Les migrants: du pain béni pour les pays d’accueil
Article simultanément publié sur le site du journal « Le Monde » et « project-syndicate » les 07 et 14/04/2017. Par Ian Goldin, directeur de l’Oxford Martin Program sur les changements technologiques et économiques à l’Université d’Oxford (Royaume-Uni), et Jonathan Woetzel, administrateur du McKinsey Global Institute et associé principal de McKinsey & Company à Shanghaï.
Une grande partie des débats sur l’immigration qui font rage actuellement dans le monde entier reflètent l’hypothèse fallacieuse selon laquelle l’accueil des migrants est un acte de générosité – et un acte coûteux, par-dessus le marché. Pourtant, loin d’être un fardeau économique, les immigrants représentent une opportunité économique importante pour les pays de destination. Les pays qui adoptent une approche réfléchie et à long terme sur l’immigration peuvent en tirer d’importants avantages tangibles.
Une nouvelle étude du McKinsey Global Institute (MGI) montre que les migrants transfrontaliers (plus de 90 % de ceux qui ont déménagé pour des raisons économiques), ne représentent que 3,4 % de la population mondiale, mais près de 10 % du PIB mondial. Parce que près des deux tiers de ces migrants vivent dans les pays développés, où la productivité a tendance à être plus forte, ils maximisent l’impact de leur travail, par des avantages économiques considérables. Des migrants de tous niveaux de qualification contribuent à cet effet.
Les migrants ont ajouté environ 6,7 billions de dollars au PIB mondial en 2015 (soit 3 billions de dollars de plus que ce qu’ils auraient produit s’ils étaient restés dans leur pays d’origine. Parce que les flux depuis les pays en développement vers les pays développés génèrent la plus forte augmentation de la productivité, ces destinations représentent plus de 90 % de la contribution totale des migrants au PIB mondial. MGI estime qu’en 2015, les migrants ont généré près de 2 billions de dollars aux États-Unis, 550 milliards de dollars en Allemagne, 390 milliards de dollars au Royaume-Uni, 330 milliards de dollars en Australie et 320 milliards de dollars au Canada.
Même ces estimations sont probablement trop modestes, étant donné que les migrants sont également une source importante d’innovation et d’entrepreneuriat. Ils peuvent jouer un rôle particulièrement important dans les pays à vieillissement rapide de la population, en ce qu’ils soutiennent la croissance de la main-d’œuvre, améliorent les taux de dépendance des personnes âgées et contribuent aux recettes fiscales.
Contrairement à la croyance populaire, en général les migrants ne volent pas des emplois qui autrement seraient occupés par des travailleurs nés dans le pays d’accueil. Un grand nombre de migrants s’implantent dans une nouvelle communauté en occupant des emplois qui existent précisément parce que les habitants n’en veulent pas. De nombreuses recherches montrent que les migrants ont un impact négatif négligeable sur les salaires et l’emploi des travailleurs nés dans le pays d’accueil, sans parler des ressources fiscales des pays de destination.
Cependant certaines études suggèrent également qu’en Europe et en Amérique du Nord, les migrants peuvent gagner de 20 à 30 % de moins que les travailleurs nés dans le pays d’accueil de même niveau d’éducation, même au sein de la même profession. Avec des migrants moins en mesure de négocier efficacement les salaires (en raison notamment des barrières linguistiques ou de qualifications non reconnues), les pays se retrouvent avec un marché du travail à doubles standards.
Cette inégalité s’étend au-delà de l’économie. Le MGI a constaté que sur 18 grandes destinations, aucune n’a obtenu globalement de solides résultats d’intégration, même si certaines ont fait mieux que d’autres. Dans toutes les destinations, les migrants sont confrontés à davantage d’obstacles économiques que leurs homologues nés dans le pays. Ils ont également des difficultés à obtenir un logement et des services de santé de qualité. En outre, leurs enfants subissent souvent un retard dans la réussite de leurs études. Un grand nombre d’entre eux font l’objet de discrimination et de méfiance. Tout cela nuit à la capacité des migrants à contribuer à leur nouveau pays.
Le problème est que dans de nombreux pays, le débat sur l’immigration commence et se termine par la question du nombre de personnes à autoriser et sur ce à quoi leur profil doit ressembler. Il s’étend rarement à la création de passerelles pour que les migrants puissent s’assimiler complètement et maximiser leur contribution à l’économie.
Attacher davantage d’attention et de ressources à l’intégration peut aider les nouveaux arrivants à réaliser leur plein potentiel de production : un résultat qui est dans l’intérêt de tous les pays. Des efforts de ce genre peuvent transformer la vie des migrants et de ceux de la deuxième et de la troisième génération d’immigrés, qui façonneront la force de travail de l’avenir.
À cette fin, les initiatives à court terme visant simplement à relier les migrants à l’emploi sont insuffisantes. Après tout, un groupe défavorisé sur les plans de l’éducation, du logement, des services de santé, de la vie sociale et civique sera toujours défavorisé sur le marché du travail, même si des efforts sont faits pour relier ce groupe à l’emploi.
Si les immigrants sont censés parvenir à leur plein potentiel, les pays de destination doivent leur fournir des aménagements économiques, sociaux et civiques dans une perspective holistique. En outre, parce que les populations immigrées évoluent au fil du temps, ces aménagements doivent être des initiatives à long terme. Leur succès final nécessite la participation des migrants et des communautés d’accueil.
Les organisations locales et les villes carrefours comme New York, Londres et Berlin sont déjà pionnières par leurs approches efficaces de l’intégration des migrants. Elles ont l’expérience requise suffisante et le sens de responsabilité nécessaire pour saisir l’opportunité que représente l’immigration.
L’ampleur de cette opportunité est énorme. Selon l’étude du MGI, réduire à 10 % l’écart salarial entre les migrants et les travailleurs nés dans les pays d’accueil pourrait générer un montant supplémentaire de 800 milliards à 1 billion de dollars par an pour la production mondiale. Il permettrait également de créer d’autres avantages pour la société, notamment des taux de pauvreté plus bas et une productivité supérieure pour les destinations qui se classeront premières sur cette question migratoire.
Bien évidemment, l’immigration implique des défis et des coûts à court terme pour les pays de destination, en particulier lorsqu’elle prend la forme d’un afflux important et soudain de réfugiés. Mais ces coûts sont largement compensés par l’immigration à moyen et à long terme, pour autant que les gouvernements s’efforcent de soutenir activement l’intégration.
Dans le monde interconnecté actuel, les migrations sont inévitables. La question est de savoir si nous préférons créer des populations de migrants isolées, révoltées et dépendantes, ou plutôt un puissant moteur de croissance et de dynamisme.
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