Passeurs en Libye : Macron sonne le clairon

Article paru sur le site du journal Libération le 30/11/2017 par Par Maria Malagardis

Création d’une «task force» pour démanteler les réseaux de trafic d’êtres humains, rapatriements d’urgence… Mercredi à Abidjan, le président français a annoncé une série de mesures floues alors que l’extrême misère continue de pousser les jeunes Africains vers l’Europe.

Cette fois, la guerre est officiellement déclarée pour répondre au drame vécu par les migrants maltraités et vendus en Libye, qui a ému le monde entier après le reportage diffusé par la chaîne américaine CNN (lire page 8). Cette guerre, elle a pris forme mercredi soir, lors du cinquième sommet entre l’Union africaine et l’Union européenne qui se déroulait à Abidjan (Côte-d’Ivoire), avec la convocation d’une réunion d’urgence. Et c’est l’un de ses généraux autoproclamés qui en a énoncé les principales dispositions : Emmanuel Macron, en tournée africaine cette semaine, a ainsi énuméré les mesures censées briser net les flux migratoires vers la Libye. Au menu, des «opérations d’urgence, dans les prochains jours ou semaines», visant à rapatrier «ceux qui le désirent» dans leurs pays d’origine. Retour à la case départ, donc, pour les migrants, du moins pour ceux qui ne sont pas «éligibles au droit d’asile». Ces derniers seront en revanche «réinstallés», a promis le Président, sans préciser dans quel pays. Voilà pour la gestion immédiate de la tragédie qui agite le débat public mondial.

Simple fatalité

Mais comme il l’avait déjà martelé mardi au Burkina Faso, Macron entend surtout faire la guerre aux passeurs, dont «les réseaux, comme les financements», seront «démantelés grâce à une « task force »» dont les contours restent flous. Une commission d’enquête sera également créée au sein de l’Union africaine, «qui servira de cadre à d’éventuelles suites judiciaires» contre les trafiquants, a annoncé le Président. Enfin, pour décourager les départs, «une communication volontariste à destination de la jeunesse» sera mise en place. Sans oublier le défi, pour le moins compliqué, «de reconstituer un Etat pérenne en Libye». Finalement, la montagne n’a pas accouché d’une souris mais plutôt d’un petit rat, qui aura du mal à contenir la propagation de la peste. Car les passeurs ne sont pas la cause mais la conséquence du problème. Et l’on peut aisément parier qu’ils sauront ressurgir, sur d’autres routes, plus chères et plus dangereuses.

La Côte-d’Ivoire offre d’ailleurs un bon exemple des fausses réponses à une crise qui relève d’un malaise profond. Jeudi, au lendemain de ces annonces, le sociologue ivoirien Rodrigue Koné publiait justement une étude sur le phénomène migratoire dans son pays. Et révélait que selon les arrivées récentes en Italie, la Côte-d’Ivoire serait désormais le quatrième pays concerné par cette «aventure en Libye», après le Nigeria, la Guinée et le Bangladesh. Pourtant, rappelle le sociologue, la Côte-d’Ivoire affiche un taux de croissance prometteur de 8,5 % par an. «Beaucoup de jeunes rencontrés […] ont l’impression d’être exclus des bénéfices d’une croissance économique fortement médiatisée et qui ne sert que les intérêts des classes dirigeantes», analyse Rodrigue Koné, qui constate que la peur de mourir est perçue comme une simple fatalité, assumée par les candidats au départ. Quant à la communication visant «à décourager les jeunes qui ont cédé aux sirènes des passeurs», selon la formule de Macron, elle existe déjà en Côte-d’Ivoire, où une ONG de la société civile, le Foscao, a réalisé des petits spots diffusés à la télévision locale avertissant des dangers du voyage en mer. «Sans beaucoup d’effets pour l’instant», admet Ben, l’un des animateurs de ce projet rencontré à Anyama, une commune considérée comme l’un des points de départ vers la Libye. «En réalité, ils savent ! Mais leur désir de s’accomplir est le plus fort. Ici, un jeune sur deux économise pour partir», souligne-t-il.

A ses côtés, Ousmane (1), trentenaire au visage doux, acquiesce. Lui aussi est parti pour la Libye, en 2014. Les prisons pour migrants existaient déjà, comme les enlèvements et le racket. «Les Libyens ont la haine dans leur cœur», affirme Ousmane, qui a été détenu et torturé, puis relâché contre une rançon exigée à sa famille en Côte-d’Ivoire. Une fois libéré, il a eu peur, au dernier moment, de prendre la mer sur une barque «à peine plus grande qu’une pirogue». Il a fini par rentrer au pays, où sa famille refuse de le voir.

Unique horizon

«Ceux qui reviennent sont souvent considérés comme maudits. Ils ont gaspillé l’argent et n’ont pas réussi une traversée qui relève aussi du challenge initiatique. Ici, on estime que seuls les dieux, les plus forts, arrivent jusqu’en Europe», commente Ben, qui met en cause le rôle des mères : « Dans les familles polygames, la femme dont l’enfant est parvenu au bout du voyage va parfois être vue comme la meilleure épouse. Souvent, ce sont elles qui les poussent à partir.» Aujourd’hui, Ousmane gagne 4,5 euros par jour en travaillant comme manœuvre. Il bénéficiera de l’un des programmes de formation du Foscao. Mais combien d’autres continueront à regarder vers l’Europe comme unique horizon à leur désespoir ?

Mercredi soir, la fameuse réunion d’urgence sur la Libye présentait un casting intéressant : aux côtés d’Emmanuel Macron et d’Angela Merkel siégeait Denis Sassou-Nguesso, l’inamovible président du Congo, chargé du dossier libyen au sein de l’Union africaine (UA). Dans son pays, depuis l’élection notoirement truquée de mars 2016, tous les opposants croupissent en prison sans procès. Et ce petit émirat pétrolier maintient sa population dans la misère la plus absolue. Autant inviter le diable à sa table pour évoquer la fin de l’enfer. Et finalement, décréter qu’on va d’abord tenter d’éradiquer ceux qui en font sortir les damnés.

(1) Le prénom a été changé.


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