Dix sujets d’actualité humanitaire à ne pas manquer en 2017
Article paru sur le site de l’IRIN le 02/01/2017
Si 2016 nous a appris à nous attendre à l’inattendu, les collaborateurs d’IRIN sur le terrain ont donné une bonne idée de ce que la nouvelle année nous réserve.
Nous ne pouvons pas garantir que tous les médias couvriront ces sujets, mais en voici dix auxquels nous serons attentifs :
Les conséquences de l’élection de Donald Trump
Depuis les dernières élections aux États-Unis, les spéculations sont allées bon train quant aux impacts de sa présidence sur le monde. Ses nombreuses déclarations et ses tweets de campagne laissent entendre qu’il compte privilégier la sécurité et les intérêts nationaux plutôt que l’aide internationale et qu’il réduira à néant les efforts du gouvernement Obama pour combattre le changement climatique.]
Dans le secteur de l’aide humanitaire, nombreux sont cependant ceux qui gardent une attitude optimiste, ne serait-ce que publiquement, en soulignant que l’aide extérieure bénéficie du soutien des deux partis et que les Républicains au Congrès s’opposeront à toute coupure significative du budget qui y est consacré. D’autres prédisent que, même si le gouvernement Trump ne réduit pas les aides de manière générale, il favorisera leur acheminement par des partenariats privés et par des initiatives axées sur les résultats telles que la Millennium Challenge Corporation, plutôt que par l’intermédiaire des organes traditionnels comme les Nations Unies et les organisations non gouvernementales internationales.
Il est probable que le gouvernement Trump alloue une plus faible part du budget aux programmes de santé de la procréation et de planification familiale et qu’il sabre le financement des initiatives liées au changement climatique. M. Trump a nommé au gouvernement un certain nombre de climatosceptiques, dont Rick Perry, qui dirigera le ministère de l’Énergie, et Scott Pruitt, qui sera à la tête de l’Agence de protection de l’environnement.
L’implosion du Venezuela
Pourtant riche en pétrole, le pays s’est effondré sur tous les plans en 2016, de l’inflation galopante aux étals de supermarchés vides en passant par la ruine presque totale du secteur de la santé publique qui a entraîné la réapparition de maladies qui avaient été éradiquées, comme le paludisme et la diphtérie. Le gouvernement se garde bien de révéler les données d’une vraisemblable hausse des taux de mortalité maternelle et infantile, de pauvreté et de malnutrition, mais les médecins et des associations de la société civile ont observé cette inquiétante trajectoire.
Le gouvernement du président Nicolas Maduro refuse toujours d’admettre l’existence de cette crise humanitaire croissante (et en accepte encore moins la responsabilité). La situation ne peut donc que dégénérer en 2017. Le dialogue entre le gouvernement et l’opposition sous la médiation du Vatican, entamé en octobre, n’a pour l’instant débouché sur aucun accord qui permettrait de lever l’interdiction de l’aide internationale par le Venezuela et, ainsi, de résorber les graves pénuries de médicaments.
M. Maduro a réussi a bloquer un référendum révocatoire qui aurait probablement conduit à sa destitution en octobre 2016. En vertu de la Constitution vénézuélienne, si M. Maduro venait à perdre un référendum en 2017, il pourrait quand même transférer ses fonctions à son vice-président et maintenir ainsi le Parti socialiste unifié du Venezuela au pouvoir. Toute solution politique étant pour ainsi dire exclue, il semble que l’agitation sociale ne pourra que s’accroître en 2017. Les Vénézuéliens seront de plus en plus nombreux à devoir traverser la frontière en quête de moyens de subsistance, de soins de santé et de denrées alimentaires à des prix abordables. Restez à l’affût des nouvelles concernant le Brésil et la Colombie, qui feront probablement les frais de cette migration forcée croissante.
La descente aux enfers du Yémen
Une infime partie du monde porte enfin son attention sur le Yémen, grâce, notamment, aux campagnes visant à convaincre les États-Unis et la Grande-Bretagne de cesser de vendre des armes à l’Arabie saoudite, sans parler de l’admission à contrecœur par cette dernière d’avoir utilisé des bombes à sous-munitions britanniques (fait confirmé par la suite par la Grande-Bretagne).
