Les biens des Églises de Terre sainte sont-ils menacés ?
Article paru sur le site du journal Le Figaro le 28/10/2018 par Thierry Oberlé
Un projet de loi israélien pourrait permettre d’exproprier les biens immobiliers des institutions religieuses chrétiennes de Jérusalem qui bénéficient d’un statut spécial en vigueur depuis l’époque ottomane.
Les chefs des Églises catholique romaine, arménienne et grecque orthodoxe en Terre sainte dénoncent depuis plusieurs mois des tentatives de remise en cause du statut spécial des institutions religieuses chrétiennes de Jérusalem en vigueur depuis l’époque ottomane. Les ecclésiastiques s’inquiètent d’un projet de loi qui pourrait permettre, s’il n’est pas bloqué par le gouvernement israélien, d’exproprier les biens immobiliers des Églises. En février, ils avaient dû batailler pour obtenir l’abandon par la municipalité de la Ville sainte de la taxation de leurs activités commerciales liées au pèlerinage et au tourisme. Un secteur qui permet aux congrégations de s’autofinancer et de venir en aide aux chrétiens d’Orient.
Quel est le patrimoine immobilier des Églises à Jérusalem?
L’Église orthodoxe de Jérusalem est le plus grand propriétaire foncier d’Israël avec le Fonds national juif. Elle possède d’innombrables propriétés et d’immenses domaines situés dans la partie est comme dans la partie ouest de la Ville sainte. La Knesset, la résidence du chef de l’État, la grande synagogue ou le musée d’Israël sont bâtis sur des terrains appartenant au Patriarcat grec orthodoxe. Son parc immobilier forme une inextricable toile d’araignée dans les quartiers résidentiels Ouest de Talbieh ou de Rehavia. Le Patriarcat arménien et dans une moindre mesure la Custodie franciscaine de Terre sainte, responsable des intérêts de l’Église catholique et gardienne des Lieux saints de Jérusalem, sont également richement dotés. Dans la Vieille Ville, la Custodie de Terre sainte loge quelque 400 familles chrétiennes qui n’ont, pour la plupart, pas les moyens de payer un loyer.
Le cas du Patriarcat grec-orthodoxe est particulier.
Sa fortune est difficile à évaluer et une certaine opacité entoure ses activités. Il est mêlé à des scandales retentissants dans une ville divisée entre Palestiniens et Israéliens où – en l’absence de règlement politique sur le statut de la cité – le droit international et le droit israélien se chevauchent. En 2005, le patriarche Irinéos avait concédé dans la Vieille Ville palestinienne des baux à une organisation de colons israéliens via des sociétés écrans. Ces derniers étaient sur le point de prendre le contrôle de l’hôtel Impérial et de l’hôtel Petra pour des sommes dérisoires. L’affaire qui a fait scandale s’était soldée par la démission du patriarche. Placé en résidence surveillée, le prélat vit depuis en reclus dans une cellule du monastère grec orthodoxe de Jérusalem. Son successeur, Théophilos III, a, lui, reconnu l’an dernier avoir vendu à un investisseur privé israélien de vastes terrains situés dans un quartier huppé de Jérusalem-Ouest. Une transaction effectuée à des prix curieusement bas. Mal vu par ses fidèles qui lui reprochent de défendre ses propres intérêts plutôt que ceux de ses ouailles, il a été accueilli par des jets de pierre dans son fief de Bethléem. Les pratiques du Patriarcat grec orthodoxe sont à l’origine de tensions feutrées avec les autres Églises. «On découvre ce qu’ils possèdent au hasard de travaux d’aménagement. Eux-mêmes ne savent tout ce qu’ils ont!» note un ecclésiastique.
Comment s’est constitué le patrimoine des Églises?
Les Églises ont acquis la majorité de leurs biens sous l’Empire ottoman. Constantinople s’assurait à peu de frais l’obligeance des institutions chrétiennes d’Orient en leur accordant des terres. Les coutumes et les usages ont été prorogés sous le mandat britannique et sont restés en vigueur en 1948, lors du partage de la ville entre l’Est sous occupation jordanienne et l’Ouest sous contrôle israélien. Ils perdurent depuis la prise de la Vieille Ville par Israël à l’issue de la guerre des Six-Jours de 1967 et son annexion unilatérale en 1980.
Pourquoi Israël veut-il réguler le marché immobilier lié aux biens des Églises?
