«L’Europe fait-elle preuve d’angélisme au Proche-Orient?»
Article paru sur le site du journal Le Figaro le 24/04/2019 par Emmanuel Navon
Une lettre ouverte publiée dans The Guardian par d’anciens ministres français critique le plan de paix américain au Proche-Orient. Emmanuel Navon explique au contraire que l’administration Trump ne semble pas se diriger vers une répétition des erreurs du passé, et qu’il faut saluer sa politique.
Emmanuel Navon est maître de conférences en relations internationales à l’Université de Tel-Aviv et au Centre interdisciplinaire de Herzliya, chercheur à l’Institut de Jérusalem pour la Stratégie et la Sécurité (un think tank de politique étrangère) et au Forum Kohelet (un think tank de politique publique qui a, entre autres, conçu et promu la loi Israël État-nation). L’auteur est par ailleurs analyste pour la chaîne i24news, et consultant pour Elnet.
Le tant attendu plan de paix américain pour le Proche Orient n’a pas encore été dévoilé que d’anciens dignitaires européens «mettent en garde» les États-Unis sur son contenu. Une lettre ouverte publiée dans The Guardian et signée par d’ex-premiers ministres et ministres des affaires étrangères européens (dont Jean-Marc Ayrault et Hubert Védrine) insiste pour que le plan de paix inclut un État palestinien dans les lignes d’armistice de 1949 avec des changements territoriaux mineurs et mutuellement agréés ; une division de Jérusalem ; et une «solution juste» au problème des réfugiés palestiniens. L’ancien ambassadeur de France aux États-Unis, Gérard Araud, a décrété que le plan de Trump a 1% de chances de succès précisément parce qu’il est «très proche de ce que veulent les Israéliens.»
Ces sermons Européens proférés aux Américains rappellent la «Déclaration de Venise» de 1980, dans laquelle la CEE enjoignait les États-Unis d’inclure l’OLP aux accords de Camp David de 1979 entre Israël et l’Égypte. Ce conseil fut suivi, et il produisit les Accords d’Oslo en 1993. Tandis que les Accords de Camp David ont engendré une paix froide mais durable entre Israël et l’Égypte, les Accords d’Oslo se sont soldés par un échec sanglant. Non seulement les Européens persistent et signent avec un modèle qui a échoué, mais ils passent outre le fait que ce modèle a été rejeté à deux reprises par Mahmoud Abbas, le Président de l’Autorité palestinienne.
Les Palestiniens refusent d’abandonner le soi-disant «droit au retour» qui accorderait aux descendants des 600000 réfugiés arabes de 1948 le droit de s’installer en Israël et d’en devenir citoyens.
En septembre 2008, le Premier Ministre israélien Éhoud Olmert proposa à Abbas un État palestinien sur la totalité de la Bande de Gaza et de la Judée-Samarie/Cisjordanie (avec une annexion de 5,8% par Israël mais compensée par un territoire de taille équivalente pour l’État palestinien); la division de Jérusalem entre deux États avec une souveraineté partagée sur le Mont du Temple/Esplanade des Mosquées; l’acceptation par Israël d’un nombre symbolique de réfugiés palestiniens dont le «droit au retour» devait s’appliquer à l’État palestinien avec un fond international pour compenser les réfugiés (juifs et arabes) de 1948. Abbas n’accepta pas la proposition. Le gouvernement Olmert était certes un gouvernement sortant. Mais si Abbas avait apposé sa signature à un accord de principe, celui-ci eût engagé le prochain gouvernement israélien.
En février 2014, le Secrétaire d’État américain John Kerry proposa un plan de paix similaire, bien que moins précis. Le Président Obama ne parvint pas à convaincre Abbas d’accepter la proposition lors de leur réunion à la Maison blanche le 16 mars 2014. Ces deux rejets par Abbas s’ajoutent à trois précédents historiques: 1) Le plan de partage de la Commission Peel en 1937 (accepté par les Juifs, rejeté par les Arabes); Le plan de partage de l’ONU en 1947 (accepté par l’Agence juive, rejeté par la Ligue arabe); 3) Les paramètres de Bill Clinton en décembre 2000 (acceptés par le gouvernement israélien avec des réserves, rejetés par Yasser Arafat).
Affirmer que la sixième tentative sera la bonne défie la logique et occulte un fait fondamental: les Palestiniens refusent d’abandonner le soi-disant «droit au retour» qui accorderait aux descendants des 600000 réfugiés arabes de 1948 le droit de s’installer en Israël et d’en devenir citoyens. Ce nombre de descendants s’élevant à 5 millions d’après l’UNRWA, le droit au retour mettrait fin à l’existence d’Israël en tant qu’État-nation et est donc incompatible avec une solution de deux États.
