Le nouveau chef des Nations Unies s’attaque à la prévention des conflits
Article paru sur le site de l’IRIN le 29/03/2017 par Kristy Siegfried
Le Secrétaire général des Nations Unies Antonio Guterres est déterminé à faire de la prévention des conflits une priorité pendant son mandat.
Il risque cependant d’avoir de la difficulté à convaincre les États membres de financer des initiatives de promotion de la paix, même si celles-ci pourraient permettre d’épargner des milliards de dollars à long terme.
Au moment de son entrée en fonction, au début de l’année, M. Guterres a invité le personnel des Nations Unies et les États membres à faire de 2017 « une année pour la paix ».
« Nous consacrons beaucoup trop de temps et de ressources à réagir aux crises plutôt qu’à les prévenir », a-t-il dit au Conseil de sécurité quelques jours à peine après avoir pris son poste. « Nous avons besoin d’une toute nouvelle approche. »
À une époque où les crises provoquées par les conflits se multiplient et où la capacité — ou la volonté — de la communauté internationale ne suffit plus à y faire face, rares sont ceux qui ne sont pas d’accord avec son interprétation. Le fossé entre les besoins et les fonds disponibles continue de se creuser même si les gouvernements augmentent régulièrement leurs budgets d’aide. Et ce déficit risque de s’accroître de plus belle avec les coupes significatives de l’aide étrangère américaine que l’administration du président Donald Trump prévoit d’effectuer.
On peut se demander comment M. Guterres a l’intention de faire de sa vision une réalité dans le contexte actuel, notamment avec la crise du financement, l’adoption de la doctrine « America First » de Trump et la généralisation de l’incertitude politique et économique en Europe.
Jusqu’à présent, l’ancien premier ministre portugais a fait beaucoup de discours et donné peu de détails. Il a cependant commandé un examen interne de l’ensemble de l’architecture de paix et de sécurité des Nations Unies. Les résultats devraient être présentés en juin, de même que des recommandations quant à la manière dont les divers départements et agences pourraient être restructurés.
En attendant, la « toute nouvelle approche » qu’il prône semble se résumer à assumer un rôle de leader au sein du système des Nations Unies en faisant de la prévention précoce des conflits une priorité, à utiliser ses compétences diplomatiques reconnues pour travailler sans relâche en faveur de la médiation précoce et à restructurer l’architecture de paix et de sécurité des Nations Unies une fois l’examen interne complété.
Repartir de zéro ?
Prévenir les conflits avant qu’ils se développent pourrait évidemment permettre d’épargner des milliards de dollars et de sauver d’innombrables vies. La prévention des conflits est également un élément crucial du mandat des Nations Unies. L’article premier de la Charte des Nations Unies décrit en effet le maintien de la paix et de la sécurité comme l’un des buts premiers de l’organisation.
Les trois examens des opérations de paix des Nations Unies réalisés en 2015 ont pourtant conclu que le travail de l’organisation en matière de prévention des conflits et de maintien de la paix n’était pas satisfaisant.
Le Groupe indépendant de haut niveau chargé d’étudier les opérations de paix (HIPPO, selon le sigle anglais), créé par l’ancien Secrétaire général Ban Ki-moon, a reconnu que la prévention des conflits était souvent hors du contrôle des Nations Unies. Il a cependant aussi découvert que des lacunes en matière de prise de décision stratégique aux plus hauts niveaux de l’organisation empêchaient la mise en place d’une intervention précoce pour résoudre les crises émergentes. Il a finalement révélé que les mesures étaient souvent prises au coup par coup et déconnectées des efforts nationaux et régionaux.
« L’un des principes établis d’une prévention efficace est qu’il doit y avoir une stratégie holistique et qu’on ne peut faire face aux conflits à partir de points d’entrée séparés », a commenté Youssef Mahmoud, un membre du HIPPO qui travaille comme conseiller principal à l’Institut international pour la paix.
M. Guterres n’a pas cherché à cacher les lacunes des Nations Unies dans ce domaine. Dans un discours adressé au Conseil de sécurité, il a déclaré qu’« alors que les causes des crises sont profondément interreliées, la réponse des Nations Unies demeure fragmentée ».
Un manque d’unité qui ne date pas d’hier
Cette réponse fragmentée s’explique en partie par la structure de l’organisation telle qu’elle a été créée il y a 70 ans, soit avec trois piliers distincts : les droits de la personne, la paix et la sécurité et le développement. Ainsi, il arrive souvent que le système de développement des Nations Unies travaille en silo par rapport aux missions politiques et aux opérations de maintien de la paix. « Les diverses branches du système des Nations Unies peinent toujours à travailler de concert », a reconnu Stephen Jackson, chef de l’unité des politiques et directives du Département des affaires politiques (DAP), qui joue un rôle important dans la diplomatie préventive et les efforts de médiation des Nations Unies.
