Daech – Syrie – Irak – Kurdistan irakien

Article paru sur le site Diploweb

Voici une fiche synthétique pour comprendre un conflit dans lequel la France est partie prenante… et prise à partie.

Margaux Schmit (étudiante en Sciences Politiques à Paris II Panthéon Assas après l’obtention d’une Licence de Droit franco-allemand de l’université du même nom) présente successivement une chronologie, la naissance du conflit, les parties directes au conflit, les acteurs extérieurs d’un conflit mondialisé et les perspectives de résolution. Illustré d’une carte de Maxime Zoffoli.


CHRONOLOGIE


23/03/2011 Deraa, ville du sud de la Syrie, est la première à laisser éclater la colère des Syriens contre le régime de Bachar al-Assad. [1].Les manifestants demandent la fin de l’état d’urgence et brûlent le siège du parti Baas. La police et les milices du régime tirent sur la foule. Les opposants sont présentés comme des agents de l’étranger.

18/12/2011 Fin du retrait américain en Irak.

29/06/2014 L’Etat islamique proclame le « califat  » islamique placé sous le commandement de son chef, Abou-Bakr al-Baghdadi, auto-proclamé calife Ibrahim, qui appelle tous les mouvements djihadistes à lui prêter allégeance.

07/08/2014 Barack Obama annonce qu’il autorise des frappes aériennes pour protéger les intérêts américains et venir au secours des minorités religieuses.

05/09/2014 Les Etats-Unis annoncent la formation d’une coalition internationale contre les djihadistes. Dix pays occidentaux en constituent le « noyau dur  » : France, Royaume-Uni, Canada, Australie, Allemagne, Italie, Albanie, Pologne, Danemark et Estonie.

27/09/2015 Premiers bombardements français en Syrie.

30/09/2015 Premiers bombardements russes en Syrie.

13/11/2015 Attentats à Paris.


LA NAISSANCE DU CONFLIT


Contexte de la région

La mise en place des mandats de la Société des Nations en 1920 assure la domination franco-britannnique sur l’Orient arabe : la France obtient ainsi le contrôle de la Syrie, la Grande-Bretagne celui de la Palestine et de la Mésopotamie . Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les deux pays voient se développer le baasisme, courant politique fondé en 1940 par le chrétien libanais Michel Aflaq. Il s’agit d’un mouvement de « renaissance » (baas), panarabe laïque, influencé par le socialisme non-marxiste.

En Syrie, le 12 novembre 1970, un coup d’Etat voit triompher l’aile pragmatique du parti, qui cache une dictature dirigée par Hafez al-Assad et appuyée sur les services de renseignements et traquant impitoyablement les islamistes. Gouverné jusqu’alors par le clan Assad, le pays doit faire face à des manifestations populaires pacifiques inspirées des « printemps arabes » tunisien et égyptien de 2011. Leur répression sanglante entraîne un durcissement et une militarisation de l’opposition et déclenche une guerre civile entre anti et pro-régimes. D’un côté les rebelles : principalement des sunnites, la communauté majoritaire en Syrie, divisés entre l’Armée Syrienne Libre (ASL) et le Front al-Nosra, et de l’autre, les loyalistes, qui s’appuient sur la communauté alaouite, une secte dérivée du chiisme dont le clan Assad est issu.

En Irak, en février 1963, un coup d’Etat baasiste, soutenu par la CIA, renverse le général Qasim qui avait chassé le roi et proclamé la république en 1958 en se rapprochant de l’URSS. Un deuxième coup d’Etat baasiste a lieu en 1968, avant que Saddam Hussein s’arroge tous les pouvoirs en 1979 et achève de vider de signification nationale les symboles du pays pour les instrumentaliser au seul profit de son pouvoir personnel et de son clan.

