Saint Augustin, inspirateur du dialogue euro-méditerranéen?
Article publié sur le site cath.ch le 09/08/2017 par Bernard Hallet
“Saint Augustin est une figure historique capable d’inspirer la paix autour de la Méditerranée”. Pierre-Yves Fux, ambassadeur suisse près le Saint-Siège, a évoqué le 6 août 2017, les défis et l’avenir du dialogue euro-méditerranéen que l’héritage du Père de l’Eglise peut aider à renforcer.
Augustin naît à Thagaste, en Numidie (actuelle Souk Ahras, Algérie) en 354. Il part étudier à Carthage à 17 ans. Il traverse la Méditerranée et se rend à Rome puis à Milan où il se convertit au christianisme. Quelques années plus tard, il revient en Afrique, passe par Carthage. Il devient évêque d’Hippone (aujourd’hui Annaba, en Algérie). Il y restera jusqu’à sa mort en 430. Le parcours, certes résumé, de celui qui sera canonisé en 1298 fait de lui une figure méditerranéenne par excellence.
L’héritage spirituel et théologique qu’il a laissé a largement débordé les côtes de l’antique “Mare Nostrum”.
Une figure historique pour la Méditerranée
“Aucune autre figure historique ne paraît aussi capable d’inspirer paix et concorde autour de la Méditerranée que saint Augustin”, souligne Pierre-Yves Fux. Celui qui est un des Pères de l’Eglise occidentale peut, selon le diplomate, aider à créer des liens, malgré les difficultés actuelles. Une conviction partagée par ceux qui participèrent à cet échange placé sous le thème de “l’africanité et l’universalité de saint augustin”, il y a 15 ans, à Annaba, en Algérie.
Le vieux nom de la Méditerranée “Mare Nostrum” a servi à nommer en 2013, peu après le drame de Lampedusa, l’opération militaire et humanitaire destinée à sauver des migrants souhaitant entrer en Europe. Des milliers de vie ont été épargnées mais le conflit en Irak et en Syrie s’éternise, la traite d’êtres humains se poursuit, relève l’ambassadeur.
Un dialogue difficile mais constant
Pierre-Yves Fux expose les grandes difficultés auxquelles est confronté ce dialogue initié officiellement dans la Déclaration de Barcelone, en 1995. Le texte définissait, à l’initiative de l’Union européenne et de dix autres pays bordant la Méditerranée, une coopération politique, militaire, économique et culturelle censée ramener la paix et la stabilité sur le pourtour méditerranéen.
Malgré les attentats du 11 septembre en 2001, la reprise du conflit israélo-palestinien et les printemps arabes de 2010 avec les bouleversements géopolitiques qu’ils ont provoqués, le dialogue euro-méditerranéen n’a jamais cessé, explique le diplomate.
Les enjeux définis en 1995 sont toujours d’actualité. Si la référence à saint Augustin paraît évidente dans le domaine de la compréhension mutuelle des cultures et des sociétés, Pierre-Yves Fux rattache les préoccupations sécuritaires et économiques à la Règle religieuse définissant le bien commun et le partage.
Il s’agit également d’éviter de tomber dans le piège d’une vision binaire qui opposerait, de part et d’autre de cette mer, un bloc arabo-musulman et l’Europe. Le parcours de saint Augustin peut aider à cela si l’on considère son œuvre littéraire et théologique.
Des réponses aux nouveaux défis
“L’évolution du climat et l’extrémisme religieux sont deux nouveaux défis qui nécessitent une pleine coopération euro-méditerranéenne”, relève l’ambassadeur. Il précise que la réponse militaire au terrorisme est inévitable mais qu’elle doit s’accompagner d’une action dans le domaine des idées, de la culture et de la spiritualité.
La Déclaration d’al-Azhar signée par le pape François et ses homologues musulmans en mars dernier, au Caire est à son avis une réponse sur le plan spirituel. A voir si, tôt ou tard, elle donnera des fruits
La Déclaration de Tunis, signée le 24 juillet dernier par les ministres de l’Intérieur de douze pays européens et africains constitue une deuxième initiative. Politique cette fois-ci. Il s’agit pour les partenaires de juguler l’exode massif engendré par le conflit en Irak et en Syrie et les dommages collatéraux qu’il a créés.
