L’OIM découvre des « marchés aux esclaves » qui mettent en péril la vie des migrants en Afrique du Nord

Article paru sur le site de l’OIM le 04/11/17

Le week-end dernier, le personnel de l’OIM au Niger et en Libye a relaté des événements choquants sur les itinéraires migratoires d’Afrique du Nord, qu’il a décrit comme des « marchés aux esclaves » qui touchent des centaines de jeunes Africains en route vers la Libye.

Les chargés d’opérations du Bureau de l’OIM au Niger ont relaté le sauvetage d’un migrant sénégalais (que l’on appellera SC pour protéger son identité) qui est rentré chez lui cette semaine après avoir été séquestré pendant des mois.

D’après le témoignage de SC, alors qu’il tentait de se rendre vers le nord à travers le Sahara, il est arrivé à Agadez, au Niger, où on lui a dit qu’il devait payer 200 000 francs CFA (environ 320 dollars) pour poursuivre son chemin vers le nord, en direction de la Libye. Un trafiquant lui a fourni un hébergement jusqu’au jour du départ de son périple, qui devait se faire en camionnette.

Le périple – plus de deux jours de trajet – à travers le désert s’est relativement bien déroulé pour le groupe. L’OIM a souvent entendu d’autres migrants sur cette route affirmer avoir vu des corps abandonnés par leur chauffeur et des camions pillés par des bandits qui volent leur carburant.

Le sort de SC a été différent. Lorsque sa camionnette est arrivée à Sabha, au sud-ouest de la Libye, le chauffeur a affirmé qu’il n’avait pas été payé par le trafiquant et qu’il transportait les migrants vers un parking où SC a été témoin d’un marché aux esclaves. « Des migrants subsahariens étaient vendus et achetés par des Libyens, avec l’aide de Ghanéens et de Nigériens qui travaillent pour eux », a signalé le personnel de l’OIM au Niger, cette semaine.

SC a expliqué avoir été « acheté » puis conduit dans sa première « prison », une maison individuelle où plus d’une centaine de migrants étaient retenus en otage.

Il a raconté que les ravisseurs avaient forcé les migrants à appeler leur famille au pays et que ces derniers subissaient des coups pendant qu’ils parlaient pour que leurs proches entendent qu’ils se faisaient torturer. Pour être libérés de cette première maison, SC devait payer 300 000 francs CFA (environ 480 dollars) qu’il n’a pas pu récolter. Il a ensuite été « acheté » par un autre Libyen, qui l’a amené dans une maison plus grande, où un nouveau prix a été fixé pour sa libération : 600 000 francs CFA (970 dollars environ), à payer par Western Union ou Money Gram à une personne du nom d’Alhadji Balde, apparemment au Ghana.

SC a réussi à réunir de l’argent de sa famille par téléphone puis a accepté de travailler en tant qu’interprète pour les ravisseurs, pour éviter de nouvelles tortures. Il a décrit des conditions sanitaires horribles et ne mangeait qu’une fois par jour. Certains migrants qui ne pouvaient pas payer auraient été tués où abandonnés à leur sort et condamnés à mourir de faim.

SC a raconté à l’OIM que lorsque quelqu’un mourrait ou était libéré, les ravisseurs retournaient au « marché » pour « acheter » d’autres migrants pour les remplacer. Des femmes étaient aussi achetées par des particuliers – des Libyens d’après ce témoin – et amenés dans des maisons où elles étaient traitées comme des esclaves sexuels.

L’OIM recueille des informations de migrants de retour de Libye et qui passent par les centres de transit de l’OIM à Niamey et Agadez. « Ces quelques derniers jours, plusieurs migrants m’ont raconté des histoires horribles. Ils ont tous confirmé le risque d’être vendu comme esclave sur des places ou dans des garages à Sabha, soit par leur chauffeur, soit par des locaux, qui recrutent les migrants pour des travaux journaliers en ville, souvent dans le bâtiment. Puis au lieu de les payer, ils vendent leurs victimes à de nouveaux acheteurs. Certains migrants, principalement nigérians, ghanéens et gambiens, sont forcés à travailler pour le ravisseur/marchand d’esclave en tant que garde dans les maisons de rançon ou même au « marché », a déclaré un membre du personnel de l’OIM au Niger.

Au cours de la semaine passée, l’OIM en Libye a eu connaissance de nouveaux cas d’enlèvement, comme ceux rapportés par l’OIM au Niger.

Adam* (nom d’emprunt) a été enlevé avec 25 autres Gambiens entre Sabha et Tripoli. Un Gambien armé et deux Arabes ont enlevé le groupe et l’ont conduit vers une « prison » où quelque 200 hommes et plusieurs femmes étaient détenus.

