L’Afrique devient le premier foyer de violences contre les chrétiens
Article paru sur le site du journal Le Temps le 20/02/2020 par Simon Petite
Les attaques contre les églises et les paroissiens sont en augmentation sur le continent. Certaines ONG chrétiennes agitent la menace d’un génocide au Nigeria. Une alerte qui fait débat.
Dimanche dernier, des terroristes non identifiés ont fait irruption en plein culte dans une église protestante de Pansi, dans le nord du Burkina Faso. Les assaillants ont laissé derrière eux une dizaine de fidèles tués. Ils se sont aussi attaqués au marché de la ville, faisant d’autres victimes et enlevant des habitants.
Cet assaut n’est que le dernier drame qui endeuille les chrétiens du Burkina Faso. Le pays du Sahel, majoritairement musulman, est devenu l’épicentre de la guerre menée par des groupes armés, certains affiliés à l’Etat islamique, qui se jouent des armées dépassées de la région. Alors que l’organisation djihadiste a perdu son assise territoriale en Syrie et en Irak, ses branches en Afrique se renforcent, particulièrement dans le Sahel.
«Montée de l’islamisme radical»
L’ONG chrétienne Portes ouvertes, qui a publié en janvier son index des pays où les chrétiens sont le plus persécutés, s’inquiétait de voir l’Afrique de l’Ouest devenir «un nouveau foyer brûlant avec une très forte violence». Spécialiste de cette région pour la section suisse de l’ONG, Ilia Djadi pointe «la montée de l’islamisme radical» pour expliquer la multiplication des attaques contre les chrétiens.
«Les violences sont commises par une petite minorité de musulmans, tempère cet ancien journaliste d’origine nigérienne. Et ils attaquent également les musulmans modérés et tous ceux qui ne partagent pas leur idéologie. Les institutions de l’Etat et les écoles sont aussi visées. Près de 2000 établissements scolaires ont dû être fermés rien qu’au Burkina Faso, dont beaucoup d’écoles missionnaires, reconnues pour la qualité de leur enseignement et ouvertes à tous les élèves quelle que soit leur confession.»
Lorsque nous lui avions parlé fin janvier, le pasteur Henri Yé, président de la Fédération des églises et missions évangéliques regroupant les Eglises protestantes du Burkina Faso, était plus prudent: «La plupart des attaques ne sont pas revendiquées.» Et le responsable mettait en garde contre une lecture uniquement religieuse des événements. «Les violences se développent sur un terreau d’abandon économique et les attribuer indistinctement aux djihadistes empêche de comprendre le terrorisme et ainsi de l’éradiquer», déclarait-il.
L’alerte d’une ONG suisse
Ce débat est particulièrement vif à propos du Nigeria. Le poids lourd de la région avec ses 180 millions d’habitants est le théâtre, toujours selon Portes ouvertes, des pires violences contre les chrétiens dans le monde. Fin janvier, l’ONG suisse Christian Solidarity International alertait sur un risque de «génocide».
Le constat fait écho au reportage de Bernard-Henri Lévy publié en décembre dernier dans Paris Match. Le philosophe-activiste français s’était rendu dans le centre du Nigeria, là où les attaques contre les chrétiens sont les plus préoccupantes. Il estimait qu’il y existait une situation «pré-génocidaire» causée par les attaques des bergers peuls. Une vision qui a été dénoncée comme simpliste par des chercheurs français et nigérians, dans une tribune publiée dans le journal Le Monde. Selon ce texte, la compétition pour la terre entre agriculteurs et éleveurs augmente et elle explique davantage les violences que les appartenances religieuses. Quant aux bergers peuls, ils ont parfois eux aussi été victimes de massacres.
«Il y a des extrémistes des deux côtés», réagit Vincent Foucher, chercheur au CNRS et l’un des signataires de cette tribune. «La particularité du Nigeria est que les chrétiens et les musulmans forment deux blocs au poids démographique à peu près équivalent. Il y a une anxiété symétrique. Parler de génocide polarise davantage les communautés», continue le chercheur, qui voit dans ces accusations l’influence des milieux évangéliques américains et d’une vision d’un choc des civilisations global. «Les chrétiens nigérians sont très connectés aux Etats-Unis», dit-il.
«C’est une théorie de la conspiration, rétorque John Eibner, le directeur de Christian Solidarity International. Je comprends bien que la situation nigériane est complexe mais cela ne doit pas nous servir d’excuse pour ne rien faire.» Il en appelle, sans trop y croire, au Conseil de sécurité de l’ONU et place plus d’espérance dans la Cour pénale internationale pour mettre fin à l’impunité. Car, selon lui, l’Etat nigérian a démontré son incapacité à protéger les chrétiens. Les violences sautent les frontières, la mobilisation des organisations chrétiennes aussi.
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