« Essentiellement, nous avons eu des opérations de maintien de la paix, des missions politiques spéciales et des interventions des équipes de pays des Nations Unies sur le terrain. Il y a toujours des obstacles à surmonter pour que les trois soient efficacement intégrées », a-t-il dit à IRIN. Il a précisé qu’il était également difficile d’accroître ou de réduire rapidement les actions en raison de la façon dont le système est conçu. « Par exemple, dans un contexte de transition, disons en Côte d’Ivoire, ce n’est que récemment que nous sommes directement passés d’une opération de maintien de la paix relativement importante à une intervention par l’équipe de pays des Nations Unies et qu’il n’y a donc plus de présence politique ou sécuritaire. »
Les objectifs de développement durable (ODD) pour 2030 s’inscrivent dans un effort pour développer une approche plus intégrée. M. Guterres et d’autres estiment qu’ils fournissent un cadre pour la prévention des conflits. « Les termes de paix, de sécurité, de développement et de bonne gouvernance se retrouvent tous dans un même document », a dit M. Mahmoud. « L’un des meilleurs moyens de pratiquer la prévention, en particulier la prévention précoce, soit avant l’éclatement des violences, c’est de mettre en œuvre fidèlement l’ensemble des ODD. »
Des fusions ?
Dans un mémorandum adressé au personnel du Secrétariat qui a circulé pendant la première semaine de son mandat, M. Guterres a déclaré son intention de mettre en œuvre des réformes « de la culture, des procédures et des structures » afin d’améliorer la performance des Nations Unies en matière de paix et de sécurité. Plusieurs actions immédiates destinées à réduire les « freins structurels » et les « obstacles bureaucratiques » ont été mises en œuvre à la suite de la publication du mémo. Il a notamment été décidé que le Département des affaires politiques et le Département des opérations de maintien de la paix (DOMP) partageraient des bureaux « afin de faciliter une prise de décision plus efficace et plus intégrée ».
Selon plusieurs examens, les chevauchements entre les mandats du DAP et du DOMP et la concurrence entre les deux départements contribuent à la réponse « fragmentée » à laquelle M. Guterres a fait allusion. D’autres départements et agences des Nations Unies sont cependant aussi impliqués dans la prévention des conflits, notamment le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), le Fonds des Nations Unies pour la consolidation de la paix et la Commission de consolidation de la paix.
Un observateur qui suit de près le processus de réforme avec qui IRIN s’est entretenu croit que l’examen interne recommandera le démantèlement du DAP et du DOMP et la création de tout nouveaux départements.
Un certain nombre d’organigrammes potentiels circulent actuellement. Un rapport récent du Centre pour la coopération internationale en présente plusieurs, accompagnés d’une liste de pour et de contre. Le document souligne toutefois que « sans un leadership solide et une gestion permettant d’assurer une collaboration entre les départements, de même que le soutien des États membres pour mettre en œuvre de nouvelles approches, aucune structure organisationnelle n’obtiendra les résultats souhaités ».
Une diplomatie proactive
« Les restructurations internes sont importantes, bien sûr, mais il est tout aussi important d’introduire une culture de prévention plus forte pour identifier où et comment les Nations Unies peuvent changer les choses », a dit Richard Atwood, directeur du bureau de New York de l’International Crisis Group (ICG).
Il a donné comme exemples l’approche souvent prudente du PNUD dans ses relations avec les gouvernements lorsque des tendances négatives émergent et le fait que le DAP, même s’il joue un rôle de supervision essentiel, doit travailler en collaboration avec d’autres parties du système pour mettre des actions en place.
Certains indices laissent croire que M. Guterres pourrait fournir le genre de leadership nécessaire pour mettre en œuvre ces changements culturels. Il a mis sur pied un comité exécutif qui intègre les trois piliers des Nations Unies. Le comité, qu’il préside, se réunit chaque semaine pour aborder des questions qui concernent plusieurs départements et rendre des décisions à leur sujet.
Le Secrétaire général semble également déterminé à mettre à profit ses « bons offices » et ses faveurs politiques pour se lancer dans la diplomatie préventive — un domaine dans lequel M. Ban n’était généralement pas considéré comme particulièrement doué.
M. Guterres a déjà travaillé un peu en coulisses sur le Soudan du Sud et la Somalie. Il a aussi rencontré un certain nombre de chefs d’État des pays du Golfe. Il y a cependant des limites à ce qu’un Secrétaire général peut faire, même s’il est favorable à des réformes, face à une géopolitique instable et à une incertitude extrême en matière de financement.