Mots clés

Sunnites et chiites : la division entre ces deux principales branches de l’islam remonte à la mort de Muhammad, en 632. Ce dernier ne laisse ni testament ni descendance mâle, obligeant ses compagnons à organiser sa succession. Les voix s’opposent entre les partisans d’un guide issu de la même famille, thèse défendue par Ali, cousin et gendre du prophète, et ceux qui estiment que la tâche revient à la personne la plus digne. C’est cette école dite traditionaliste (sunnite) qui impose alors les trois premiers califes, Abou Bakr (632-634), Omar (634-644) et Othman (644-656), avant qu’Ali ne devienne calife après l’assassinat de ce dernier. Toutefois, sa mort en 661, mais surtout celle de son fils Hussein, en 680, à Kerbala en Irak, sont considérées comme des actes fondateurs du chiisme comme courant religieux, autorisant alors des interprétations et des pratiques vues comme hérétiques par les sunnites.

Alaouites : branche hétérodoxe du chiisme majoritaire iranien car les cinq piliers de l’islam sont chez eux très symboliques et ils intègrent des fêtes chrétiennes.

Kurdes : Les Kurdes se veulent les descendants de l’ancien peuple des Mèdes de l’Antiquité. Trente millions de Kurdes peuplent le Proche-Orient. Plus de la moitié d’entre eux résident en Turquie où ils ont grande difficulté à faire valoir et reconnaître leurs droits linguistiques et historiques. Sept millions de Kurdes vivent en Iran et un million et demi en Syrie. Les Kurdes d’Irak sont des musulmans sunnites. Ils représentent 20% de la population irakienne mais ils possèdent une identité ethnique en propre. En Irak, deux gouvernements se font face : le gouvernement central de Bagdad et le gouvernement régional du Kurdistan (GRK), reconnu autonome et basé à Erbil. Les deux principaux points de litiges entre ces eux têtes du pouvoir politique résident dans l’exportation du pétrole et du gaz ainsi que le montant des sommes allouées par le gouvernement irakien de Bagdad au budget du GRK.

Le djihad est mentionné plusieurs fois dans le Coran et rend compte de l’usage de la violence dans le cas de l’extension du Dâr-al-Islam (« Domain de l’Islam », ensemble géopolitique considéré comme territoire musulman) ou de la légitime défense pour ceux qui représenteraient une menace pour l’Oumma (communauté des musulmans à l’échelle de la planète). Le djihad a été mené bien avant l’époque contemporaine, il devient un moyen de résistance politique pendant la colonisation pour les communautés musulmanes d’Afrique et du monde musulman à partir du XIXème siècle. Ensuite, il s’affirme en tant qu’idéologie à diffuser à toutes les échelles. Utilisé comme moyen de résistance pendant la période coloniale, il va devenir un outil de combat politique : la naissance du takfirisme marque la première étape de construction idéologique du djihadisme. Le takfirisme, excommunication des impies, s’appuie sur les écrits de deux théologiens des années 1940 à 1950 : Maududi au Pakistan et Sayyid Qutb, en Egypte, incarnant tout deux un salafisme violent et djihadiste.

Etat Islamique ou Daech : Depuis 2014, le gouvernement français a pris la décision d’utiliser le terme de « Daech » pour nommer l’Etat islamique, justifiant qu’il ne s’agit pas plus d’un Etat que d’un groupement représentant les valeurs de l’islam. Ironiquement, l’usage du terme « Daech » ne retire rien à la prétention étatisante de ses membres. Il ne s’agit en effet que de l’acronyme arabe de Dawla islamiyya fi al-‘Iraq wa al-Chem, qui signifie « Etat islamique en Irak et au Levant ».

Le conflit en 2015

A l’été 2011, Al-Qaïda en Irak (AQI) décide de s’infiltrer et s’arme face à la répression brutale du régime . Son leader, le sunnite irakien Abou Bakr al-Baghdadi y renvoie discrètement un de ses chefs d’opération, Abou Mohammad al-Joulani.

Revenu en 2011 dans sa terre natale, al-Joulani y crée un groupe qui se livre à de spectaculaires attentats-suicides, puis devient un véritable mouvement de guérilla et se fait connaître sous le nom de Jabhat al-Nosra (JaN), le « Front pour la victoire des gens du Sham ». En avril 2013, Al-Baghdadi annonce officiellement que JaN est une création d’AQI. Mais al-Joulani veut être autonome en Syrie et demande l’arbitrage de la direction centrale d’Al-Qaïda, basée au Pakistan. Celle-ci tranche en sa faveur. AQI décide alors de se tailler un fief propre en Syrie et se rebaptise Al-Qaïda en Irak et au Levant (AQIL) – qui devient l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL ou Daech) en juin 2014, pour désormais affronter des factions de l’opposition armée syrienne, dont JaN.