Pierre-Yves Fux fait le parallèle avec le sermon 80 prononcé après le sac de Rome en 410, alors qu’arrivaient des réfugiés dans l’Africa. Il mentionne également les témoignages des religieux. Ce “petit nombre” qui s’est exprimé lors d’une table ronde la veille, durant le Congrès de Saint-Maurice sur les défis apostoliques auxquels ils ont à faire face. Ils ont, entre autres, témoigné de leur recherche constante de l’hospitalité et du dialogue dans la charité, deux valeurs teintées d’augustinisme.
“Cette action du ‘petit nombre’ n’a pas à s’opposer aux déclarations et aux plans des Etats ou des institutions religieuses. Les unes entraînent souvent les autres, et mutuellement”, argumente le diplomate.
Quel avenir?
Pierre-Yves Fux esquisse l’avenir du dialogue euro-méditerranéen sur plusieurs niveaux et dans la multiplication d’actions visant des objectifs communs. A l’image de la Commission internationale pour l’exploration scientifique de la mer Méditerranée. Fondée en 1919, l’institution répartie en 6 comités forme de jeunes chercheurs de pays du sud et de l’est méditerranéen.
Il cite également l’Académie méditerranéenne d’études diplomatiques (MEDAC), “un investissement à long terme sur la paix”, créée par la Suisse et Malte en 1990 pour prévenir les conflits. Des jeunes chercheurs et fonctionnaires de pays méditerranéens, parfois en guerre, s’y croisent lors de séminaires.
La Bibliotheca Alexandrina
Pour construire l’avenir, le choix géographique peut aussi être symbolique et historique. L’UNESCO a choisi Alexandrie pour établir une bibliothèque universelle dotée de la plus grande salle de lecture du monde, la Bibliotheca Alexandrina.
Alexandrie, qui a été une ville de culture et de grande diversité dans l’Antiquité et au début du 20e siècle, est aussi le siège de la Fondation euro-méditerranéenne pour le dialogue entre les cultures (= Fondation Anna Lindh: MAE suédoise poignardée par un déséquilibré en 2003), une institution du Processus de Barcelone qui vise à combler les fossés existant entre populations autour de la Méditerranée.
Parmi les recommandations finales du colloque augustinien de 2001, Pierre-Yves Fux se souvient de la recommandation d’Otto Wermelinger, professeur à l’Université de Fribourg. Il exprimait le souhait que davantage d’Algériens étudient le latin et que l’œuvre d’Augustin soit traduite en langue arabe pour créer ensuite un dialogue approfondi entre la civilisation arabe et le monde européen où Augustin est présent depuis des siècles.
Le pari, estime le diplomate, sera gagné le jour où “‘Mare nostrum‘ ne sera pas juste une expression connue des philologues ou utilisée pour désigner une opération militaire, mais à nouveau une notion commune et largement partagée”. (cath.ch/bh)
De la littérature latine à la diplomatie
Pierre-Yves Fux est ambassadeur de Suisse près le Saint-Siège et en Slovénie. Genevois d’origine, il est titulaire d’un doctorat de lettres en langue et littérature latines obtenu à l’Université de Genève. D’abord chercheur en littérature latine à l’Université de Genève (1992-1994 et 1995-1996) et à l’Institut suisse de Rome, Pierre-Yves Fux est entré en 1996 au service diplomatique de la Confédération où il a suivi les questions liées aux droits de l’homme et à l’humanitaire en Asie-Pacifique (1996-1997). Il a ensuite été envoyé comme attaché à l’ambassade de Suisse en Israël (1997-1998). Pratiquant l’allemand, l’italien, l’anglais, le latin et le grec ancien, Pierre-Yves Fux est l’auteur de nombreux ouvrages sur l’Antiquité chrétienne. Il a notamment écrit Paix et guerre selon saint Augustin, Ed. Payot, 2010.
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