Le droit international humanitaire mis à mal en Syrie

Article paru sur le site Plaidoyer le 27/03/2017 par le professeur Marco Sassòli

Le droit international humanitaire semble être systématiquement violé par les parties des conflits armés en Syrie. L’interprétation de ses règles est sujette à certaines controverses, discutées dans cette contribution. Mais le problème principal que nous aborderons réside dans la faiblesse des mécanismes de mise en œuvre.

Des violations généralisées

En suivant les médias et les rapports des ONG (qui s’intéressent légitimement aux violations et non aux cas de respect qui existent même en Syrie), on pourrait avoir l’impression que les conflits armés qui ravagent, depuis plus de cinq ans, la Syrie sonnent le glas de la crédibilité du droit international humanitaire (DIH). Nous sommes tous choqués par les violations systématiques de ce droit, ceux qui ont oublié l’histoire pensent qu’il s’agit d’un cas unique, certains se demandent à quoi ce droit peut encore servir s’il a apparemment si peu d’impact sur la réalité, d’autres suggèrent que ce droit soit fondamentalement repensé.

Le DIH veut, dans un conflit armé, protéger celles et ceux qui ne participent pas ou plus directement aux hostilités et limiter l’usage de la violence à ce qui est nécessaire pour affaiblir le potentiel militaire ennemi. Il ne peut qu’offrir un minimum d’humanité dans une situation par définition inhumaine et il serait absurde de s’attendre que ce droit soit régulièrement respecté, alors qu’il s’applique à une situation qui n’existerait pas si le droit (en l’occurrence par exemple les droits humains par le régime syrien) avait été respecté.

Cette contribution, qui s’adresse à des juristes et discute les problèmes juridiques qui se posent, ne passe pas en revue les violations systématiques telles que la torture, les viols, les exécutions sommaires, les attaques contre des installations et des personnels sanitaires, l’utilisation non ciblée d’armes explosives ayant un large rayon d’impact au milieu de villes, la destruction du patrimoine culturel, ou la tactique consistant à affamer la population civile. De telles violations sont commises par toutes les parties, mais le régime syrien et le groupe Etat islamique (EI) méritent ex æquo le prix des plus grands violateurs, tandis que les groupes kurdes et les puissances occidentales les dernières places sur ce palmarès macabre. Nous faisons ici (encore) abstraction des déclarations de Donald Trump, alors candidat, selon lesquelles il fallait anéantir les régions contrôlées par l’EI1. Toutes ces violations ne soulèvent aucun débat juridique (et qui voudrait justifier par exemple la torture ne lit pas cette revue et a simplement tort en droit positif).

La plus grande question que posent ces violations (et celles commises dans tant d’autres conflits armés, dont on parle beaucoup moins) est celle de la mise en œuvre du DIH (il est intéressant de noter que le français ne dispose pas d’équivalents pour «enforcement» ou «Durchsetzung»). Après avoir expliqué comment les mécanismes de mise en œuvre (ne) fonctionnent (pas) et que les Etats n’en veulent pas d’autres qui fonctionnent mieux, nous aborderons trois questions plutôt classiques du DIH, qui se posent en Syrie, et soulèvent de véritables débats juridiques: la qualification juridique des conflits, qui et quoi peut être légalement ciblé par les attaques occidentales et russes et l’accès des organisations humanitaires à la Syrie. […]

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