Changement climatique et migration de masse : une menace grandissante pour la sécurité mondiale
Article paru le 19/01/2017 sur le site de l’IRIN
Les dirigeants mondiaux qui se sont réunis le mois dernier dans la capitale bangladaise pour mener des discussions sur une nouvelle politique migratoire internationale n’ont fait qu’effleurer le phénomène qui, selon les experts, sera bientôt un moteur important des mouvements migratoires : le changement climatique.
« Le système international est en plein déni », a dit A.N.M. Muniruzzaman, major général à la retraite et actuel dirigeant de l’Institut sur les études pour la paix et la sécurité du Bangladesh.
Le Forum mondial sur la Migration et le Développement de Dacca s’est tenu moins de deux mois après l’engagement pris par les Etats membres des Nations Unies de mettre en place un Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières. Le changement climatique, considéré comme un sous-thème, a seulement été abordé lors d’une table ronde de la conférence. D’après M. Muniruzzaman, ceci est habituel dans ce genre de conférences.
« Pour faire face au mieux à la crise à venir, c’est maintenant que nous devons nous réunir – nous aurions dû le faire hier – pour parler de la manière dont la gestion sera mise en œuvre », a-t-il dit à l’occasion d’un entretien organisé dans ses bureaux de Dacca, la capitale surpeuplée du Bangladesh.
Les organisations comme le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) et l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) sont bien conscientes des risques, et elles déclarent œuvrer pour mettre le changement climatique au cœur des débats politiques. Lors de la table ronde organisée à Dacca, Michele Cavinato, directeur de l’Unité Asile et Migration du HCR, a qualifié le changement climatique de « défi crucial de notre époque ».
Des évaluations difficiles à mener
Il est difficile de déterminer avec exactitude le nombre de personnes qui seront forcées de se déplacer lorsque les effets du changement climatique s’accentueront dans les décennies à venir. Mais les déplacements de masse sont déjà une réalité, car le changement climatique contribue aux catastrophes naturelles, telles que la désertification, les sécheresses, les inondations et les tempêtes violentes.
Entre 2008 et 2015, les catastrophes naturelles ont déplacé environ 203 millions de personnes à travers le monde, et les risques ont été multipliés par deux depuis les années 1970, d’après le Rapport mondial sur les déplacements internes 2016 du Conseil norvégien pour les réfugiés.
La plupart des déplacements ont lieu à l’intérieur des pays, mais les individus contraints de franchir des frontières ne sont pas considérés comme réfugiés, car la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés ne reconnait que les personnes qui fuient la guerre ou la persécution.
« Il y a un vide juridique quand on parle d’assistance et de protection aux personnes qui franchissent des frontières dans le contexte d’une catastrophe naturelle et du changement climatique », a dit à IRIN Marine Franck, en charge de la question des déplacements provoqués par le changement et les catastrophes climatiques.
Un autre aspect du changement climatique, qui complique l’évaluation du nombre exact de personnes déplacées par le phénomène, est qu’il constitue « un multiplicateur de risques ». Cela veut dire qu’il accroît le risque d’alimenter d’autres moteurs de la migration forcée, tels que les conflits ; ainsi, les réfugiés qui fuient une guerre fuient peut-être aussi les effets du changement climatique. Le phénomène entraîne aussi souvent des catastrophes à évolution lente, comme les sécheresses, qui affectent progressivement les moyens de subsistance des populations.
Le nombre de personnes déplacées par le changement climatique dépend en grande partie des efforts mis en œuvre par les pays aujourd’hui pour atténuer les effets à venir.
La poudrière du Bangladesh
Il est difficile de trouver un pays exposé à plus de risques liés au changement climatique que le Bangladesh.
Ce pays pauvre compte quelque 160 millions d’habitants vivant sur un territoire un peu plus petit que celui de la Tunisie, qui recense 11 millions d’habitants, ce qui en fait l’un des pays les plus densément peuplés du monde. Son littoral longe le golfe du Bengale et le place sur la route des cyclones, qui augmentent en fréquence et en intensité.
