Les droits de l’homme pourront-ils rester universels ?
Article paru sur le site du journal La Croix le 18/12/2017 par François d’Alançon
À huit mois de la fin de son mandat, Zeid Ra’ad Al Hussein Haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, défend l’universalité des droits de l’homme de plus en plus contestée par les puissances. Ce membre de la famille royale jordanienne, premier musulman et arabe à occuper le poste de haut-commissaire, exhorte les pays européens à respecter leurs valeurs face au terrorisme et à la crise des migrants.
L’année 2017 a-t-elle été une année noire pour les droits de l’homme ?
Zeid Ra’ad Al Hussein : Les tensions entre ceux qui soutiennent l’universalité des droits de l’homme et ceux qui pensent différemment sont de plus en plus visibles. Le congrès du Parti communiste chinois a endossé une position hostile à l’universalité des droits de l’homme. La rhétorique en provenance de la Maison-Blanche va dans le même sens. En même temps, nous avons aussi eu des développements positifs : la condamnation de Ratko Mladic, l’extradition vers l’Espagne d’un ancien colonel responsable de l’assassinat des six jésuites en 1989 au Salvador et des condamnations en Argentine.
Quelles sont les crises les plus préoccupantes ?
Z. H. : Les situations inquiétantes sont au Yémen, en Syrie, en Libye, pour les Rohingyas en Birmanie, en Corée du Nord, en République centrafricaine, au Soudan du Sud, en République démocratique du Congo, au Kasaï et dans l’est du pays. En Colombie, après le succès de la phase initiale suivant l’accord de paix, les assassinats et le problème de l’amnistie compliquent la situation. Au Yémen, le gouvernement et les houthistes sont censés donner accès au groupe d’experts créé en septembre par le Conseil des droits de l’homme et nous sommes en discussion avec eux et les partenaires régionaux à ce sujet. En Irak et en Syrie, Daech a été extirpé mais les problèmes sous-jacents sont toujours là.
Les responsables politiques sont de plus en plus nombreux à mettre de côté la question des droits de l’homme, face au terrorisme et à la crise des migrants. L’ordre légal international et l’ONU sont-ils en danger ?
Z. H. : Oui. Bien sûr, tout gouvernement a le devoir de protéger sa population. Mais pas n’importe comment. Si les forces de sécurité se comportent comme les groupes armés ou même les groupes terroristes, cela devient très dangereux et au final, cela n’aide pas. Ceux qui se veulent réalistes et sérieux en matière de sécurité doivent se soucier de droits de l’homme, sinon ils risquent de se retrouver dans des situations difficiles. Comme dit Peter Maurer, président du Comité international de la Croix-Rouge, les violations des droits humains d’aujourd’hui, si elles perdurent, sont les conflits de demain.
Comment expliquez-vous cette régression ?
Z. H. : La question que nous devons nous poser, c’est celle de « la méconnaissance et (du) mépris des droits de l’homme » mentionnés dans le préambule de la Déclaration universelle des droits de l’homme. L’architecture de sécurité et de défense des droits de l’homme adoptée après la Seconde Guerre mondiale a été portée par une génération qui avait connu le monde précédent. Cette génération disparaît et les gens oublient. En Pologne et en Hongrie, le nationalisme et le chauvinisme montent en puissance comme s’il y avait une amnésie totale du XXe siècle. C’est facile de critiquer l’ONU, mais voulons-nous retourner au monde d’avant la Première Guerre mondiale ?
Que pensez-vous de la réponse collective de l’Europe à la crise des migrants ?
Z. H. : Certains affirment que les populistes gagnent quand les gouvernements perdent le contrôle de leurs frontières. Et que la réponse devait donc être un plus grand contrôle de ces frontières. Il y a une autre façon de voir ce problème. Le Bangladesh a accueilli des centaines de milliers de réfugiés rohingyas. Si un pays se sent menacé et estime que sa sécurité nationale est en cause, on peut facilement imaginer un avenir où un pays comme le Bangladesh fermera sa frontière à des réfugiés.
L’ancien rapporteur spécial sur les droits de l’homme des migrants François Crépeau a montré que le nombre des gens qui migrent reste très faible et que les migrations seront de plus en plus Sud-Sud. Chacun sait que la solution serait d’ouvrir les canaux de migration légale et sécurisée et de combattre la xénophobie et l’intolérance. Plus qu’une crise des migrants, l’Europe traverse une crise d’identité et de ses politiques d’intégration.
Emmanuel Macron a affirmé ne pas vouloir donner de leçons sur les droits humains à son homologue égyptien Abdel Fattah Al Sissi, reçu à l’Élysée en octobre, en invoquant « la souveraineté des États ». Quel jugement portez-vous sur l’attitude de la France en matière de droits de l’homme ?
Z. H. : Critiquer les manquements au droit humanitaire international ne me semble pas être une atteinte à la souveraineté. Cela n’a rien à voir avec le soutien actif à une sédition ou une atteinte à l’intégrité territoriale d’un État. Nous sommes satisfaits de voir que l’état d’urgence imposé par les terribles attaques terroristes à Paris et à Nice a été levé en France, sous réserve que la loi adoptée soit conforme aux standards internationaux.
Plus généralement, nous nous inquiétons de la tendance des autorités, en Europe, à surréagir après des actes terroristes. En France, comme dans beaucoup d’autres pays européens, les politiques d’intégration n’ont pas eu les résultats espérés. Le danger pour l’Europe dans la crise des migrants, c’est de nier ses valeurs en ne respectant plus les normes internationales qu’elle a contribué à édifier au lendemain de deux guerres mondiales.
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