L’abnégation récompensée d’un chirurgien du Soudan du Sud

Article paru sur le site du journal Le Temps le 28/09/2018 par Stéphane Bussard

Evan Atar Adaha est le lauréat 2018 du Prix Nansen décerné ce lundi à Genève par le Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés. Opérant dans des conditions extraordinairement difficiles, ce chirurgien accomplit des miracles. Avec humilité et abnégation.

A 52 ans, il donne l’impression d’avoir encore toute une vie à consacrer à ses patients. Sourire contagieux, Evan Atar Adaha est convaincu de sa mission, mais en toute humilité. Il a pourtant déjà sauvé des milliers de vies. Chirurgien en chef et directeur des services médicaux de l’hôpital de Bunj, dans l’Etat du Haut-Nil, au Soudan du Sud, il accomplit tous les jours des quasi-miracles tant il opère dans des conditions difficiles. Avec ses collègues, il offre une aide médicale à près de 200 000 patients dont 144 000 réfugiés originaires de l’Etat soudanais du Nil Bleu. Malgré l’insécurité permanente.

Fils d’agriculteurs et originaire de Torit, une ville au sud-est de la capitale Juba, Evan Atar Adaha effectue une quinzaine d’opérations chirurgicales par semaine, avec un équipement extraordinairement rudimentaire dans ce qui fut longtemps un dispensaire abandonné. Au début, il opérait sur des tables empilées. Pour les anesthésies, pas de machine permettant de surveiller la tension artérielle, mais le recours à la kétamine pour atténuer les douleurs et des péridurales. Grave pénurie d’appareils de radiologie et de générateurs d’oxygène. «Nous devons beaucoup improviser», admet-il, comme si cela allait de soi. «Pour créer des tuyaux, nous utilisons, par exemple, des herbes creuses», relève-t-il.

Pour la maternité, il le reconnaît: «Nous sommes dépassés. Je dois parfois mettre deux femmes par lit. Mais quand elles donnent naissance à deux, voire trois enfants à la fois, cela devient très compliqué.»

Malgré la précarité, il ne changerait de métier pour rien au monde. C’est cette abnégation et ce sens du sacrifice au nom du bien commun qui lui vaut d’être le lauréat 2018 du Prix Nansen attribué ce lundi à Genève par le Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés et financé par la Suisse et la Norvège.

Ayant mené des études de médecine à Khartoum puis en Egypte, il aurait pu choisir la voie facile et s’établir en tant que médecin en Australie ou au Canada comme nombre de ses compagnons d’études. Mais quand il a entendu parler de la crise qui sévissait dans son pays, il a pris comme un devoir d’y retourner. Au départ, Evan Atar Adaha a commencé son pensum en construisant à partir de rien l’hôpital de Kurmuk, au sud-est du pays, à la frontière avec l’Ethiopie. Mais à l’indépendance du Soudan du Sud, en 2011, la région s’est vite trouvée au cœur des affrontements.

Sous les bombardements, le chirurgien a tenté de sauver tout ce qui pouvait l’être au moyen de tracteurs et véhicules. Avec son équipe, il a erré pendant près d’un mois, freiné par la saison des pluies avant de pouvoir gagner Bunj où il est désormais basé. Le très jeune Soudan du Sud reste pourtant englué dans une situation dramatique: 1,9 million de personnes ont été déplacées à l’interne et 2,5 millions ont cherché refuge dans des pays voisins. En termes de réfugiés, le pays connaît la troisième plus grande crise de la planète. Evan Atar Adaha ne voit sa famille, installée à Nairobi, que trois fois par an. «Mais je communique chaque jour avec mon épouse et mes quatre enfants», admet-il.

Dialogue avec tous

Un tel éloignement en rebuterait plus d’un. Pas le chirurgien chef de Bunj qui lâche: «Je me sentirais coupable si je laissais derrière moi des gens que je pourrais aider.» Si Evan Atar Adaha arrive à poursuivre sa mission sans trop d’entraves, c’est aussi dû à sa personnalité. Il parle à tous les groupes armés. Catholique, il est à l’aise pour dialoguer avec tout le monde. «Pour moi, la religion ne doit en aucun cas être un obstacle. De mon vécu en Egypte, je peux réciter des passages du Coran. C’est utile pour parler aux musulmans issus de l’Etat du Nil Bleu», dit-il avec fierté. Pour ce qui est de l’indépendance très difficile du Soudan du Sud, il ne la regrette pas, même si tout est à construire, notamment les institutions. C’était une évolution sans doute nécessaire.

Quand il étudiait à Khartoum, il se souvient: «Le Nord n’a jamais oublié l’Histoire. J’avais beau être le meilleur de la classe, on me traitait encore d’esclave. Je leur répliquais, dit-il en souriant, que j’étais l’esclave de Dieu.»


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