Nouveau départ pour les relations entre l’Union africaine et l’Union européenne

Article paru sur le site International Crisis Group en septembre 2017

Les relations entre l’Union africaine (UA) et l’Union européenne (UE) ont atteint leur nadir en 2016 après de graves désaccords sur le paiement par l’UE des salaires des soldats de la paix de l’UA en Somalie. Le cinquième sommet UA-UE prévu en novembre constitue une occasion de redonner un second souffle à ce partenariat. Pour ce faire, les deux institutions devront évoquer ouvertement leurs désaccords, évacuer les frustrations mutuelles accumulées et décider de s’attaquer ensemble aux causes profondes de la migration vers l’Europe.

Synthèse

En novembre prochain, une rencontre aura lieu entre les dirigeants africains et européens, à l’occasion du cinquième sommet triennal entre l’Union africaine (UA) et l’Union européenne (UE), à un moment charnière des relations entre les deux institutions. Toutes deux connaissent actuellement une période de réformes internes et de transition qui aura d’importantes répercussions sur leur partenariat en matière de paix et de sécurité. Les désaccords majeurs de 2016 relatifs aux salaires des soldats de la mission de l’UA en Somalie ont été surmontés et les deux institutions souhaitent désormais renforcer leur coopération. Si la collaboration s’est améliorée dans certains domaines au cours des derniers mois, de profondes insatisfactions demeurent à propos des aspects financiers et des lacunes que chaque organisation perçoit chez l’autre. Les relations sont trop émotionnelles, trop ancrées dans l’histoire coloniale, ce qui constitue le terreau de la méfiance et du ressentiment. Pour que leurs relations s’améliorent, les deux parties doivent pouvoir aborder ouvertement les points de désaccord. Les discussions devront sortir du cadre commercial, des listes restreintes de réclamations et de négociations relatives au financement de l’UE. Elles devront porter sur des aspects plus stratégiques et émaner d’intérêts clairement énoncés.

L’UA a entamé une réforme institutionnelle qui, si elle est achevée, la rendra plus réactive, plus efficace et plus indépendante financièrement. Cependant, elle doit exercer son autorité dans un contexte rendu difficile par la nature volatile des conflits africains, en particulier dans le contexte de la propagation du jihadisme et d’autres groupes armés non étatiques et de l’apparition simultanée de coalitions militaires visant à les combattre, telles que la Force mixte multinationale du bassin du lac Tchad ou le G5 Sahel. Ces changements soulèvent également la question de la pertinence et de la durabilité de l’architecture de paix et de sécurité du continent. Conçue dans les années 2000, cette architecture est mise à rude épreuve et doit être entièrement repensée. L’Union africaine doit établir clairement ses priorités stratégiques, définir son rôle en matière de paix et de sécurité, et choisir soit de se concentrer sur l’élaboration et l’harmonisation des orientations et la supervision des politiques, soit de se contenter de la mise en œuvre des projets. Elle doit également réévaluer ses relations avec les communautés économiques régionales, qui sont au cœur de l’architecture de sécurité du continent, et définir clairement quelles organisations doivent prendre la main en cas de conflit.

Avec le Brexit, l’UE se prépare à perdre l’un de ses membres les plus riches et les plus influents. Cela aura nécessairement des conséquences sur les relations avec l’UA, telles que la renégociation de l’Accord de Cotonou, un partenariat entre l’UE et 79 pays de l’Afrique subsaharienne, des Caraïbes et du Pacifique, qui prend fin en 2020. La Facilité de soutien à la paix pour l’Afrique, qui constitue la principale aide financière de l’UE aux activités de paix et de sécurité de l’UA, est financée par le Fonds européen de développement, l’instrument financier de cet accord.

