Combien va coûter la reconstruction de Palmyre ?
Arraché des griffes de l’Etat islamique depuis quelques jours, le site antique de Palmyre est à nouveau sous la garde du régime de Bachar Al Assad. Symbole historique et moteur du tourisme, les vestiges pourraient être reconstruits. Mais combien coûteront ces chantiers ?
Pendant près de huit mois, la cité antique de Palmyre et la ville moderne installée à proximité ont subi l’occupation des djihadistes de l’Etat islamique. Les soldats d’Abou Bakr Al Baghdadi, calife autoproclamé, ont dynamité certains bâtiments, martelé des statues, arraché et vendu des artefacts hérités des périodes hellénistique, romaine et byzantine… sans compter les exactions comme les executions dans le théâtre ou le musée transformé en tribunal. Fin mars, les troupes de Bachar Al Assad, appuyées par l’aviation et les commandos russes, ainsi que des unités du Hezbollah libanais, ont repris le site antique et la ville moderne, au prix d’une bataille acharnée contre les troupes de l’organisation terroriste.
Sitôt les forces ennemies vaincues, des soldats du régime ont exploré les ruines antiques, prudemment par crainte que le site fut miné. Et les archéologues officiels syriens ont vite rejoint ces soldats. Depuis lors, les images parviennent jusqu’en Europe. Maamoun Abdelkarim, chef des Antiquités et des Musées de Syrie, a rapidement affirmé, sur la base des rapports de ses envoyés sur place, que «80 % des ruines antiques sont en bon état». Pour ces vestiges, les seuls travaux à prévoir sont d’éventuelles consolidations, afin d’éviter que les explosions des combats ou le dynamitage de certains bâtiments ne les aient fragilisés.
20% du site détruit ou endommagé
Restent les 20% qui ont été détruits ou gravement endommagés par les combats, les actions volontaires des djihadistes, voire certaines dégradations commises au printemps dernier par des soldats de l’armée syrienne en fuite, ou encore des pillards isolés depuis le début de la guerre civile.
«Mes collègues sont arrivés lundi à Palmyre et je leur ai demandé de procéder à une évaluation de l’état des pierres et de la vieille ville. Ils photographient et documentent les dommages, et ensuite la restauration pourra commencer», a expliqué Maamoun Abdelkarim.
Une fois le constat détaillé de la situation réalisé viendra donc le temps de la reconstruction. De nombreuses questions se poseront alors: est-ce que rebâtir des vestiges antiques constituera une priorité quand des villes entières (logements, hôpitaux, écoles,…) sont en ruines? Le régime qui sortira de la guerre aura-t-il les fonds nécessaires pour lancer ce chantier? D’autres sites antiques ou médiévaux (mosquée des Omeyyades à Alep) seront-ils privilégiés? Et surtout la question majeure: combien va coûter la reconstruction du site pour revenir aussi près que possible de l’état de Palmyre avant la guerre en Syrie?
Si les autorités syriennes veulent restaurer les monuments détruits par l’Etat islamique et leur redonner l’aspect d’avant 2011, il faudra notamment rebâtir les temples de Bêl et Baalshamin, l’Arc de triomphe, les tours funéraires et le lion d’Al-Lât. Mais il leur faudra aussi redonner vie au musée, victime des déprédations des djihadistes qui ont décapité nombre de statues, martelé des plaques funéraires, vandalisé de nombreux artefacts, pillé et vendu de nombreux objets aussi. Récupérer l’intégralité des objets disparus relève de la gageure: si certains objets pourraient être retrouvés sur le marché noir et saisis par les autorités pour être restitués à la Syrie, d’autres pourraient durablement disparaître des radars, dans des collections privées ou détruits.
Pour les constructions, il s’agira également de s’appuyer sur une large coopération internationale, avec notamment l’UNESCO au centre du jeu, et de nombreux chercheurs universitaires et archéologues du monde entier dans la boucle. L’organisation internationale a déjà envisagé de mettre au service de ce projet des technologies de pointe, comme les robots et les drones.
«En une ou deux heures, une machine vous permet de disposer dûne reconstitution parfaite d’un objet, là où cela aurait pris des semaines et des semaines auparavant», explique au Wall Street Journal Francesco Bandarin, assistant au directeur général de l’UNESCO.
La technologie à la rescousse
Partenaire de l’UNESCO, l’Institut pour l’archéologie numérique espère également s’appuyer sur une base documentaire très fournie avec des milliers de photos prises sur le site au cours des décennies passées. A Harvard, un fonds documentaire d’un million de clichés devrait être mis à contribution pour aboutir rapidement à une reconstitution en 3D de l’ensemble des bâtiments et vestiges du site.
Autre technologie moderne qui pourra être mise en oeuvre: la taille des pierres par des robots appuyée sur ces modélisations 3D du site: les appareils vont mesurer au millimètre près les aspérités des rochers, des statues, des bas-reliefs et des colonnades et tailler des blocs de rocher en suivant ce plan précis pour retrouver les éléments des bâtiments démolis par les djihadistes. Au bout d’un bras articulé piloté par un programme spécial, une fraise va tailler précisément les blocs de rocher pour reconstituer à l’identique les éléments des monuments antiques. Comme l’arc de triomphe de Palmyre reconstitué par la compagnie italienne TorArt dans cette vidéo.
