aurait son mot à dire sur la construction européenne. L’euro, la limitation des déficits budgétaire, la politique agricole commune semblent bien éloignés des préoccupations religieuses. Plus fondamentalement, pour nous Français, assez attachés à la laïcité, cela peut même sembler choquant et contraire aux principes de séparation stricte entre ce qui relève de la politique, et ce qui relève de la religion.

C’est qu’il faut tenir compte du fait que l’Union européenne a une histoire, qui est partiellement chrétienne, et rassemble des pays aux traditions culturelles très différentes, notamment dans leur rapport avec les institutions religieuses.

En 1957, quand est signé le traité, certains parlent même d’une « internationale catholique ». De fait, les fondateurs de l’Europe, de Gasperi, Schuman (dont la cause de béatification est ouverte), Adenauer, sont des catholiques convaincus et qui le manifestent ouvertement. Leur vision de l’Europe est fortement inspirée par des convictions chrétiennes visant à fonder une paix durable.

Ainsi, le lendemain de la signature du traité de Rome, le 25 mars 1957, les 6 chefs d’États européens sont-ils allés demander sa bénédiction au pape de l’époque, qui était Pie XII, et qui approuvait et soutenait la démarche ! De même, quand de Gaulle et Adenauer scellent la réconciliation franco allemande, en 1962, qui se trouve au cœur du processus européen, c’est à Reims qu’ils le font, dans la cathédrale. Mais on est alors dans une Europe qui se dit encore chrétienne.

Aujourd’hui, en quoi l’Europe est-elle plus chrétienne qu’autre chose ?

Ce fut tout le débat en 2000-2005 autour de la Constitution européenne, qui opposa les tenants d’une laïcité à la française et les partisans d’une vision moins exclusive des Églises, débat dans lequel Jean-Paul II s’engagea fortement. En cause, le refus des responsables politiques français (Jospin, Chirac) de faire référence, dans cette constitution, aux racines chrétiennes de l’Europe.

Il faut bien comprendre que, pour certains pays européens, c’est une évidence : la Grèce fait de l’Église orthodoxe une religion d’État, l’Irlande promulgue sa constitution « au nom de la Très-Sainte Trinité, dont dérive toute puissance et à qui il faut rapporter, comme à notre but suprême, toutes les actions des hommes et des États ». Le préambule de la Loi fondamentale allemande commence par ces termes : « Conscient de sa responsabilité devant Dieu… ». etc..

Pour la France, ce ne l’est pas. Et aussi, et ce n’est pas négligeable, dans les arguments des adversaires d’une référence trop explicite aux racines chrétiennes, il y a la crainte, alors que l’Europe devient plurireligieuse, et que le nombre de sans religion augmente, de freiner l’intégration des communautés notamment musulmanes, et de nourrir une logique de choc de civilisation (le 11 septembre 2001 est passé par là).

Quelle place l’Union européenne laisse-t-elle aux religions ?

Au final, il y a eu un compromis : on est resté sur une formulation dans le préambule, repris par le traité de Lisbonne, que la France pouvait accepter : « s’inspirant des héritages culturels, religieux et humanistes ».

Mais, et c’est cela qui est important, le traité de Lisbonne institue et officialise le dialogue entre les institutions européennes et les religions dans son article 17 « sur les relations entre les Institutions européennes et les Églises et les organisations philosophiques et non confessionnelles » :

L’Union respecte et ne préjuge pas du statut dont bénéficient, en vertu du droit national, les et les associations ou communautés religieuses dans les États membres.

L’Union respecte également le statut dont bénéficient, en vertu du droit national, les organisations philosophiques et non confessionnelles.

Reconnaissant leur identité et leur contribution spécifique, l’Union maintient un dialogue ouvert, transparent et régulier avec ces organisations. »

Donc, d’une part, le statut des religions est l’affaire de chaque État, et non de l’Europe. Mais il y a un dialogue, prévu, entre l’Union européenne et les institutions.

Comment se fait ce dialogue ?

Concrètement, il y a dans toutes les institutions européennes (parlement, conseil, commission) un responsable de ce dialogue, et au moins une fois par an, il y a une rencontre, au plus haut niveau.

Mais on voit bien que cela pose le problème de savoir avec qui faire ce dialogue : qui reconnaît que telle ou telle organisation est une religion ?

C’est assez transparent : les Églises ou institutions religieuses doivent s’inscrire sur un registre, comme tous ceux qui cherchent à entrer en contact. Ce registre est public, et nous pouvons tous le consulter, sous la dénomination « Organisations représentant des églises et des communautés religieuses », on trouve pas moins de 47 organisations religieuses ! Mais toutes ne participent pas au même niveau.

En réalité, cela ne pose guère de difficultés aux Églises chrétiennes, qui sont organisées au niveau européen : la Comece (Commission des épiscopats de la communauté européenne) qui est à Bruxelles, rassemble les Églises catholiques des pays de l’Union. Et la KEK (Conférence des Églises européennes) rassemble, elle, les protestants luthériens, anglicans et orthodoxes. Pour les juifs, il y a deux instances : le Congrès juif européen et la Conférence des rabbins européens.

Mais pour les musulmans c’est beaucoup plus compliqué, car l’islam, comme en France, ne parvient pas à s’organiser en dehors des pays d’origine. Sur le registre on trouve par exemple la « Ligue des musulmans européens », qui est une émanation de la Ligue islamique mondiale, fortement liée aux intérêts saoudiens, la Société ahmadie pour la propagation de l’islam (islam de l’Inde), les représentants de l’islam en bosnie-herzégovine, les Alévis… sachant que la Turquie défend aussi les minorités turques musulmanes en Europe. Donc c’est loin de représenter les musulmans d’Europe, notamment ceux de France et Belgique.

De quoi parle-t-on entre religieux et responsables européens ?

C’est l’autre grande question. Sans doute pas de la stabilité de l’euro, ou de la politique. La question fondamentale de la liberté religieuse est traitée par la Cour européenne des Droits de l’homme (qui n’est pas l’Union européenne). En réalité, deux types de dialogue. Les Églises chrétiennes demandent à être entendues sur des sujets où elles estiment avoir leur mot à dire :

L’Immigration : le pape François a beaucoup insisté dessus devant le parlement à Strasbourg, le 25 novembre 2014

La paix : dans un document sur la stratégie de l’Union pour la politique étrangère, on a repris littéralement, et en les citant, des propositions émanant des Églises chrétiennes à propos de la défense préventive.

Il y a aussi tout un travail de plaidoyer des Églises (notamment orthodoxe) autour de l’écologie (contre des investissements miniers trop polluants) et aussi sur la législation sur les biens mal acquis.

Les religions juive et musulmane sont plus dans une approche de défendre des intérêts, car elles sont minoritaires : l’antisémitisme, ou le problème de l’abattage (règles religieuses).

Enfin, depuis quelques années, les dirigeants européens multiplient les contacts avec les religions pour organiser des rencontres interreligieuses au plan européen, afin de contrer l’intégrisme musulman, et de mettre les religions au service d’un dialogue de civilisation.


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