La parole des diplomates, un outil pour la paix

Article paru sur le site du journal La Croix le 05/02/2019 par Pierre Cochez

« Comment tu me parles » Les diplomates négocient les mots qui serviront à éviter les guerres, à vivre ensemble ou côte à côte.

Ils le font en écoutant l’autre, parfois dans le secret, toujours à la recherche du point d’accord.

«Maintenant, on parle ! » : c’est avec cette phrase, promesse de paix, que les diplomates du monde entier entrent en scène. Ils vont par des mots reconstruire le lien politique entre des belligérants. « La négociation est restauratrice. Elle a une dimension symbolique. On ne se dispute plus, ce qui est déjà formidable », explique Joseph Maïla, directeur de programme à l’Institut de recherche et d’enseignement sur la négociation (Irené).

L’ambassadeur de France Claude Martin estime, par exemple, que « le travail des diplomates a évité des millions de morts en plus lors du génocide au Cambodge. À un moment, il a fallu que quelqu’un prenne son bâton de pèlerin pour faire la paix ». Mais à quel moment les diplomates peuvent-ils s’inviter ? Joseph Maïla souligne le cynisme de la question, posée aujourd’hui pour le conflit syrien : « À combien de morts les belligérants sont-ils convaincus qu’il faut commencer à négocier ? »

Le choix des mots

Autour de la table, les diplomates vont alors « engager une conversation pour comprendre les enjeux. Quelques mots vont être écrits. Ils sont l’origine de la construction d’un accord qui va demander de longues séances de rédaction », explique Aurélien Colson, directeur de l’Irené et professeur de science politique à l’Essec.

Cet ancien conseiller de Lionel Jospin a participé aux accords de Nouméa en 1998. « Le choix des mots va servir à autre chose que la seule précision technique. Les accords de Nouméa comportent un préambule dont les mots ont été choisis avec soin. Ils font référence à l’histoire douloureuse entre la France et la population kanake », poursuit-il.

Ce ne sont pas des mots en l’air. La parole dite puis écrite relève de « l’immatériel » : « Je reconnais ainsi l’autre dans sa dignité, dans sa volonté légitime de revendiquer des droits », souligne Joseph Maïla. Le chemin de la réconciliation passe par là. « On peut arriver à la stabilisation comme en Côte d’Ivoire. Aujourd’hui, ce pays fonctionne bien. Mais peut-on dire que les différentes factions se sont réconciliées ? L’exemple franco-allemand prouve qu’une réconciliation entre deux peuples est possible. »

Comprendre la parole de l’autre

Sur ce chemin vers la paix, comprendre la parole de l’autre est essentiel pour le diplomate. Claude Martin maîtrise l’allemand et le chinois. En poste à Pékin et en Allemagne, il estime que « passer par une langue tierce pour se comprendre fait perdre la moitié du message. La langue allemande est extrêmement précise. L’anglais est plus ambigu. » Mais ces ambiguïtés peuvent faciliter, dans un premier temps, les rapprochements, et permettre ainsi la conclusion d’un Memorandum of understanding (document de compréhension mutuelle), premier pas vers un accord, où les ambiguïtés devront être levées.

L’art de la diplomatie comporte aussi des silences. Au cours de la négociation, certains points ne seront pas mentionnés, dans une volonté de raboter les obstacles. Yves Aubin de La Messuzière (2), ambassadeur en Tunisie et en Italie, estime qu’un bon négociateur « ne doit pas avoir le goût des certitudes. Il sait écouter, même quand ce que dit l’interlocuteur paraît inacceptable ».

« Le raisonnement est la base de la diplomatie »

En poste en Irak sous Saddam Hussein, il se souvient avoir rencontré 90 fois son inamovible ministre des affaires étrangères Tarek Aziz pour le convaincre d’accepter des inspections onusiennes dans les palais du président. « Mon rôle consistait à lui tenir un langage de vérité, de lui expliquer qu’il était totalement isolé et que c’était à lui de faire des concessions. » L’un des défis était aussi d’éviter l’empathie avec les souffrances du peuple irakien victime de l’embargo international. « J’ai gardé la tête froide », conclut-il. Claude Martin dit la même chose : « Le raisonnement est la base de la diplomatie. Notre rôle est de défendre l’intérêt de la France. »

Ces diplomates bataillent autour d’une table de négociation ou dans le secret d’un bureau ministériel, alors que les militaires conduisent les combats sur le terrain. « Nos métiers sont aussi différents que des médecins et des vétérinaires. Nous, diplomates, devons savoir trouver dans une guerre des partenaires qui pensent que cette guerre n’arrangera pas les choses. » Ces hommes de dialogue ont besoin du secret. Aurélien Colson explique : « Il faut ménager des espaces de discrétion. C’est utile et même légitime. Nous n’avons pas la naïveté de penser que tout peut se mettre sur la place publique. »

« Arrogant », « suffisant », la difficile réputation des diplomates français

Le discours de Dominique de Villepin au Conseil de sécurité de l’ONU, à la veille de la guerre en Irak, a été, pour Aurélien Colson, « un moment des négociations que l’on avait choisi de rendre public ». C’est ce qu’explique Yves Aubin de La Messuzière : « Notre ambassadeur aux Nations unies était en contact permanent avec les membres du Conseil de sécurité pour éviter la guerre. C’était une volonté du président Chirac. Les mots de son ministre des affaires étrangères étaient un moment de cette négociation, mais un moment très inspiré. »

Les mots conclus par les diplomates engagent ensuite. « Dans certains pays… », tempère Claude Martin. « Nous sommes souvent vus comme une nation de gens légers et virevoltants », regrette ce diplomate, pour qui le pire « est d’avoir négocié au nom de la France en utilisant notre charisme personnel et de voir ensuite que notre pays ne tient pas ses engagements. C’est douloureux. » Yves Aubin de La Messuzière met un autre bémol. « Les diplomates français traînent parfois une réputation d’arrogance et de suffisance. » Malgré ces réserves, ces diplomates sont convaincus de l’utilité de ce métier « aussi vieux que l’humanité », construit sur la compréhension de l’autre.

Le conseil pour mieux se parler  : trois leçons de diplomates

La sagesse des diplomates d’hier se trouve confirmée par la recherche d’aujourd’hui. Aurélien Colson, professeur de science politique à l’Essec, régulièrement sollicité par le Quai d’Orsay et des académies diplomatiques étrangères, nous livre trois de leurs conseils.
► « Savoir quand être ferme comme le roc, et quand être souple comme le saule
pleureur », François de Callières (1716) : tracer la limite du non-négociable et montrer de la flexibilité sur le reste.
► « On apprend toute sa vie à devenir bon négociateur », Antoine Pecquet (1737) :
à tout âge, chaque expérience doit rester une occasion d’apprentissage.
► « Les dangers de la vanité ne sauraient être sous-­estimés », sir Harold Nicolson (1939) pensant à ses homologues français : bannir l’arrogance.


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