L’expropriation des biens des Églises est un serpent de mer de la dernière législature israélienne. Un projet de loi avait été présenté à la Knesset en juillet 2017. Il donnait à l’État le droit d’exproprier tout bien foncier chrétien situé à Jérusalem qui aurait été cédé par les Églises à des sociétés privées. Le gouvernement de Benyamin Nétanyahou avait prévu d’examiner le texte en février 2018. Il a reculé devant le tollé des chefs religieux qui ont condamné dans un communiqué commun cette initiative «odieuse». L’«Arlésienne du Levant» est réapparue en juin dans une version édulcorée où les références aux Églises étaient gommées. Les chefs des Églises grecque orthodoxe, arménienne et catholique romaine en Terre sainte ont alors tiré un nouveau coup de semonce en dénonçant «une attaque systématique et sans précédent contre les chrétiens de Terre sainte».
Sorti par la porte au début de l’été, le projet est revenu par la fenêtre à l’automne avec son inscription à l’ordre du jour de la Knesset le 21 octobre. Les hiérarques religieux sont immédiatement remontés au créneau qualifiant dans une lettre le texte d’«humiliant» et demandant à Benyamin Nétanyahou de tenir ses promesses en l’enterrant définitivement. Son examen a été, une fois de plus, repoussé. Défendu par la députée centriste Rachel Azazia, le projet de loi a pour ambition de protéger les résidents des quartiers Ouest de Jérusalem. Ces habitants craignent que des mises en vente de biens de l’Église grecque orthodoxe à des promoteurs privés entraînent des augmentations du prix des loyers et des expulsions. Cette volonté de réguler le marché est jugée en soi légitime par les autorités religieuses, à condition de ne pas porter atteinte aux droits des Églises.
Pourquoi les Églises refusent-elles de payer des taxes sur leurs activités lucratives?
En février, le maire de Jérusalem, Nir Barkat, a décidé de frapper les Églises au porte-monnaie. Il a supprimé l’exonération sur les habitations à caractère lucratif des institutions religieuses, tels les lieux d’hébergement, de restauration ou les magasins fréquentés par les pèlerins et les touristes. Au total, il revenait aux Églises de payer des arriérés d’un montant de 152 millions d’euros. La municipalité a commencé à appliquer son ukase en gelant les comptes bancaires de ses «créanciers » et en envisageant de saisir les biens des récalcitrants.
Les Églises ont condamné les initiatives «brutales» et «cyniques» de la mairie et le Saint-Sépulcre a été fermé au public en signe de protestation.«Nous sentons que les autorités israéliennes ne respectent pas notre présence en Terre sainte», expliquait au Figaro le frère Francesco Patton, Custode de Terre sainte, gardien catholique de la basilique qui s’élève sur le lieu présumé du Calvaire et du tombeau du Christ.
Les Églises considèrent qu’elles n’ont pas à payer d’impôts en vertu du statu quo remontant à la période ottomane et en raison de leur vocation sociale puisqu’elles viennent en aide aux chrétiens d’Orient et investissent dans des écoles, des hôpitaux, des maisons de retraite. «Si nous devions payer des taxes, nous serions contraints de mettre la clé sous la porte», assure un religieux.
Sous la pression du premier ministre, Benyamin Nétanyahou, le maire, Nir Barkat, est finalement revenu sur son injonction, mais les Églises ne sont pas pour autant à l’abri d’un retour de manivelle. La mairie de Jérusalem souffre en effet de difficultés financières chroniques. Elles s’expliquent par le non-paiement de la taxe d’habitation par les juifs ultraorthodoxes, soit un tiers de la population de la ville, et par les Palestiniens, soit un second tiers, deux populations pauvres donc non imposables.
Pourquoi le Vatican et Israël ne parviennent-ils pas après 25 ans de négociations à un accord global?
Le Vatican a longtemps refusé pour des raisons théologiques et politiques de reconnaître Israël. Il a fallu attendre 1993 pour que des relations diplomatiques soient établies et qu’un «Accord fondamental» soit signé entre les deux États. Le Saint-Siège et l’État hébreu négocient depuis le statut des propriétés ecclésiastiques. Le Saint-Siège exige une reconnaissance pleine et entière des droits juridiques et patrimoniaux des congrégations catholiques et la confirmation des exemptions fiscales dont bénéficiait l’Église au moment de la naissance de l’État d’Israël en mai 1948.
La France interfère dans ce règlement. Seule puissance à s’être vue accorder des privilèges au Levant par l’Empire ottoman, elle possède le Tombeau des rois, l’Église Sainte-Anne, près de la porte des Lions, à Jérusalem-Est, un cloître au sommet du mont des Oliviers et une ancienne commanderie hospitalière du XIIe siècle à Jérusalem-Ouest. Paris demande que les anciens traités soient mentionnés dans le futur accord. Sa position est une source de frictions avec le Saint-Siège.
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