À Mossoul, les civils entre le marteau et l’enclume
Article publié sur le site L’Orient – Le jour le 28/03/2017 par Julie Kebbi
Des « attaques disproportionnées » de la coalition sont dénoncées par Amnesty International, qui estime qu’elles violent le droit international humanitaire.
Depuis le début de l’offensive pour reprendre Mossoul, des centaines de civils ont perdu la vie chez eux ou dans des abris où ils s’étaient réfugiés, suite aux frappes aériennes de la coalition internationale sur cette métropole du Nord irakien. L’une des opérations les plus meurtrières, dans le quartier de Jadida, à Mossoul-Ouest, date du 25 mars et aurait fait 150 morts au moins, selon l’ONG Amnesty International.
Les civils avaient reçu des instructions du gouvernement irakien par la radio et des brochures lancées par avion leur recommandant de demeurer à leur domicile pour rester en sécurité, plutôt que de fuir les zones de combats. En effet, explique le gouvernement irakien, tenter de fuir la ville présente pour les civils un risque trop élevé d’être tués par les membres de l’État islamique. Et selon le communiqué d’Amnesty, l’EI utilise les civils comme des « boucliers humains », ce qui constitue l’un des nombreux « crimes de guerre » du groupe.
Pour autant, le fait que les autorités invitent les civils à rester chez eux de manière répétée « indique que les forces de la coalition auraient dû savoir que ces frappes risqueraient d’entraîner un nombre important de victimes civiles ». Cette stratégie paraît avoir mis les civils encore plus en danger, souligne l’organisation. « Les preuves récoltées sur le terrain à Mossoul-Est indiquent un modèle alarmant de frappes aériennes de la coalition menée par les États-Unis qui ont complètement détruit des maisons avec des familles entières à l’intérieur », explique Donatella Rovera, conseillère principale en intervention en cas de crise à Amnesty International.
L’organisation rapporte également les témoignages d’habitants de Mossoul qui indiquent que les forces irakiennes et les jihadistes font usage de balles et de mortiers lors des combats, des armes moins que précises. Les mortiers « sont conçus pour une utilisation sur le champ de bataille et ne devraient jamais être utilisés dans des zones civiles densément peuplées », dénonce Amnesty International, qui rappelle que ces « attaques disproportionnées et des attaques indiscriminées violent le droit international humanitaire et peuvent constituer des crimes de guerre ». Selon le droit international humanitaire, toutes les précautions doivent être prises par les parties concernées afin de minimiser les atteintes à l’égard des civils. « Les armes utilisées sont moins chères (que des armes plus précises), mais elles sont plus dangereuses », ajoute Mme Rovera, contactée par L’Orient-Le Jour.
L’incompréhension des civils
Les civils sont frustrés et en colère à l’égard des autorités qui, selon eux, semblent les considérer comme « des citoyens de seconde zone », souligne aussi la conseillère. L’organisation a écouté les nombreux témoignages de civils ayant perdu leurs biens et leurs proches durant les violences, et il semblerait que, dès le début de l’offensive destinée à reprendre Mossoul en octobre, peu de moyens aient été mis en place pour les aider à retrouver les dépouilles mortelles.
« Cela nous a pris six jours pour trouver seulement des morceaux de leurs corps, qui étaient enterrés dans une fosse commune dans un terrain non loin… Je ne sais pas pourquoi nous avons été bombardés. Tout ce que je sais, c’est que j’ai perdu toutes les personnes qui comptaient le plus pour moi », raconte par exemple Hind Amir Ahmad, en référence à une attaque de la coalition le 13 décembre 2016.
Ce témoignage n’est qu’un parmi les dizaines récoltés par les ONG sur place. Il est donc nécessaire de mener une enquête « transparente et indépendante » pour les victimes, affirme Donatella Rovera. « S’il y a de l’argent pour permettre de financer les efforts de guerre, il y en a aussi pour financer les conséquences humanitaires des actions militaires », insiste-t-elle.
En attendant, le chef de la diplomatie française, Jean-Marc Ayrault, a présenté hier ses condoléances aux familles des victimes civiles des frappes aériennes de la coalition contre les jihadistes. « Chaque fois que cela est nécessaire, une enquête doit être diligentée », a-t-il précisé. La Russie, quant à elle, s’est manifestée hier auprès du Conseil de sécurité de l’ONU pour demander l’organisation d’une réunion spéciale à propos de Mossoul. « Ne pas parvenir à vérifier que l’on frappe les bonnes cibles pendant un laps de temps aussi long, c’est plutôt étrange de la part de l’armée américaine », a déclaré le ministre des Affaires étrangères russe, Sergueï Lavrov.
De leur côté, les États-Unis ont annoncé hier avoir lancé une enquête sur près de 700 vidéos de frappes aériennes en Syrie et en Irak, suite à ces informations concernant les pertes civiles. « L’une des choses que nous examinons est si certains de ces chiffres sont cumulés à partir de différents incidents, différentes opérations, dans cette bataille très disputée, très féroce, qui se joue à Mossoul », contre le groupe État islamique, a affirmé le colonel J.T Thomas lors d’une téléconférence au Pentagone.
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