Les diplomates ont quitté les salons mondains
Beaucoup de choses ont changé dans le monde depuis l’époque où l’on a institué le métier de diplomate, mais le travail n’a pas fondamentalement varié. L’essence de la diplomatie reste la compréhension de l’autre.
Mais que font donc les diplomates ? Les clichés de la diplomatie à la tasse de thé où ceux incarnés par une marque de chocolat ont la vie dure. On doit bien reconnaître, pourtant, que le métier de diplomate s’est adapté à l’évolution du monde et des relations interpersonnelles. La figure aristocratique d’antan a laissé place à celle du diplomate ouvert sur la société et à son écoute. Est-ce une rupture radicale avec le passé ? Ou, pour le dire de façon imagée, Monsieur de Norpois se déplace-t-il aujourd’hui en 4×4, un smartphone dans la poche ? On parle de nos jours du diplomate de terrain, qui préfère se mêler à la population du pays où il se trouve que de fréquenter ses collègues dans les murs d’une ambassade ou les salons d’un club huppé. Les rencontres diplomatiques aujourd’hui se passent aussi dans les lieux publics, marqués par l’hybridation culturelle : dans un « barrio » ou dans un souk, dans la blogosphère, sur l’avenue principale d’une ville ou dans une hutte à proximité d’une zone de guerre.
La diplomatie de terrain
La réalité paraît un peu plus complexe. La figure classique du diplomate n’a pas disparu mais s’est estompée. Il y a plusieurs explications à cela, à commencer par le processus de recrutement et de promotion : ils mettent davantage l’accent sur l’adaptabilité, une plus grande interpénétration des métiers (le diplomate est appelé, tout au long de sa carrière, à s’occuper des questions commerciales, d’affaires consulaires ou d’aide au développement), une plus grande autonomie aussi. Du coup, la perception du métier a changé, à mesure qu’il s’est professionnalisé. L’image du diplomate mondain et oisif est évidemment incompatible avec cette diplomatie de terrain qui est maintenant mise en exergue.
Ce métier requiert un dévouement de tous les instants ; et la famille du diplomate est elle-même souvent sollicitée. On oublie trop souvent les contraintes familiales, les risques physiques, les situations de guerre (Syrie, Afghanistan, Libye) qui constituent parfois la toile de fond de la vie quotidienne du diplomate.
Romain Gary, qui fut non seulement un grand écrivain, mais aussi un diplomate talentueux (consul général de France à Los Angeles, notamment), fait cette observation intéressante au sujet des diplomates : « C’est au niveau du caractère que le problème se pose, car enfin, pendant combien de temps peux-tu faire preuve continuellement de souplesse, d’adaptabilité et aussi d’acceptation, en ce qui concerne les consignes que tu reçois, les opinions que tu es obligé d’exprimer, les rapports que tu es obligé d’avoir avec des gens qui te font parfois horreur, dans des pays où tu te trouves – et conserver en même temps un caractère intact, ton centre de gravité, des rapports solides avec toi-même, ne pas te laisser dépersonnaliser ? Je crois que la plus grande menace, au bout de vingt ans de métier, c’est la dépersonnalisation » (1).
Défendre des intérêts universels
Cette vision du diplomate qui courbe toujours l’échine peut paraître exagérée. Elle reflète la perception quelque peu mythique que nous avons encore aujourd’hui de la diplomatie, qui rappelle le congrès de Vienne et Talleyrand. On considérait alors que le diplomate est courtois, patient, toujours à la recherche du compromis.
Les diplomates acceptent-ils toujours que leur seul objectif soit de faire avancer les intérêts de leurs États ? Beaucoup s’en contentent, il est vrai. Mais certains se voient comme œuvrant et, par conséquent, représentant l’idée de paix. On constate en effet que de défenseur des intérêts exclusifs de son pays le diplomate est capable de vouloir défendre aussi des intérêts universels. Pensons, par exemple, à Sergio Vieira de Melho, qui accompagna le processus de paix au Timor oriental puis œuvra en Iraq (où il perdit malheureusement la vie) ou encore à Richard Holbrooke, l’artisan de la paix en Bosnie, « The unquiet American » pour reprendre le titre d’un article qui lui fut consacré. Cette évolution de la diplomatie est heureuse : les diplomates ont pris conscience d’un universalisme qui est dans le droit fil de leur cosmopolitisme antérieur.
Deux valeurs fondamentales
Tentons de jeter un regard normatif. On peut épingler deux valeurs fondamentales qui constituent la trame du travail diplomatique. La première consiste à faire prévaloir la justice sur la force car la force est la mère de l’anarchie et de la violence. Le diplomate intervient par la discussion, la négociation, la patience. Pensons à Kissinger et Le Duc Tho durant la guerre du Vietnam ou encore à Martti Ahtisaari, qui organisa la transition vers l’indépendance de la Namibie et négocia la fin des hostilités entre ce pays et ses deux voisins, l’Angola et l’Afrique du Sud.
L’autre valeur essentielle est celle de la diversité. Même si on peut s’accorder sur des idéaux communs en matière de fonctionnement des États (démocratie) et de respect des droits des individus, il faut respecter la diversité des modèles, qui reflète des contraintes spécifiques ou une histoire différente. La perception du temps et de l’espace n’est pas la même chez tous les peuples, du fait de l’influence de l’Histoire et de la géographie sur la conduite de la politique étrangère.
Le diplomate est celui qui est le mieux à même de pouvoir utiliser ces différences entre les nations pour enrichir les relations entre les États.
La compréhension de « l’autre »
Beaucoup de choses ont changé dans le monde depuis l’époque où l’on a institué le métier de diplomate et créé le corps diplomatique. Mais le travail de diplomate n’a pas fondamentalement varié. Il a la relation humaine pour principal terreau et la parole comme outil. La diplomatie, c’est d’abord la communication. Le diplomate sera jugé, en bonne part, sur ce qu’il a écrit, sur la qualité de son analyse.
Au fond, l’essence de la diplomatie, c’est la compréhension de « l’autre ». Qu’il soit partenaire commercial, adversaire stratégique, ou allié idéologique, c’est toujours et chaque fois de « l’autre » qu’il s’agit. Qu’il négocie, exerce des pressions, menace, qu’il échange ou qu’il fasse la guerre, l’État est toujours dans une relation à « l’autre ». L’instrument privilégié de la rencontre de « l’autre » est, sur la scène internationale, la négociation diplomatique. On a fait remarquer que la guerre se décide seul, alors que la paix, comme tout accord commercial, se négocie.
La négociation peut se définir comme la décision à deux ou à plusieurs : avec l’autre ou avec les autres. La fascination de « l’autre » imprègne le métier de diplomate. Pour mieux connaître cet autre, il faut en étudier la culture, la langue parfois, le fréquenter, dialoguer avec lui. La relation avec l’autre peut devenir elle-même un élément de la vie internationale : c’est ce qui se produit lorsqu’on institue une organisation internationale : en elle, moi et les « autres » forment en quelque sorte un « nous », qui devient un interlocuteur des États (par exemple. l’Onu).
« L’autre », sous quelque forme qu’il se présente, est bien au cœur même de la vie internationale, et donc de la diplomatie.
(1) : Romain Gary, « La Nuit sera calme », Paris, Gallimard, 1974.
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