Mais la guerre et la catastrophe humanitaire se poursuivent. La coalition arabe a beau assurer — à IRIN pour le moins — qu’elle fait tout pour éviter les dommages collatéraux, des marchés et des funérailles ont été la cible d’attaques et plus de 4 300 civils sont morts depuis le début de la guerre en mars dernier, à en croire le bilan, sûrement en deçà de la réalité, d’un système de santé décimé.
Les pourparlers de paix offrent peu d’espoir. Le processus de paix soutenu par les Nations Unies — une série de négociations entre élites ne prenant pas en compte la réalité sur le terrain — est dans l’impasse et les rebelles houthistes ont mis sur pied leur propre gouvernement.
Aujourd’hui, le Yémen risque sérieusement de sombrer dans la famine. Avant la guerre, le pays importait 90 pour cent de sa nourriture. Avec une économie exsangue, les importateurs ont du mal à pourvoir aux besoins du pays et les ménages n’ont tout simplement pas d’argent pour acheter à manger.
L’avenir post-Alep de la Syrie
La défaite de la dernière poche de résistance d’Alep-Est et l’évacuation des combattants et des civils hors de la ville représentent une grande victoire pour le président syrien Bashar al-Assad. Mais elle ne marque pas la fin de la guerre ni des souffrances. Les rebelles contrôlent toujours la province d’Idlib et une grande partie de Deraa, les Unités de protection populaire kurdes occupent Afrin au nord et la Turquie semble elle aussi avoir des visées territoriales. Quant à l’autoproclamé État islamique (EI), il a repris le contrôle de Palmyre et garde sa mainmise sur Raqqa.
Alep illustre encore une fois l’échec de la diplomatie. Le dernier cycle de négociations à Genève n’est plus qu’un souvenir lointain et bien que le nouveau cessez-le-feu obtenu grâce aux bons offices de la Russie et de la Turquie semble tenir dans certaines zones du pays, la trêve n’inclut pas tous les groupes rebelles. Si cet accord n’ouvre pas la voie aux pourparlers de paix prévus au Kazakhstan et qu’une nouvelle flambée de violence généralisée se produit, on ignore où M. Al-Assad mènera ses troupes. Il est cependant probable que les tactiques de siège caractéristiques de cette guerre conduiront à de nouvelles trêves localisées et à d’autres évacuations.
Encore une fois, cette année s’annonce bien sombre pour les civils syriens. Ceux qui ont été évacués d’Alep par bus se dirigent en plein hiver vers des zones de guerre où ils viendront grossir les rangs des 6,3 millions de civils déjà déplacés à l’intérieur de leur propre pays.
Les Rohingya du Myanmar — une crise qui dure et une nouvelle insurrection
Peu de groupes ethniques sont aussi persécutés que les Rohingya. Sous le régime militaire qui a dirigé le pays pendant plusieurs décennies, les généraux birmans leur ont progressivement ôté la plupart de leurs droits, dont leur nationalité, et ont imposé le système d’apartheid dans lequel ils vivent encore aujourd’hui.
Depuis plusieurs dizaines d’années, environ un demi-million de Rohingya ont fui le Myanmar lorsque leurs villages ont été attaqués, mais le Bangladesh ne veut pas non plus d’eux et refuse de les enregistrer comme réfugiés. Au cours des derniers mois de 2016, l’armée s’en est encore violemment prise à des civils après des attaques menées par un nouveau mouvement insurrectionnel, ce qui a conduit à une nouvelle vague de migration.
La méthode musclée employée par le Myanmar a peu de chances d’écraser le mouvement, connu sous le nom d’Harakah al-Yakin [« Mouvement de la foi » en arabe]. Au contraire, en ciblant la population civile, l’armée risque davantage de pousser les jeunes à rejoindre les rangs des insurgés. Jusqu’à présent, ces derniers n’ont pris pour cible que les forces de sécurité birmanes et leurs motivations semblent purement locales : pousser le gouvernement à accorder la nationalité birmane aux Rohingya. Mais les groupes islamistes internationaux, dont l’EI, pourraient se servir du mouvement et menacer la stabilité de la région.