L’UE est un des principaux partenaires de l’UA en matière de paix et de sécurité ; elle a déboursé plus de 2 milliards d’euros d’aide depuis 2004. La question du financement représente la plus grande source de tensions entre les deux institutions. Bien qu’aucune des deux institutions ne le dise en ces termes, leur relation est essentiellement fondée sur un rapport bailleur-bénéficiaire. Les deux institutions entretiennent, parfois sans s’en rendre compte, le lien de dépendance. L’UE s’indigne d’être considérée comme un « distributeur de billets », d’autant qu’elle a le sentiment de ne pas obtenir la reconnaissance qu’elle mérite. Elle souhaite que l’UA « paie sa part ». L’UA affirme que c’est également ce qu’elle souhaite. Elle voudrait faire moins appel à l’aide extérieure et ses membres ont accepté la proposition consistant à reverser 0,2 pour cent du montant des importations du continent, ce qui lui permettrait de disposer de 1 milliard d’euros par an. Cette participation est essentielle. Si le pourcentage est trop élevé pour certains pays ou Etats membres, des solutions doivent rapidement être envisagées.

La question délicate du rapport bailleur-bénéficiaire est rendue encore plus complexe par les tensions relatives à l’héritage de la colonisation européenne, qui se sont accentuées durant le mandat de Nkosazana Dlamini Zuma à la présidence de la Commission de l’UA. Ces tensions minent la confiance, elles vont à l’encontre d’un débat libre et franc et empêchent d’évoluer vers un partenariat axé sur les intérêts des deux institutions.

Le sommet UA-UE n’entrainera probablement pas les changements souhaités par les deux organisations – les préparatifs en amont ne sont pas suffisamment aboutis –, mais il pourrait néanmoins constituer une précieuse occasion de mener des discussions plus stratégiques et d’évoluer vers un partenariat axé sur les intérêts des deux institutions, à condition de prendre les mesures suivantes :

Établir un partenariat pragmatique fondé sur les intérêts communs : le fait de qualifier de « partenariat d’égal à égal » une relation nettement déséquilibrée crée des tensions inutiles, suscite la crispation de certains Etats membres de l’UA et fait naitre des attentes déraisonnables. Cette notion, tout en restant une aspiration, doit être placée en second plan et remplacée par une approche plus pragmatique des intérêts communs de l’UA et de l’UE et de leur interdépendance.

 

Se concentrer sur les intérêts stratégiques et politiques : les discussions portant sur les détails de ce que l’UE financera ou non tendent à dominer les réunions entre l’UA et l’UE à tous les niveaux. Il sera difficile d’éviter les questions financières, mais le sommet devrait se concentrer sur les aspects les plus essentiels pour les intérêts à long terme des deux organisations et n’examiner les aspects financiers que dans le cadre de l’analyse stratégique des activités de paix et de sécurité après Cotonou. Idéalement, l’aide qui sera fournie à l’UA dans les prochains mois devrait être à la fois prévisible, afin que l’UA puisse envisager une planification à moyen terme, et flexible, ce qui lui permettrait d’adopter de nouvelles initiatives et de faire évoluer l’architecture de sécurité du continent. Cette aide devrait également inclure un instrument de réaction rapide, tel que le Mécanisme de réaction rapide déjà existant. L’aide devrait se concentrer sur les quatre domaines suivants : réaction rapide, diplomatie et médiation préventives, opérations de soutien à la paix, et renforcement des capacités et des équipements non meurtriers pour l’ensemble des forces militaires et des forces de sécurité de l’UA. En vue d’encourager les Etats membres de l’UA à augmenter leurs contributions financières, tout mécanisme élaboré à l’avenir devrait reposer sur un système de financement lié aux contributions, dans lequel la contribution de l’UE serait proportionnelle à celles des gouvernements.

 

Mettre la migration à l’ordre du jour : pour faire évoluer le partenariat vers une approche fondée sur les intérêts communs, il serait opportun de mettre la migration et la mobilité à l’ordre du jour du sommet, car il s’agit d’un sujet très controversé que les Etats membres de l’UA ne sont pas très disposés à aborder ouvertement. L’UE, par sa réaction impulsive à l’augmentation des flux de migrants en situation irrégulière venant d’Afrique, s’est aliéné l’UA qui souhaite que l’Europe augmente les voies légales de migration et s’attaque au cœur du problème plutôt que de fermer ses frontières. Cette question, aussi difficile soit-elle, doit être discutée ouvertement, car elle sera de toute façon dans tous les esprits.

Addis-Abeba, Bruxelles et Nairobi, 17 octobre 2017


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