Guerre en Syrie, Turquie, Russie… et l’humanitaire dans tout cela ?

Article paru sur le site Defis Humanitaire le 29/10/2019 par Alain Boinet

Donald Trump a donné son feu vert à l’offensive turque de Recep Tayyip Erdogan dans le nord-est de la Syrie contre les kurdes et leurs alliés provoquant de nombreux morts et blessés, détruisant des infrastructures et chassant de chez eux plus de 200.000 habitants.

Rappelons que dans cette région, sur une population de 3 millions d’habitants, il y avait déjà avant cette attaque 710.000 déplacés et 1,8 millions personnes ayant besoin d’une aide humanitaire essentielle. C’est dire l’ampleur des besoins vitaux de ces populations plongées dans un chaos qui a désorganisé et réduit l’aide humanitaire au moment même où elle doit au contraire s’intensifier.

Diverses organisations humanitaires sont actives dans le nord-est : ONG locales et internationales, agences des Nations-Unies, le Croissant Rouge Kurde, la famille de la Croix Rouge dont le Croissant Rouge Syrien (SARC). Une partie significative de l’aide est acheminée depuis l’Irak pour des raisons évidentes de proximité et d’efficacité.

Garder les portes de l’aide ouvertes

Il est donc essentiel que les points de passage frontaliers avec l’Irak restent ouverts et que les Nations-Unies y veillent particulièrement alors qu’Ursula Mueller, Secrétaire Générale adjointe pour les Affaires Humanitaires de l’ONU, alerte le Conseil de Sécurité sur l’urgence d’accroître l’aide humanitaire et de soutenir l’action des organisations qui opèrent en Syrie depuis l’Irak.

Il y a là un très grand enjeu pour l’assistance humanitaire internationale. En effet, celle-ci est fondée sur les besoins vitaux des populations partout où elles se trouvent. Mais jusqu’à présent, les ONG internationales ont été empêchées de le faire en Syrie. Certaines agissent dans les régions contrôlées par Damas et d’autres dans des régions hors de son contrôle. Ceci n’a jamais été un choix délibéré de leur part mais le seul fait des circonstances et des événements.

Le risque à venir est qu’en reprenant progressivement le contrôle d’une partie du nord-est, le pouvoir à Damas cherche à en faire sortir les acteurs humanitaires neutres, impartiaux et indépendants qui apportent dans cette région, comme ailleurs en Syrie, une aide nécessaire à des millions de syriens.

Ce serait là une grave erreur tant pour les secours à court et moyen terme que pour la suite qui concerne la reconstruction des infrastructures et le retour de millions de déplacés et réfugiés partout à travers le pays. Car ces organisations humanitaires ont les capacités de répondre à l’urgence, mais également de contribuer à la reconstruction des infrastructures de l’habitat, l’approvisionnement en eau potable, la santé, l’éducation et la relance des activités génératrices de revenus.

L’aide humanitaire anticipe la reconstruction

Tout le monde sait bien que l’aide humanitaire et la reconstruction du pays nécessiteront beaucoup de temps et coûteront des centaines de milliards de dollars. Permettre aux acteurs humanitaires d’aider tous les syriens dans la durée est sans doute une des conditions pour permettre la mobilisation des efforts financiers nécessaires de la part de la communauté internationale. La voie opposée aurait des effets désastreux pour l’avenir de ce pays en guerre depuis bientôt 10 ans.

Mais, nous n’en sommes pas encore là. L’armée syrienne se déploie lentement. Les kurdes des Forces Démocratiques Syriennes (FDS) représentent une population nombreuse et restent une force militaire significative avec leurs alliés chrétiens et arabes. Les combattants de Daech se réorganisent et les groupes djihadistes armés par la Turquie campent le long de la frontière, la police militaire russe patrouille avec les soldats turcs. L’autoroute M4 où circulaient auparavant 235 camions chaque mois pour l’acheminement des secours est toujours coupée. Dans ce contexte incertain, l’hiver qui approche est une autre menace pour les déplacés et les humanitaires sur place doivent se mobiliser dès à présent pour y faire face.

La géopolitique à l’œuvre et les leçons pour les humanitaires

Si cette guerre se caractérise par la complexité de ses antagonismes politiques, religieux, ethniques, idéologiques, la constante géopolitique régionale est une donnée relativement stable évoluant au gré des crises et des rapports de force.

Les derniers événements confirment la diminution de l’influence des pays occidentaux, notamment celle des Etats-Unis retournant à l’isolationnisme, mais également de la France et du Royaume-Uni, sans parler de l’Union Européenne, au profit des régimes et des alliances conduites par la Russie avec la Turquie, la Syrie et l’Iran.

C’est presque une banalité tout autant qu’une nécessité d’appeler à ouvrir les yeux sur ce monde qui change rapidement et dans lequel la mondialisation et le multilatéralisme évoluent vers un monde multipolaire, pluriculturel où chaque Etat Nation ressent le besoin de réaffirmer son existence, sa singularité et ses intérêts.

Quelles seront les conséquences de ces changements sur l’aide humanitaire ? A n’en pas douter, elle sera demain plus nécessaire que jamais. Mais ses conditions d’exercice ne vont-elles pas s’en trouver modifiées ? L’humanitaire est resté stable sur ses principes et pratiques tout en connaissant un développement considérable : comment devra t’il s’adapter tout en restant fidèle à lui-même ?

Dans l’immédiat, la meilleure réponse à apporter à ce questionnement est encore de remplir notre mission humanitaire en Syrie et ailleurs sur la base des seuls besoins vitaux des populations, tout en sachant aussi que les plus vulnérables sont parfois des communautés entières et des minorités dont l’existence même est en danger.

Enfin, je dois préciser que je n’exprime ici que mon seul point de vue, que je ne parle au nom d’aucune organisation humanitaire et que j’espère seulement que ces quelques réflexions soient utiles à l’humanitaire dont les populations ont aujourd’hui même le plus grand besoin en Syrie.


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