L’année 2012 permet un retournement inespéré pour l’EI. A l’initiative de Barack Obama, les troupes américaines quittent le sol irakien, laissant un pays exsangue, parcouru de tensions confessionnelles, sous la coupe du Premier ministre chiite Nouri al-Maliki. Depuis la Syrie, al-Baghdadi lance plusieurs grandes opérations terroristes. Le 21 juillet 2012, il réussit à attaquer la prison d’Abou Ghraib et à libérer 500 détenus. Les capacités du groupe s’accroissent très rapidement en raison du conflit en Syrie. Son émir a élargi ses ambitions territoriales au « Levant », à savoir à la Syrie, où sa puissance prospère depuis 2012. Loin de se contenter d’opérations militaires, il négocie en finesse avec les tribus sunnites en Syrie et en Irak, humiliées par les autorités alaouites de Damas et par le chiite al-Maliki. Ces efforts pour obtenir le ralliement tribal expliquent les succès soudains de Daech en 2013. En mars, Raqqa tombe, puis Deir es-Zor, deux importantes cités de l’Est syrien. L’émir fixe sa capitale à Raqqa qui devient la vitrine du djihadisme. Après une série d’attentats, la ville de Falloujah tombe aux mains de Daech le 30 décembre 2013, avec la complicité des tribus. Les troupes de l’émir ne sont plus qu’à 50 km de la capitale. En juin 2014, Mossoul et son million d’habitants tombent. Le 29 juin 2014, le califat est établi.

Le califat islamique

La renaissance du califat est un bon indicateur de la mentalité d’al-Baghdadi. A la mort du prophète Mahomet, en 632, s’était posé la question de savoir qui pouvait, non pas le remplacer, mais lui succéder. Les élites musulmanes reconnurent très vite son meilleur ami et parent, Abou Bakr, qui prit le titre de khalifa, « successeur ». Bien guidé, le calife, « ombre de Dieu sur terre » selon la tradition, exige une obéissance inconditionnelle. Cette autorité inégalée, même par Ben Laden, a donné à al-Baghdadi une telle assurance qu’il a demandé à al-Zawahiri, chef d’al-Qaïda, de lui prêter allégeance, ce qu’a refusé le vieil homme. De concurrentes qu’elles étaient, les deux entités sont devenues ennemies irréconciliables, bien que l’Etat islamique se serve de l’image de Ben Laden et des martyrs comme références, légitimant le lien entre les deux groupes.

Depuis l’été 2014, le trésor de guerre de Daech serait passé de 800 millions à deux milliards de dollars, dont :

  • un milliard de dollars tiré du pétrole en Syrie et en Irak ;
  • 430 millions de dollars venant du pillage des banques de Mossoul et du Conseil provincial ;
  • 100 millions de dollars pour la fabrication de fausse monnaie et de billets dépréciés ;
  • 40 millions de dollars du trafic d’antiquités et d’œuvres d’art issues des musées irakiens.

Le califat est la plus riche organisation terroriste du monde.

C’est sur cette situation aggravée en Irak par l’intervention américaine de 2003 donnant le pouvoir aux chiites que Daech capitalise. Le groupement islamiste sert ainsi de catalyseur à une vieille aspiration déçue et explique le ralliement d’une grande partie des populations sunnites d’Irak et de Syrie à l’idée d’un Etat transfrontalier qui laverait l’humiliation coloniale, abolirait l’hérésie des Etats-Nations (une idolâtrie selon les islamistes) et redonnerait la dignité aux sunnites, notamment les anciens cadres du parti Baas laissés pour compte.