D’après ce témoin, les otages étaient originaires de plusieurs pays africains. Adam a expliqué que les otages étaient battus tous les jours et forcés à appeler leurs proches pour payer leur libération. Il aura fallu neuf mois au père d’Adam pour collecter assez d’argent pour sa libération, après avoir vendu la maison familiale.

Adam a confié que les ravisseurs l’avaient emmené à Tripoli où il a été libéré. Là-bas, un homme libyen l’a trouvé et l’a amené à l’hôpital compte tenu de son mauvais état de santé. Le personnel de l’hôpital a publié un message sur Facebook pour demander de l’aide. Un collègue de l’OIM a vu la publication et a renvoyé le cas vers un médecin de l’OIM qui lui a rendu visite à l’hôpital. Adam a passé trois semaines à l’hôpital pour se remettre d’une grave malnutrition (il ne pesait que 35 kilos) et des blessures physiques causés par la torture.

A sa sortie de l’hôpital, l’OIM lui a trouvé une famille d’accueil où il a été hébergé pendant près d’un mois et où le médecin de l’OIM et des collègues de la protection lui rendaient régulièrement visite pour lui donner des médicaments et de la nourriture et l’aider à se remettre sur pied. Ils lui ont aussi amenés des vêtements propres.

Adam a aussi pu appeler sa famille en Gambie. Lorsque son état s’est stabilisé, il a reçu l’aide du Programme d’aide au retour volontaire de l’OIM. Le 4 avril, il est retourné en Gambie.

Le médecin de l’OIM a escorté Adam en Gambie où il a retrouvé sa famille et a immédiatement été hospitalisé. L’OIM en Libye continuera de payer son traitement en Gambie et il recevra également une allocation de réintégration.

Ce mois-ci, l’OIM a eu vent d’un autre cas d’une jeune femme détenue dans ce qu’elle décrit comme un dépôt près du port de Misurata, par des ravisseurs somaliens. Elle aurait été retenue en otage pendant au moins trois mois, bien que les dates exactes soient inconnues. Son mari et son jeune fils vivent au Royaume-Uni depuis 2012 et recevaient des demandes de rançon.

Cette victime aurait subi des viols et des agressions physiques. Le mari a déjà payé 7 500 dollars via sa famille et des membres de la communauté somalienne, mais il semblerait que les ravisseurs demandent désormais un second paiement de 7 500 dollars.

L’OIM en Libye a été informée de ce cas par l’Unité britannique de réponse à la crise et de négociation pour la libération des otages, qui s’occupe actuellement de ce cas avec le Croissant-Rouge libyen, qui a déjà contribué à des libérations dans des cas similaires par le passé.

« La situation est critique », a déclaré Mohammed Abdiker, Directeur des opérations d’urgence de l’OIM, qui revient d’une récente visite à Tripoli. « Plus l’OIM est présente en Libye, plus nous nous rendons compte de souffrance de nombreux migrants. Certaines histoires sont vraiment effrayantes et les dernières informations de « marchés aux esclaves » de migrants s’ajoutent à la longue liste d’atrocités. »

Mohammed Abdiker a ajouté que ces derniers mois, le personnel de l’OIM en Libye avait eu accès à plusieurs centres de détention, où il tente d’améliorer les conditions. « Nous savons que les migrants qui tombent entre les mains des passeurs sont systématiquement confrontés à la malnutrition, aux abus sexuels et même au meurtre. L’année dernière, nous avons appris que 14 migrants étaient décédés en un seul mois dans l’un de ces centres, de maladies et de malnutrition. Nous avons appris l’existence de fosses communes dans le désert. »

Il a déclaré que jusqu’ici cette année, les garde-côtes libyens et autres intervenants avaient retrouvé 171 corps ramenés sur les côtes méditerranées de naufrages au large. Les garde-côtes en ont également secourus plusieurs milliers, a-t-il ajouté.

« Les migrants qui se rendent en Libye pour tenter d’atteindre l’Europe n’ont aucune idée de la torture qui les attend juste de l’autre côté de la frontière », a déclaré Leonard Doyle, porte-parole de l’OIM à Genève. « Ils y deviennent des marchandises à acheter, vendre et jeter lorsqu’elles ne valent plus rien. »

Et d’ajouter : « pour faire passer le message à travers l’Afrique sur tous ces dangers, nous recueillons les témoignages de migrants qui ont souffert et nous les diffusions dans les médias sociaux et sur les stations de radio locales. Malheureusement, les messagers les plus crédibles sont les migrants qui rentrent chez eux avec l’aide de l’OIM. Bien trop souvent, ils sont brisés, ont été brutalisés et abusés, souvent sexuellement. Leurs voix portent un poids plus lourd que n’importe qui d’autre. »


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