Le rapport du HIPPO a identifié l’imprévisibilité du financement comme l’un des principaux obstacles au travail de médiation et de supervision des conflits des Nations Unies, dont la majeure partie est réalisée par le DAP et financée par les contributions volontaires des États membres.
D’après M. Jackson, « un grand nombre d’arguments » justifient la nécessité de corriger le manque de financement prévisible pour la prévention. Il a expliqué que tandis que les missions de maintien de la paix sont financées par des contributions obligatoires/statutaires des États membres, la vaste majorité des activités de maintien de la paix relèvent du système de développement et dépendent dès lors de contributions volontaires. « Imaginez que vous avez une mission de maintien de la paix post-conflit et que la taille de la mission commence à être réduite. Vous vous attendez à ce que l’équipe de pays des Nations Unies assume progressivement la plus grande partie de la tâche », a-t-il dit à IRIN.
M. Guterres devrait plaider en faveur de l’inscription au budget ordinaire de ressources destinées à financer le travail de prévention lors d’une réunion de haut niveau sur le maintien et la pérennisation de la paix qui doit avoir lieu plus tard cette année à l’occasion d’une session de l’Assemblée générale.
C’est une époque difficile pour demander des fonds supplémentaires, d’autant plus que l’administration Trump menace de réduire considérablement les fonds alloués aux missions de maintien de la paix et à l’aide humanitaire. M. Guterres pourrait cependant invoquer que les sommes attribuées à la prévention permettent de réaliser des économies importantes à long terme.
Puisque les activités de prévention sont gérées par de multiples départements et agences, aucune des personnes contactées par IRIN dans le cadre de cet article n’a osé avancer une estimation de la somme globale actuellement consacrée par les Nations Unies à la prévention des conflits. Elles ont cependant toutes dit qu’il s’agissait d’une fraction de la somme allouée à la réponse aux conflits. Un fonctionnaire des Nations Unies a estimé que pour chaque dollar consacré par le DAP aux activités de prévention, par exemple, 200 dollars étaient dépensés pour la gestion de crise et les interventions humanitaires.
Corriger ce déséquilibre est l’une des raisons d’être du Fonds des Nations Unies pour la consolidation de la paix (PBF, selon le sigle anglais). Il a été créé en 2006 en même temps que le Bureau d’appui à la consolidation de la paix et la Commission de consolidation de la paix afin de soutenir les efforts de paix post-conflit.
D’après Marc-André Franche, directeur du PBF, « si l’on souhaite dépenser moins dans un environnement fiscal dans lequel il est difficile de trouver du financement pour le maintien de la paix et l’aide humanitaire, il faut investir davantage dans la prévention ».
Mais les États membres ne semblent pas convaincus. Lors d’une conférence de donateurs organisée en septembre dernier, le PBF a réussi à recueillir environ la moitié seulement des 300 millions de dollars qu’il avait demandés pour financer des projets au cours des trois prochaines années. Les États-Unis ont offert à peine 300 000 dollars ; la plupart des contributions plus importantes venaient de l’Europe, du Japon et du Canada.
L’une des difficultés est de convaincre les États membres que la prévention fonctionne. « Il est très difficile de prouver quelque chose qui ne s’est pas encore concrétisé », a fait remarquer M. Franche, ajoutant que des efforts sont en cours pour développer des méthodes permettant d’assurer un suivi des améliorations liées aux subventions du PBF. Ces subventions financent actuellement 120 projets dans 25 pays. Elles servent entre autres à soutenir des réformes du secteur sécuritaire en Guinée, à améliorer les services offerts aux victimes de violences liées au genre au Mali et à renforcer le système de justice pénale au Guatemala.
Dans un récent examen de plusieurs projets financés par le PBF, le Département britannique pour le développement international (DFID) a donné au PBF une cote de A+ et l’a décrit comme « un élément essentiel de l’approche des Nations Unies en matière de paix et de sécurité […] fournissant un financement rapide et flexible au moment où les États fragiles en ont le plus besoin ».
La plupart des bailleurs de fonds ne sont cependant pas en mesure de fournir le financement pluriannuel non préaffecté nécessaire pour intervenir rapidement et précocement, une situation qui doit changer si les Nations Unies souhaitent respecter leur mandat, selon M. Franche.
« L’an dernier, les Nations Unies ont dépensé 8 milliards de dollars pour le maintien de la paix. Le monde dépense 28 milliards de dollars pour l’aide humanitaire et au moins 12 milliards de dollars ont été dépensés en Europe pour réagir à la crise des réfugiés… Ce n’est pas du tout viable à plus long terme. »
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