A la lutte contre Daech s’ajoute l’instrumentalisation de la guerre civile syrienne, devenue un champ de bataille par procuration. En effet, l’expansion de Daech en Irak mais aussi en Syrie nécessite de soutenir les régimes en place pour les aider à lutter efficacement contre la menace terroriste islamiste. Si Bagdad et Erbil s’accordent sur ce point en s’inscrivant dans une logique politique occidentale, le régime syrien autoritaire de Bachar al-Assad s’en détache . Pour les Occidentaux, soutenir le régime syrien devient ainsi impossible, tant il représente lui aussi une menace pour les libertés. En dernière option, c’est aux « rebelles » de l’ASL sans véritable corps politique que revient ces deux lourdes missions que sont le renversement de B. al-Assad et la lutte contre Daech sur son territoire. De facto, aucune de ces deux crises ne peut être résolue sans son homologue, toutes deux étant soumises au nœud gordien des alliances diplomatiques et militaires internationales.


LES PARTIES DIRECTES AU CONFLIT


Daech dispose d’un nombre d’hommes difficile à estimer en raison de sa constante évolution. Si la majorité des experts s’accordent sur le fait que la moitié des recrues serait étrangers à la région, le rapport publié par l’ONU début 2015 estime à 25 000 combattants étrangers dans les rangs de l’EI. Un chiffre alourdi à une fourchette de 27 000 à 31 000 djihadistes du fait des bombardements russes lancés en septembre 2015, selon un rapport publié le 8 décembre 2015 par l’institut spécialisé dans le renseignement Sofangroup.

Le 3 août 2015, Airwars, un collectif de journalistes d’investigation, publie un rapport dans lequel il affirme que 459 à 1 086 civils ont été tués par les frappes aériennes de la coalition en Syrie et en Irak entre le 23 septembre 2014 et le 30 juin 2015. De plus, 111 à 185 soldats appartenant à des forces alliées ont également été tués par des tirs fratricides. Airwars indique également que selon des estimations officielles les pertes de Daech seraient de 10 000 à 13 000 morts. Au 3 août 2015, Airwars décompte un total de 4 924 frappes menées par la coalition internationale.
Au 3 novembre 2015, les Nations Unies dénombraient en Syrie 4,29 millions de réfugiés et 8 millions de déplacés . En Irak, l’UNHCR recense 1,9 million de déplacés internes.


LES ACTEURS EXTERIEURS D’UN CONFLIT MONDIALISE


Les Occidentaux et les monarchies du Golfe

Lancée par les Occidentaux anti-Assad en décembre 2012 lors de la quatrième conférence des Amis du peuple syrien, la Coalition Nationale Syrienne est reconnue par une centaine de pays comme seul représentant du peuple syrien. Mais le soutien occidental , essentiellement diplomatique, n’a jamais permis à la CNS de s’ériger en une véritable alternative au régime politique actuel. Les financements restent insuffisants, les livraisons d’armes se font au compte goutte, et les Etats-Unis ont officiellement toujours refusé l’option militaire, notamment après l’attaque chimique contre la banlieue de Damas en août 2013 . A la différence de l’après-11-Septembre-2001, la stratégie américaine consiste à mener une guerre à distance centrée sur les bombardements aériens. Washington n’a pas la volonté politique d’envoyer des troupes au sol, et se contente de faire du containment, bombardant les zones sous le contrôle de Daech et entraînant des groupes rebelles syriens modérés en Jordanie. Après l’échec de la politique irakienne et afghane, Barack Obama avait fermement exprimé sa volonté de retirer ses troupes de la région pour se concentrer sur le Pacifique selon sa politique de « Pivot vers l’Asie ».

Vis-à-vis du droit international et de l’ONU, la France effectue un revirement à 180 degrés de la politique française depuis 1945, puisqu’elle accepte en septembre 2015 de recourir à la très controversée notion de légitime défense préventive dans le cadre d’une opération au Moyen-Orient. Celle-ci, à la différence de la légitime défense dite classique (article 51 de la Charte des Nations unies), justifie la riposte par une simple menace et non par l’existence réelle ou imminente d’une agression armée. Dans le cas présent, en Syrie, suite à des renseignements faisant état d’une menace d’attentat en France et sans même solliciter l’autorisation de Damas, la France s’octroie la possibilité de bombarder leur territoire. Ces bombardements se situent dans un cadre différent de celui de l’Irak, où la France bombarde depuis le 19 septembre 2014 sur demande du gouvernement irakien, qui l’a appelée en renfort pour lutter contre l’EI.