Les entités politiques créées au Proche Orient par la Grande-Bretagne et la France après la Première Guerre mondiale (Iraq, Transjordanie, Palestine, Syrie, et Liban) et par l’Italie en Afrique du nord (Libye) furent arbitraires et artificielles. Ces entités devenues États ont pour la plupart implosé après le mal nommé «printemps arabe» sous le poids des guerres civiles. Pour une majorité d’Israéliens, établir dans ce contexte un autre État arabe artificiel et défaillant qui surplomberait Tel Aviv du haut des collines de Samarie relève de la folie.
La réalité est donc autrement plus complexe qu’un choix binaire et imaginaire entre paix et colonies.
Non pas que les Israéliens soient aveugles au fait que deux peuples habitent la même terre et que, donc, le choix est entre deux État-nation et un État binational. C’est justement parce que les Palestiniens rejetèrent le compromis de Clinton 2000 qu’Israël décida de se séparer d’eux unilatéralement en commençant par la Bande de Gaza en 2005. Le résultat fut désastreux: des milliers de missiles tirés vers Israël, des dizaines de tunnels creusés sous sa frontière, et trois guerres avec Hamas. D’où le trilemme d’Israël: 1) Un compromis n’est pas possible tant que les Palestiniens insistent sur le «droit au retour;» 2) Une annexion n’est pas envisageable car elle ferait d’Israël un État binational; 3) Un retrait unilatéral de la Judée-Samarie/Cisjordanie démultiplierait les conséquences désastreuses du retrait de Gaza.
La réalité est donc autrement plus complexe qu’un choix binaire et imaginaire entre paix et colonies. Et cette réalité complexe inclut le fait qu’il y a deux entités palestiniennes séparées physiquement et politiquement: l’Autorité palestinienne contrôlée par l’OLP, et la Bande de Gaza sous le régime du Hamas. Les nombreuses tentatives de réconciliation entre le Hamas et l’OLP ont échoué. Comment ces frères ennemis pourraient-ils gouverner ensemble deux territoires destinés à la scission politique à l’instar du Pakistan et du Bengladesh? Le Hamas a fait de la Bande de Gaza une Somalie méditerranéenne. Quant à Abbas, élu pour la dernière fois en 2005 et perçu par les Palestiniens comme un «collaborateur,» il n’a plus de légitimité politique.
Le fait que l’Administration Trump ne semble pas se diriger vers une répétition des erreurs du passé devrait être salué plutôt que condamné. Les Européens ne seront pas crédibles sur le conflit israélo-palestinien tant qu’ils seront figés dans un dogme à l’image des frontières linéaires et arbitraires qu’ils imposèrent il y a un siècle à l’Orient compliqué.
Lettre des ministres européens publiée dans The Guardian le 15/04/2019
Europe must stand by the two-state solution for Israel and Palestine
High-ranking former European politicians urge the EU to reject any US Middle East peace plan unless it is fair to Palestinians.
We are reaching out at a critical point in time in the Middle East, as well as in Europe. The EU is heavily invested in the multilateral, rules-based international order. International law has brought us the longest period of peace, prosperity and stability our continent has ever enjoyed. For decades, we have worked to see our Israeli and Palestinian neighbours enjoy the peace dividends that we Europeans have through our commitment to that order.
In partnership with previous US administrations, Europe has promoted a just resolution to the Israeli-Palestinian conflict in the context of a two-state solution. To this date, despite subsequent setbacks, the Oslo agreement is still a milestone of transatlantic foreign policy cooperation.
Unfortunately, the current US administration has departed from longstanding US policy and distanced itself from established international legal norms. It has so far recognised only one side’s claims to Jerusalem and demonstrated a disturbing indifference to Israeli settlement expansion. The US has suspended funding for the UN agency for Palestinian refugees (UNRWA) and for other programmes benefitting Palestinians – gambling with the security and stability of various countries located at Europe’s doorstep.
Against this unfortunate absence of a clear-cut commitment to the vision of two states, the Trump administration has declared itself close to finalising and presenting a new plan for Israeli-Palestinian peace. Despite uncertainty as to if and when the plan will be released, it is crucial for Europe to be vigilant and act strategically.
We believe that Europe should embrace and promote a plan that respects the basic principles of international law as reflected in the agreed EU parameters for a resolution to the Israeli-Palestinian conflict. These parameters, which the EU has systematically reaffirmed during past US-sponsored talks, reflect our shared understanding that a viable peace requires the creation of a Palestinian state alongside Israel on borders based on the pre-1967 lines with mutually agreed, minimal and equal land swaps; with Jerusalem as the capital for both states; with security arrangements that address legitimate concerns and respect the sovereignty of each side and with an agreed, fair solution to the question of Palestine refugees.
