La diplomatie française redoute de perdre pied au Moyen-Orient
Article paru sur le site du journal Le Figaro le 22/06/2018 par Alain Barluet
Pour Alain Barluet, correspondant Défense au Figaro, l’insuffisance des moyens matériels et humains dévolus à «un appareil diplomatique en surchauffe face aux crises régionales» est édifiante.
Les inquiétudes du Quai d’Orsay ne faiblissent pas à l’approche des arbitrages budgétaires. Le Figaro avait révélé récemment un document interne du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères dans lequel celui-ci exprimait ses craintes d’un «décrochage» international. Une nouvelle note, datée du 15 juin et adressée au ministre, Jean-Yves Le Drian, détaille et renforce cette alarme. Elle émane de l’une des principales directions du ministère, celle d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient (ANMO).
Dans cette zone, où la France est traditionnellement très active et où, en outre, sévissent les principales crises qui menacent la paix dans le monde et la sécurité des Français, du Levant au Yémen en passant par la Libye, «les moyens de notre diplomatie sont désormais insuffisants pour répondre aux enjeux et à nos ambitions», souligne la note. «Il y a danger, y lit-on encore, s’il n’était pas décidé un effort significatif de redressement de nos moyens, ou pire, s’ils devaient être de nouveau réduits, notre crédibilité serait en cause au Maghreb, au Proche et au Moyen-Orient». L’insuffisance des moyens matériels et humains dévolus à «un appareil diplomatique en surchauffe face aux crises régionales» est édifiante.
Budgets en constante diminution
À titre d’exemple, alors que la crise syrienne figure parmi les priorités diplomatiques d’Emmanuel Macron, ce dossier «est suivi par le département avec un effectif comparable à celui des Pays-Bas, soit une dizaine de personnes, loin derrière les États-Unis ou le Royaume-Uni», déplore la note. Souffrant de budgets en constante diminution, les prestigieux instituts français de recherche à l’étranger (IFRE) – sept dans cette zone, notamment au Caire, Rabat, Tunis, Téhéran, Sanaa… – sont en passe de perdre leur statut d’excellence dans les études et l’analyse du monde arabo-musulman. «Notre réseau devient myope et pourrait ne pas anticiper la survenance des prochaines crises», estime la note qui insiste sur l’urgence de redonner une «capacité d’action en crédits d’intervention» dans la zone.
Le diagnostic est plus sombre encore s’agissant de l’influence économique et culturelle où la France pourtant occupait une place de choix, notamment au Maghreb et au Levant. Selon la note de l’ANMO, «les élites se tournent de plus en plus vers les pays d’Amérique du Nord et l’Australie». Les diplomates sonnent le tocsin: «Nos moyens de coopération sont en chute libre», moins 52,5 % de 2007 à 2017, soit une dégringolade de 58 à 27,5 millions d’euros. «Poursuivre ce rythme de baisse signifierait la disparition dans la prochaine décennie de notre réseau culturel et de coopération […] alors même que les Britanniques et les Allemands renforcent significativement leurs moyens», indique le document. Quant à la pratique du français, sans surprise, elle «s’effrite et avec elle la diffusion de notre système de valeurs». Le Quai d’Orsay préconise donc de «promouvoir le français, notamment comme un atout pour l’emploi», de «préserver et de moderniser le réseau scolaire à l’étranger» (92 établissements et 87.500 élèves, dont 50 % d’élèves nationaux, dans la zone ANMO) et de «doubler en une décennie nos moyens de coopération, en particulier les bourses».
Inquiétude
D’autres aspects suscitent l’inquiétude, à l’heure où la stabilisation de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient constitue «un enjeu essentiel pour notre sécurité et la maîtrise des flux migratoires». Dans cette zone, l’aide au développement a baissé de 17 % ces dernières années, alors que le Royaume-Uni et l’Allemagne ont fortement accru leur effort. En 2016, Berlin a mobilisé pour ces pays 2,9 milliards de dollars d’aide publique au développement, soit trois fois plus que la France. De surcroît, «notre aide humanitaire est indigente et indigne de notre pays», relève la note. Avec 0,8 % du total, l’aide apportée entre 2011 et 2016, la France se situe loin derrière les États-Unis (27 %), l’Allemagne (8,9 %) et le Royaume-Uni (8,3 %). Paris stagne au 17e rang des donateurs d’aide pour le Yémen. «Nos crédits humanitaires doivent impérativement être revus à la hausse, sous peine de perdre toute crédibilité internationale», souligne la note.
En ANMO, nos intérêts économiques et commerciaux sont «majeurs» – la zone concentre, par exemple, la moitié de nos exportations d’armement. Néanmoins, «nos parts de marché ne cessent de diminuer», pointe la note en recommandant de renforcer les effectifs des services économiques – un seul conseiller actuellement en Libye, deux en Irak.
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