Parallèlement, l’ombre de la guerre en Syrie pèse sur la paix en Ukraine. Les autorités ukrainiennes redoutent que Moscou utilise ce temps et la crise syrienne pour détourner l’attention de l’Ukraine. Elles craignent que les Occidentaux échangent la coopération de Moscou en Syrie contre une levée des sanctions.

De son côté, Riyad a vu dans la révolte syrienne l’occasion d’affaiblir son adversaire numéro un, l’Iran, le géant chiite, dont le régime Assad est le principal allié au Proche-Orient. L’Arabie saoudite, mais aussi le Qatar, ont multiplié les livraisons d’armes à des brigades rebelles via la Jordanie et la Turquie. Toujours en pensant affaiblir l’Iran, des donations privées ont afflué grâce à l’activisme de cheikhs salafistes basés au Koweït. Avec le temps, les financiers du Golfe en sont venus à soutenir des formations de plus en plus extrémistes comme le front al-Nosra et la brigade Ahrar al-Sham, proches d’al-Qaïda. Plus au nord, le gouvernement turc, très opposé au régime de B. al-Assad, a joué lui aussi avec le feu, en laissant passer sur son territoire les recrues de l’EI.

L’alliance sino-russe et les puissances orientales

La Chine et la Russie se présentent comme des vecteurs d’influence du conflit. En tant que membres du Conseil de sécurité de l’ONU, la Chine et la Russie ont bloqué à trois reprises des projets de résolution hostiles à Damas. Par ailleurs, Moscou ravitaille en flux tendu l’armée syrienne. Dans cette crise les motivations de la Russie sont de diverses natures : économiques, car le régime Assad est un vieux client de son industrie de défense ; militaire, avec le port de Tartous qui constitue sa toute dernière base en Méditerranée ; idéologique par l’autoritarisme partagé et la figure du chef renforçant le poids de Vladimir Poutine sur la scène nationale et internationale, mais aussi et surtout géopolitique, car le Kremlin a très mal vécu l’intervention de l’OTAN en Libye en 2011, alors censée se limiter à la protection des civils pour aboutir au renversement de Khadafi, ancien allié de la Russie.

C’est ainsi que le soulèvement anti-Assad est devenu la proie d’un nouvel affrontement entre Est et Ouest. Les frappes russes réalisées depuis septembre 2015 dans le cadre du Centre de coordination antiterroriste mis sur pied à Bagdad entre la Russie, la Syrie, l’Irak et l’Iran et après la demande officielle du régime de Damas illustre la stratégie de V. Poutine. Lors d’un discours prononcé à l’Assemblée générale de l’ONU le 28 septembre 2015, V. Poutine s’est en effet attaché à défendre plus globalement la souveraineté des Etats contre toutes les formes d’interventions extérieures. Un tel monde multipolaire, composé d’Etats souverains aux intérêts souvent divergents, ne peut fonctionner qu’à condition que l’application du droit international ne se fasse pas à géométrie variable. A cet égard, V. Poutine citera plus facilement le cas du Kosovo que celui de la Crimée.

De plus, la domination des chiites depuis la chute de Saddam Hussein en Irak a semblé créer un « arc chiite » de l’Iran au sud du Liban, en passant par Bagdad et Damas. Ainsi, l’Iran souhaite opérer via la partie de l’Irak chiite une jonction territoriale avec la Syrie, avec une bande côtière qui lui permettrait de renouer avec la puissance maritime achéménide. Le régime Assad bénéficie donc également du soutien des régimes chiites fournissant à Damas des moyens financiers, des armes et des conseillers militaires . Il y a aussi le Hezbollah, la milice chiite libanaise, désormais associée aux offensives des troupes gouvernementales, ainsi que les milices chiites irakiennes, maintenant déployées dans tout le pays et notamment à Alep.