Autre technologie utilisable pour reconstituer les bâtiments et édifices: l’impression 3D. Si cette solution ne permet pas de retrouver un monument de pierre comme l’original, elle offre une alternative pour réaliser des fac-similé ou des maquettes en vue d’une reconstruction ultérieure. Interrogée par le New York Times, Alexy Karenowska, directeur de la technologie au sein de l’Institut pour l’archéologie numérique, concède qu’une reproduction «ne pourra jamais être mieux qu’un ersatz» mais ajoute que «l’idée est d’utiliser ces solutions pour attirer l’attention sur le fait que la reconstruction est en cours, et une preuve de ce que la technologie peut faire pour quelque chose qui nous touche tous».
Si ces solutions existent, certains doutent de leur mise en oeuvre. Ainsi, au sein même de l’UNESCO, Annie Sartre-Fauriat, membre du groupe d’experts pour le patrimoine syrien, se montre sceptique sur les chances de voir les 20% de bâtiments endommagés ou détruits être reconstruits: «Tout le monde s’enflamme parce que Palmyre est ‘libérée’, mais il ne faut pas oublier tout ce qui a été détruit et la catastrophe humanitaire du pays. Je suis très perplexe sur la capacité, même avec l’aide internationale, de rebâtir le site. Quand j’entends dire qu’on va reconstruire le temple de Bêl, ça me paraît illusoire. On ne va pas reconstruire quelque chose qui est à l’état de gravats et de poussière. Construire quoi? un temple neuf? Il y aura peut-être d’autres priorités en Syrie», glisse l’historienne spécialiste du Proche Orient antique, et épouse de Maurice Sartre qui distinguait au micro de la RTS les vestiges écroulés mais dont les blocs sont entiers et ceux détruits à l’explosif et donc réduits en gravats, les premiers pouvant être reconstruits, les autres plus difficilement.
Difficile d’évaluer un budget avant que l’ensemble du site ait été inventorié, avec l’étendue précise des dégâts, l’état des pierres et des sculptures, les indispensables travaux de renforcement des vestiges, la chasse aux artefacts ayant été pillés depuis 2011,… Rares sont les exemples similaires de ruines monumentales ayant vécu une restauration lente et minutieuse pendant des années, suivie d’une guerre et de pillages, avant de devoir être à nouveau remis en état. Parmi les précédents, l’un de ceux qui s’en rapproche le plus est la situation d’Angkor, au Cambodge. L’ancienne capitale du royaume khmer a été progressivement dégagée de la forêt vierge aux XIXe et XXe siècle par plusieurs missions archéologiques et les temples ont été consolidés. Mais les guerres de la deuxième moitié du XXe siècle ont fragilisé ces campagnes de restauration et généré des pillages. C’est seulement depuis une vingtaine d’années que les chantiers de fouilles, de consolidation et de restauration ont pu reprendre.
Du temple de Baphuon au temple de Bêl
Suite à l’appel à l’aide du roi Norodom Sihanouk, l’UNESCO avait classé le site au patrimoine mondial en 2012. Plusieurs conférences internationales avaient réuni des pays contributeurs. Sur l’ensemble du site archéologique évalué à 400km2, 70 projets de restauration avaient été jugés prioritaires et l’UNESCO avait estimé leur coût total à 250 millions de dollars. Certains de ces projets se rapprochent de la situation de Palmyre. Ainsi, le temple de Baphuon, écroulé et réduit à un amas de 300’000 blocs de grès, a été relevé au terme d’un chantier de 17 ans qui aura coûté à la France (principal financeur du projet) près de 10 millions d’euros. A Palmyre, les temples et monuments renversés (et non dynamités) pourraient bénéficier d’un traitement similaire et renaître un jour. Ce sera plus difficile et plus controversé pour les vestiges qui ont été réduits en gravats par des explosifs.
En s’appuyant sur les premiers constats des équipes envoyées sur place et sur les images de la propagande diffusées ces derniers mois par l’Etat islamique, il semble que la situation soit contrastée: les grands temples (de Bêl et Baalshamin) ont été dynamités, comme le prouvent les vidéos mises en ligne par les djihadistes ces derniers mois (ci-dessous), mais d’autres pourraient avoir été renversés au bulldozer (la majorité des pierres restant intactes).
La facture pourrait donc s’élever à plusieurs dizaines de millions de dollars pour les tours funéraires de Palmyre (s’il s’avère qu’elles ont été renversées). Mais qui aura capacité et volonté de payer une telle facture? Actuellement, le site est repassé sous le contrôle du régime de Bachar Al Assad. Mis au ban de la communauté internationale par l’Occident, il ne sera sans doute pas aidé par les gouvernements européens ou américain. Traditionnel allié de Bachar Al Assad, le gouvernement russe pourrait par contre intervenir. Après avoir contribué à la reprise de la ville et du site archéologique avec son aviation et ses commandos, Vladimir Poutine pourrait également mobiliser ses archéologues pour aider à retrouver le Palmyre d’avant la guerre civile. Certains archéologues russes ont d’ores et déjà offert leurs services.
Des investisseurs privés et même les autorités syriennes pourraient également être tentées de mettre la main à la poche. Non seulement en raison du prestige qu’un tel chantier offrirait à ceux qui le financeraient. Mais aussi pour mieux mettre la main sur les recettes à venir le jour où le tourisme sera de retour. Une société qui s’engagerait financièrement dans les chantiers de restauration pourrait négocier des contreparties avantageuses dans les chantiers et les infrastructures bien plus lucratives des environs (routes, hôtels, complexes de loisirs) qui devraient voir le jour quand le pays sera pacifié.
Article paru sur le site Bilan
L’auteur : Matthieu Hoffstetter est titulaire d’une maîtrise d’histoire.
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