Alertes aux risques de génocide et de famine au Soudan du Sud
L’effondrement du Soudan du Sud se poursuit et la situation ne risque que d’empirer en 2017. La guerre civile a poussé 400 000 personnes à fuir le pays pour l’Ouganda depuis que l’accord de paix a été brisé en juillet. Le Soudan du Sud compte aujourd’hui plus de 1,8 million de personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays.
Les affrontements ont interrompu les activités agricoles et entravé l’accès de l’aide humanitaire à de nombreux secteurs. « Tous les indicateurs disponibles annoncent une détérioration sans précédent de la sécurité alimentaire au Soudan du Sud en 2017. Le risque de famine est réel pour des milliers de personnes », a averti l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture.
La guerre et la concurrence pour l’accès à des ressources limitées ont également conduit à une « polarisation extrême de certains groupes ethniques », a averti en novembre Adama Dieng, Conseiller spécial des Nations Unies pour la prévention du génocide. Si ce processus continue, a-t-il dit, « les violences d’ordre ethnique risquent fortement de s’intensifier, et pourraient conduire à un génocide ».
Malheureusement, les efforts menés pour convaincre le gouvernement et les rebelles de renouer le dialogue ont échoué. Le Soudan du Sud entame l’année 2017 sous l’ombre menaçante d’une famine imminente et d’un éventuel génocide et la communauté internationale semble ne pas pouvoir ou ne pas vouloir obliger les chefs de file à mettre un terme aux combats avant de plonger leur pays dans une crise encore plus profonde.
La crise des déplacements en Irak
Tous les regards sont braqués sur Mossoul — la bataille qui pourrait enfin en finir avec l’EI en Irak. Selon les organisations humanitaires, un million de civils seraient coincés à l’intérieur de la ville et plus de 110 000 personnes ont déjà fui les environs. Mais il n’y a pas qu’à Mossoul que la situation est explosive : en tout, trois millions de personnes sont déplacées dans le pays. La plupart ont fui des zones contrôlées ou déjà libérées du joug de l’EI.
Pour les sunnites de la province d’Anbar — originaires de villes comme Fallouja et Ramadi — rentrer chez soi est loin d’être évident. Ceux qui sont soupçonnés d’entretenir des liens avec l’EI ne peuvent rentrer et doivent rester dans des camps, dans des abris de fortune ou ailleurs. Ignorer ce problème risque de conduire à la radicalisation d’une population qui a déjà eu le sentiment d’être un bouc émissaire et subi la mainmise d’Al-Qaida et de l’EI par le passé.
Les sunnites ne sont pas les seuls à être en danger. Certains chrétiens disent avoir trop peur pour rentrer chez eux dans les villages libérés proches de Mossoul. Le gouvernement irakien peut à peine assurer l’éclairage et a concentré ses maigres ressources sur les combats. Mais ce manque de vision à long terme met en péril l’avenir du pays.
En Afghanistan, plus d’un million de personnes déplacées ou de retour
Cela fait un moment que l’Afghanistan n’a pas connu de bonne année, mais la dernière a été particulièrement difficile et 2017 s’annonce désastreuse.
Après une quinzaine d’années d’interventions militaires au sol, les États-Unis ont retiré presque toutes leurs troupes. Cela a entraîné un effondrement économique étonnamment inattendu dont le pays peine encore à se remettre. L’année 2016 a également été marquée par une crise migratoire qui compliquera encore plus tout redressement économique.
Deux voisins de l’Afghanistan, le Pakistan et l’Iran, ont massivement reconduit les réfugiés afghans à la frontière, tandis que l’Union européenne a signé un accord subordonnant l’octroi d’aide à la réintégration par le gouvernement afghan des demandeurs d’asile déboutés. Le premier vol transportant des Afghans expulsés d’Allemagne est arrivé mi-décembre, alors que le nombre de personnes déplacées à l’intérieur du pays par le conflit a atteint un record en 2016.
En ce début d’année, l’Afghanistan peine à répondre aux besoins des 583 174 personnes déplacées par le conflit au cours de l’année passée et des 616 620 personnes revenues d’autres pays.