Le Bangladesh est aussi l’un des pays les plus plats du monde et l’essentiel de son territoire se trouve dans un delta, ce qui le rend particulièrement vulnérable à l’érosion des sols. La fonte des glaciers de l’Himalaya va se poursuivre, faisant gonfler les rivières, et l’augmentation du niveau des mers provoquera l’inondation des zones côtières et la salinisation des terres à l’intérieur du pays, ce qui entraînera la contamination de l’eau potable et rendra l’agriculture impossible.
D’ici 2050, le Bangladesh pourrait compter plus de 20 millions de déplacés, selon le Plan d’action stratégique contre le changement climatique. Bon nombre de ces déplacés s’installeront dans la capitale, qui devrait voir sa population passer de 14 millions à 40 millions, d’après le gouvernement. Mais les villes du pays ne pourront pas absorber l’afflux de personnes forcées d’abandonner leur domicile en raison du changement climatique.
« L’installation de ces réfugiés constituera un grave problème pour… un Bangladesh densément peuplé et la migration [à l’étranger] doit être envisagée comme une solution valable pour le pays », indique le plan développé par le gouvernement. « D’ici là, ces personnes seront préparées pour devenir des citoyens formés et utiles pour n’importe quel pays ».
Mais bon nombre de pays devront faire face à leurs propres crises et le Bangladesh aura des difficultés à les convaincre d’accueillir ses « réfugiés climatiques ». Les déplacements de masse à l’intérieur du pays pourraient miner un système politique fragile et renforcer le militantisme, qui est déjà en augmentation.
« Cela pourrait déstabiliser le pays et le mener au bord de l’effondrement », a dit M. Muniruzzaman.
Les responsables du ministère des Affaires étrangères du Bangladesh n’ont pas répondu aux demandes de commentaires.
Sécurité mondiale
Le Bangladesh fait partie des pays les plus exposés au changement climatique, mais le phénomène a des répercussions au niveau mondial.
La désertification a déjà commencé à détruire les terres fertiles d’Afrique, forçant les populations à quitter leurs terres pour trouver du travail ailleurs, y compris en Europe. Certains pays sont voués à disparaître sous les eaux. La république des Kiribati, Etat insulaire du Pacifique, a développé une stratégie qui, idéalement, permettrait à 100 000 de ces citoyens de « migrer avec dignité ».
Mais l’Asie du Sud, avec sa population importante et sa vulnérabilité aux divers effets du changement climatique, est particulièrement exposée aux risques climatiques, selon un nouveau rapport de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). Sur les 203 millions de personnes déplacées à l’intérieur de leur pays entre 2008 et 2015 en raison de catastrophes naturelles, 36 pour cent vivaient en Asie du Sud.
Le rapport note que l’Association sud-asiatique pour la coopération régionale a reconnu que le changement climatique représentait une menace, et a développé des politiques visant à en atténuer les effets. Mais « la question de la migration est rarement abordée », selon le rapport de l’OIM.
La tendance est la même dans le reste du monde, a dit M. Muniruzzaman, en notant qu’il n’y avait pas eu de discussions consacrées au changement climatique lors du Forum mondial sur la Migration et le Développement organisé le mois dernier.
Si l’on ne recentre pas l’attention sur cette question, a-t-il prévenu, le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières ne permettra pas de gérer les déplacements de masse liés au changement climatique – et les effets du multiplicateur de menaces risquent d’être plus importants que prévu.
Par exemple, a-t-il dit, les migrants climatiques qui ont peu de possibilités d’emploi pourraient venir gonfler les rangs des organisations criminelles et des groupes militants, et la disparation des Etats insulaires pourraient entraîner des conflits armés en haute mer, avec des pays tentés de s’emparer de territoires maritimes récemment abandonnés.
« Il ne s’agit pas seulement d’un problème humanitaire », a dit M. Muniruzzaman. « Il s’agit d’un problème de sécurité mondiale ».
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