Un technocrate britannique à la tête des opérations humanitaires des Nations Unies

Article paru sur le site de l’IRIN le 10/05/2017 par Ben Parker

C’est un drôle de boulot pour un homme qui dit détester les acronymes. Mark Lowcock, qui dirigeait jusqu’à présent le Département britannique pour le développement international (DFID), sera le nouveau chef de l’humanitaire des Nations Unies.

Il sera responsable de superviser un département tentaculaire et une multitude de mécanismes désignés par des acronymes.

M. Lowcock reprend le flambeau alors que quatre pays sont menacés par la famine, que les principes humanitaires sont foulés au pied en Syrie, que le département des Nations Unies dont il assurera la direction doit faire face à des compressions et que l’Administration Trump prévoit une réduction considérable de la contribution des États-Unis au financement des agences des Nations Unies.

Deux sources bien placées ont dit que le nom de M. Lowcock avait émergé seulement après le rejet par le Secrétariat des Nations Unies d’au moins un autre nom proposé par le gouvernement britannique. C’était en 2015, quand Ban Ki-moon a refusé de nommer à ce poste l’ancien ministre britannique Andrew Lansley. Son refus a donné lieu à une querelle diplomatique qui est devenue publique.

M. Lowcock, qui succède à Stephen O’Brien, est le dernier d’une série de Britanniques désignés au poste de Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires. Il aura pour mandat de diriger le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA). L’agence de presse AFP a annoncé la nouvelle aujourd’hui. Plusieurs sources d’IRIN avaient par ailleurs prédit la nomination de M. Lowcock à ce poste, pour lequel il touchera un salaire de 192 000 dollars par année.

La nomination d’un Britannique s’inscrit dans la continuité des dix dernières années. Ce qui est différent, cette fois, c’est que M. Lowcock est un fonctionnaire, pas un homme politique. Valerie Amos, qui a occupé le poste entre 2010 et 2015, était une figure importante du parti travailliste britannique, même si elle n’était pas une élue. M. O’Brien, son successeur, a siégé comme député du parti conservateur (tory), le parti au pouvoir, et disposait d’une expérience limitée dans le domaine de l’aide extérieure.

Mais alors que des hôpitaux sont bombardés et des réfugiés maltraités et que les pays riches ne veulent pas contribuer aux appels des Nations Unies à la hauteur des besoins, on peut se demander si un homme qui a travaillé toute sa vie comme fonctionnaire et qui a tendance à peser ses mots est la bonne personne pour faire le travail.

Une source britannique qui connaît bien les états de service de M. Lowcock s’est dite soulagée qu’il ne soit pas un « tory délaissé » et a soutenu que son expérience en ferait « un meilleur gestionnaire que ses prédécesseurs ». M. Lowcock manque cependant d’une expérience politique attestée pour intervenir au Conseil de sécurité. D’après la source interrogée, la défense des causes humanitaires auprès de cet organe exige beaucoup de charisme et d’influence.

D’un point de vue technique, M. Lowcock est la personne la plus qualifiée jamais nommée à ce poste : il a une formation de comptable, il travaille depuis 1985 pour la structure de l’aide du gouvernement britannique et il a fait des missions au Zimbabwe et au Kenya. Dans une interview, l’ancien ministre du DFID Andrew Mitchell a fait l’éloge de sa perspicacité et de ses conseils discrets : « Quand il disait “ce serait un geste très courageux, M. le ministre”, nous, qui avons grandi à l’époque de la série Yes Minister, réfléchissions très sérieusement avant de poser le geste en question. »

Un employé de l’OCHA qui a demandé l’anonymat a dit que la nomination de M. Lowcock provoquerait des réactions variées au sein du personnel : « Pour l’équipe de gestion, il représentera un nouveau défi à relever, comme Stephen, et pour les autres, quelqu’un qui, espérons-le, nous sortira du pétrin dans lequel nous sommes fourrés. »

L’employé interrogé fait notamment référence aux problèmes financiers et structuraux rencontrés par l’OCHA à la suite de la diminution des dons des bailleurs de fonds et de plusieurs évaluations critiques. M. Lowcock aura notamment pour mandat de gérer les 2 000 employés de l’OCHA. En tant que « coordonnateur des secours d’urgence », un titre attribué par les Nations Unies qui donne très peu d’autorité réelle à celui qui le porte, il devra aussi assurer le leadership de l’ensemble de la communauté humanitaire. Finalement, il sera responsable de conduire les réformes de l’aide d’urgence proposées lors du Sommet humanitaire mondial.

Dans un article pour IRIN, John Holmes, un autre prédécesseur de M. Lowcock, a qualifié la mission du chef des opérations humanitaires des Nations Unies de « presque impossible ».

D’après Ben Ramalingam, qui dirige le groupe Catastrophes et Développement de l’Institut des études sur le développement (Institute of Development Studies, IDS), un groupe de réflexion universitaire britannique, M. Lowcock est un « bon choix » vu ses compétences en matière technique et financière. M. Ramalingam a en outre dit à IRIN que le plus difficile pour M. Lowcock sera sans doute de composer avec le contexte politique tendu et de « revoir le rôle de l’OCHA dans un monde changeant ».

Un autre observateur a fait remarquer que M. Guterres avait nommé peu de femmes à des postes clés dans les domaines de la politique, de la paix et de la sécurité. Il a ajouté que le Secrétaire général ne semblait pas avoir dérogé à la tradition de nommer aux postes clés des responsables issus des cinq pays membres permanents du Conseil de sécurité.

À la suite de l’engagement de tous les partis de consacrer 0,7 % du revenu national brut (RNB) au développement, le Royaume-Uni est rapidement devenu le troisième plus grand pays donateur dans le monde après les États-Unis et l’Allemagne. Des observateurs et des analystes ont ainsi fait l’éloge de certains éléments du financement britannique du développement et de l’aide humanitaire, notamment la promotion des données ouvertes et de la transparence financière, la « dissociation » des dépenses du DFID des intérêts des entreprises partenaires et des sous-traitants britanniques et la défense de nouvelles approches comme l’aide en espèces et les efforts collectifs, y compris les fonds communs.

M. Lowcock a fréquemment été appelé à expliquer et à défendre le travail du DFID devant des comités et des enquêtes parlementaires. Le DFID a en effet été éclaboussé par un certain nombre de scandales. Parmi les plus récents, on peut citer les comportements non éthiques de l’un des principaux sous-traitants à but lucratif du DFID, Adam Smith International, et le projet bâclé d’aéroport sur l’île britannique lointaine de Sainte-Hélène.

L’auteur d’un article publié dans un magazine pour fonctionnaires à la suite d’une interview avec M. Lowcock soutient que celui-ci « n’utilise pas d’acronymes ». C’est une habitude que le nouveau SGA aux AH et CSU devra peut-être reconsidérer, et vite.


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