Face à ces différentes forces, la Turquie de Recep Tayip Erdoğan se sent menacée. Le message idéologique véhiculé par les djihadistes télescope la politique « néo-ottomane » promue par l’AKP (le « Parti de la Justice et du développement » au pouvoir depuis 2002 en Turquie). Habilement, l’AKP tente désormais d’instrumentaliser cette situation aggravée par l’attentat d’Ankara du 10 octobre 2015 pour profiter du nouveau scrutin et récupérer sa majorité parlementaire. Mais la présence de l’EI menace de facto les alliés kurdes irakiens d’Ankara, et par là même une importante source de ravitaillement en pétrole bon marché pour l’économie turque. Les exactions des djihadistes multiplient également le nombre de réfugiés en Turquie et imposent une plus grande mobilisation de l’armée à la frontière syrienne, deux conséquences qui ont un coût économique certain. Pourtant, la présence de l’EI permet d’occuper le rival iranien et de fragiliser un peu plus les pouvoirs irakien et syrien avec lesquels le gouvernement turc entretient des relations difficiles.


VERS UNE RÉSOLUTION ?


En 2012, V. Poutine aurait proposé un plan de paix, excluant B. al-Assad du pouvoir, qui aurait été refusé par les Occidentaux. C’est l’ambassadeur russe à l’ONU, Vitali Tchourkine, qui avait fait part du plan en trois points, le 22 février 2012, à l’ancien chef d’Etat finlandais Martti Ahtisaari : « Ne pas armer les rebelles, organiser des pourparlers entre le régime et l’opposition et permettre à B. al-Assad de se retirer élégamment à l’issue des négociations. » Pour M. Ahtisaari, la proposition a été rejetée par les émissaires occidentaux, croyant que le régime allait s’écrouler très vite. Trois ans plus tard, il est toujours là.

Dans tous les cas, qu’il n’y aura pas en Syrie de solution efficiente sur les plans humanitaire et matériel sans une solution politique. Il est donc nécessaire d’intégrer, de façon appropriée des éléments du régime syrien dans le jeu des négociations. Pour cela, il faudra s’appuyer sur deux puissances importantes et influentes : l’Iran et la Russie. Ces deux Etats sont absolument incontournables dans une future conférence internationale destinée à mettre en œuvre une sortie politique de la crise. Cependant, le départ de B. al-Assad ne doit pas être la condition préalable de cette négociation, car cette question ne se posera qu’à l’issue du processus et de la formulation d’un compromis.

La difficulté pour François Hollande consiste désormais à établir une stratégie commune avec des partenaires qui sont loin de partager les mêmes objectifs. Même si la France est le seul pays européen à mener des frappes aériennes en Syrie et en Irak, elle ne peut pas agir seule contre l’EI et dépend, de facto, d’un renforcement des actions conduites par les Etats-Unis et la Russie, qui poursuivent des visées opposées en Syrie, notamment concernant le sort de B. al-Assad. A la suite des attentats de Paris du 13 novembre 2015, un rapprochement avec Moscou a d’ores et déjà été esquissé par le président Hollande. Ce dernier a infléchi la position française sur la Syrie, lors de son discours devant le Congrès, le 16 novembre 2015, en appelant à une «  coalition unique » contre l’EI, en rajoutant «  la priorité, c’est la lutte contre Daech ». Autrement dit, l’éviction de B. al-Assad, soutenu envers et contre tout par la Russie et l’Iran, n’est plus considérée comme un préalable incontournable. Pourtant, Paris avait considéré pendant longtemps que son éviction était le seul moyen de mobiliser la rébellion sunnite syrienne contre l’EI.

Si la plupart des experts s’accordent sur la nécessité d’intervenir, Nicolas Hénin précise que « la clé pour résoudre tout est la protection des civils. Il faut rétablir une zone d’exclusion aérienne dans les régions tenues par les rebelles modérés en Syrie, comme la campagne du nord d’Alep, la ville d’Idleb et sa province et un certain nombre de régions autour de Damas. On porterait un coup colossal à l’EI. Voici le message qu’on enverrait aux Syriens : on arrête d’envoyer des bombes barils et on refuse que les populations se fassent matraquer par les airs dans ces zones. On fournit la sécurité aux gens : les Syriens auraient envie de vivre là. On aurait enfin un exemple vertueux ».


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