Rien ne laisse croire que l’insurrection talibane puisse se calmer et les efforts menés pour convaincre ses membres de dialoguer avec le gouvernement ont jusqu’à présent été particulièrement infructueux. L’armée afghane combat également d’autres mouvements insurrectionnels, dont l’EI, qui est apparu comme une force violente à ne pas négliger dans la province de Nangarhar, dans l’est du pays. Pendant ce temps, l’Iran continue de renvoyer les Afghans chez eux, l’Europe risque d’en expulser d’autres et le Pakistan dit qu’il commencera à chasser les Afghans qui n’auraient pas quitté le pays d’ici mars.
Joseph Kabila reste au pouvoir au Congo
La grande désillusion politique de 2016, outre celle d’Hillary Clinton, a été la fausse concession électorale de l’autocrate au pouvoir en Gambie. L’annonce s’est révélée n’être rien d’autre qu’un stratagème du président Yahya Jammeh pour gagner du temps afin de trouver une manière de prolonger ses vingt-deux années et demie au pouvoir. Mais détournons l’attention du plus petit pays continental d’Afrique pour nous intéresser au deuxième plus grand, la République démocratique du Congo, où le président Joseph Kabila semble se livrer à une manœuvre similaire qui a déjà fait des dizaines de morts et conduit à l’arrestation de centaines de personnes.
Sans vouloir minimiser les troubles violents qui secouent la Gambie, les conséquences de l’acharnement de M. Kabila à rester au pouvoir pourraient être encore plus désastreuses. Pour l’instant, une sorte de trêve fragile semble se maintenir. Les partis d’opposition ont accepté, du moins en principe, de laisser M. Kabila au pouvoir jusqu’à la fin de l’année prochaine, mais les discussions relatives au gouvernement de transition et au report des élections pourraient rapidement tourner au vinaigre. M. Kabila pourrait également tenter de modifier à nouveau la Constitution pour reporter les élections à 2018 ou même à plus tard encore. Le Burundi voisin est déjà en proie à une longue crise au sujet de la limitation des mandats et le souvenir est encore frais de la deuxième guerre du Congo de 1998-2003, qui a impliqué neuf pays africains et fait environ six millions de morts. Les évènements de Kinshasa seront donc à suivre de près en 2017.
L’opposition est faible et non armée, à Kinshasa du moins. La communauté internationale exerçant peu de pression et l’attention des médias étant monopolisée ailleurs, on est porté à croire que M. Kabila se maintiendra tranquillement au pouvoir. Mais si l’année 2016 nous a appris quelque chose, c’est bien de nous attendre à des surprises.
Famine dans le Bassin du lac Tchad
En termes purement quantitatifs et en matière de besoins, la crise humanitaire qui pourrait éclipser toutes celles mentionnées précédemment est celle du Bassin du lac Tchad. Peu couverte par les journalistes, c’est peut-être la moins médiatisée de toutes les urgences humanitaires de cette ampleur. Malgré les avancées militaires contre les extrémistes de Boko Haram, les conditions de vie se sont rapidement détériorées en 2016 dans cette région tourmentée à la croisée des chemins entre le Cameroun, le Tchad, le Niger et le Nigeria.
Mausi Segun, chercheur principal pour Human Rights Watch, a dit à IRIN qu’on n’avait plus assisté à un spectacle aussi effroyable que les visages de ces milliers d’enfants affamés depuis la guerre de Sécession du Biafra de 1967-70. Selon le réseau d’alerte précoce FEWS NET, 4,7 millions de personnes ont besoin d’une aide alimentaire d’urgence rien que dans le nord-est du Nigeria. Le réseau a alerté le 13 décembre que des zones reculées de la région auraient déjà été et seraient encore en proie à la famine. Au Tchad, la situation est à peine meilleure : plus de 130 000 personnes ont été déplacées par le conflit de Boko Haram et sont dispersées dans des camps, faisant concurrence aux populations vulnérables les accueillant pour l’accès aux maigres ressources disponibles.
Et Boko Haram n’est pas le seul problème : l’utilisation de l’eau par l’homme et le changement climatique ont réduit le lac à un vingtième de sa taille originale depuis 1960. La crise est déjà dramatique et risque de s’aggraver encore en 2017.
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