Les “Chrétiens d’Orient” et la politique étrangère française, logique protectrice ou compassion condescendante ?

Article paru sur le site Les Yeux Du Monde le 04/02/2017 par Joachim Taïeb

Il ne s’agit pas ici de nier le rôle protecteur qu’a pu jouer la France envers les “Chrétiens d’Orient” mais plutôt de complexifier l’analyse pour mieux comprendre les intérêts à la fois humanistes mais aussi géopolitique qu’ont pu avoir ce paradigme diplomatique, véritable “fascination française” pour reprendre les termes de Henry Laurens.

Des liens historiques cachant une certaine instrumentalisation ?

Cette reconstruction historique est d’autant plus difficile que les essais historiques déjà entrepris sont avant tout le fait de diplomates entendant “démontrer la permanence des liens entre la France catholique et ses “protégés” orientaux”. La plus ancienne occurrence citée nous fait alors remonter au XVIe siècle si l’on omet d’évoquer les Croisades et Saint Louis (épisode dans laquelle la majorité des chrétiens syriaques s’opposent aux croisés). François Ier imité en cela par les puissances anglaise et russe négocient avec l’Empire Ottoman le “Régime des capitulations” garantissant entre autres la protection des minorités chrétiennes. Outre la proximité confessionnelle, il ne faudrait pas nier le caractère instrumentale de la relation, la France du souverain valois étant plus motivé par des intérêts stratégiques d’une alliance avec la Sublime Porte que par une réelle stratégie diplomatique de soutien confessionnel.

Cette proximité est réaffirmée sous le règne de Louis XIV mais étant donné les difficultés du Trésor, ce soutien relève plus de la rhétorique de la réalité. On ne saurait pour autant relativiser les liens entretenus de part notamment la présence de missionnaires jésuites française dans la région mais également l’importance de la langue française. Traversant le temps, Napoléon III fera également usage de cette relation entendue comme “historique” pour mieux justifier ses volontés expansionnistes qu’il met en pratique en menant en 1860 une expédition en Syrie après le massacre de Chrétiens maronites dans le Mont Liban par des druzes. Cette constante interférence français et plus largement occidentale va paradoxalement faire de la minorité un “bouc-émissaire” facile et suspecté d’être un cheval de troie de l’Occident.

Les “Chrétiens d’Orient” ou les limites d’une appellation

A cette histoire plus complexe qu’on ne pourrait la penser, s’ajoutent les limites de l’appellation même de “Chrétiens d’Orient” étant d’ailleurs une particularité française. La notion souffre en effet de plusieurs essentialisations à la fois géographiques et confessionnelles. D’une part, sur le terrain géographique, l’appellation d’”Orient” est bien plus large que le cadrage réalisé, l’Oeuvre d’Orient incluant à cet effet dans son champ d’action les chrétiens d’Europe de l’Est et du Sud. Il faudra ainsi parler de Chrétiens du Proche Orient pour être plus exact. Par ailleurs, l’appellation empêche également de voir à quel point l’expérience contemporaine des chrétiens d’Orient est globalisée et diasporique. On compte des diasporas syriaques ou encore chaldéennes se comptant en millions en Europe, aux Etats-Unis, en Australie ou encore en Inde. D’autre part, une essentialisation confessionnelle est également à l’oeuvre en cela que l’on pourrait croire à une uniformité des cultes et rites religieux. Or nous n’avons pas affaire à un bloc monolithique mais bien à une diversité d’obédience : grecs orthodoxes de syrie, arméniens d’Iran, coptes égyptiens, maronites libanais, nestoriens et chaldéens irakiens… Cette essentialisation confessionnelle réside également dans la définition de ces communautés par le seul facteur religieux. Si l’on ne peut ignorer la confessionnalisation croissante des expériences égyptiennes, irakiennes ou encore libanaise, ces minorités partagent un bagage historique, culturel ou encore linguistique avec leurs voisins musulmans ou avec d’autres minorités. On ne saurait analyser leur parcours sans comprendre le contexte plus large dans lequel ils évoluent faits de solidarités et de projets inter-confessionnels. Ne faut-il pas rappeler que l’un des fondateurs du Parti Baas, porteur du projet panarabe était un chrétien syrien : Michel Aflaq ?

Qu’en est-il alors des solutions potentielle que pourrait apporter la diplomatie françaises à ces minorités religieuses qui refusent le discours essentialiste et l’exil forcé leur étant proposé ? Une intervention militaire serait une prise de risque considérable pouvant mener à une déstabilisation plus importante de la région, ce qu’a rappelé Laurent Fabius en Mai 2015. Une autre voie dont son successeur pourrait se saisir consisterait en l’établissement d’une zone de protection internationale notamment en Syrie et en Irak pour protéger les minorités chrétiennes présentes en dotant ces espaces d’institutions fonctionnelles et de forces de sécurité. Cette perspective pourrait néanmoins mener à des volontés séparatistes qui fractureraient encore plus les pays concernés. On peut donc voir que le tableau est complexe et que le soutien occidental est crucial pour éviter un exode massif de minorités présentes depuis des millénaires dans des terres étant le berceau du christiannisme. Une chose est sûre, l’attitude historique des occidentaux pendant des décennies consistant à supporter des autocrates censés préserver la place des minorités et faire rempart à l’”islamisme” n’a pas été des plus efficaces, puisque ceux-ci ont conduite des politiques de réislamisation pour mieux couper l’herbe sous le pied des mouvements islamistes impactant directement les communautés chrétiennes. Alors que la fin de Daesh semble proche, la transition qui s’augure demande des mesures de protection fortes allant au-delà de simple propositions d’accueil.


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