Europe, by contrast, should reject any plan that does not meet this standard. While sharing Washington’s frustrations about the unsuccessful peace efforts of the past, we are convinced that a plan that reduces Palestinian statehood to an entity devoid of sovereignty, territorial contiguity and economic viability would severely compound the failure of previous peace-making efforts, accelerate the demise of the two-state option and fatally damage the cause of a durable peace for Palestinians and Israelis alike.
It is, of course, preferable for Europe to be working in tandem with the US to solve the Israeli-Palestinian conflict, as well as to address other global issues in a strong, transatlantic alliance. However, in situations in which our vital interests and fundamental values are at stake, Europe must pursue its own course of action.
In anticipation of this US plan, we believe Europe should formally reaffirm the internationally agreed parameters for a two-state solution. Doing this in advance of the US plan establishes the EU’s criteria for supporting American efforts and facilitates a coherent and unified European response once the plan is published.
European governments should further commit to scale up efforts to protect the viability of a future two-state outcome. It is of the utmost importance that the EU and all member states actively ensure the implementation of relevant UN security council resolutions – including consistent differentiation in accordance with UN security council resolution 2334, between Israel in its recognised and legitimate borders, and its illegal settlements in the occupied territories.
Furthermore, recent escalating efforts to restrict the unhindered work of civil society have made European support for human-rights defenders in both Israel and Palestine, and their critical role in reaching a sustainable peace, more important than ever.
Israel and the occupied Palestinian territories are sliding into a one-state reality of unequal rights. This cannot continue. For the Israelis, for the Palestinians or for us in Europe.
Right now, Europe is facing a defining opportunity to reinforce our shared principles and long-held commitments in relation to the Middle East peace process and thereby manifest Europe’s unique role as a point of reference for a rules-based global order.
Failing to seize this opportunity, at a point in time when this order is unprecedentedly challenged, would have far-reaching negative consequences.
Douglas Alexander Former minister of state for Europe, United Kingdom
Jean-Marc Ayrault Former foreign minister and prime minister, France
Carl Bildt Former foreign minister and prime minister, Sweden
Włodzimierz Cimoszewicz Former foreign minister and prime minister, Poland
Dacian Cioloș Former prime minister and European commissioner, Romania
Willy Claes Former foreign minister and Nato secretary general, Belgium
Massimo d’Alema Former foreign minister and prime minister, Italy
Karel De Gucht Former foreign minister and European commissioner, Belgium
Uffe Ellemann-Jensen Former foreign minister and president of the European Liberals, Denmark
Benita Ferrero-Waldner Former foreign minister and European commissioner for external relations, Austria
Franco Frattini Former foreign minister and European commissioner, Italy
Sigmar Gabriel Former foreign minister and vice-chancellor, Germany
Lena Hjelm-Wallén Former foreign minister and deputy prime minister, Sweden
Eduard Kukan Former foreign minister, Slovakia
Martin Lidegaard Former foreign minister, Denmark
Mogens Lykketoft Former foreign minister and UN general assembly president, Denmark
Louis Michel Former foreign minister and European commissioner, Belgium
David Miliband Former foreign secretary, United Kingdom
Holger K Nielsen Former foreign minister, Denmark
Marc Otte Former EU special representative to the Middle East peace process, Belgium
Ana Palacio Former foreign minister, Spain
Jacques Poos Former foreign minister, Luxembourg
Vesna Pusić Former foreign minister and deputy prime minister, Croatia
Mary Robinson Former president and United Nations high commissioner for human rights, Ireland
Robert Serry Former UN special coordinator for the Middle East peace process, the Netherlands
Javier Solana Former foreign minister, Nato secretary general and EU high representative for common foreign and security policy, Spain
Per Stig Møller Former foreign minister, Denmark
Michael Spindelegger Former foreign minister and vice-chancellor, Austria
Jack Straw Former foreign secretary, United Kingdom
Desmond Swayne Former minister of state for international development, United Kingdom
Erkki Tuomioja Former foreign minister, Finland
Ivo Vajgl Former foreign minister, Slovenia
Frank Vandenbroucke Former foreign minister, Belgium
Jozias van Aartsen Former foreign minister, the Netherlands
Hubert Védrine Former foreign minister, France
Guy Verhofstadt Former prime minister, Belgium
Lubomír Zaorálek Former foreign minister, Czech Republic
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