Une commission de l’ONU rend un rapport accablant à propos d’Alep
Article publié sur le site du journal Le Temps le 01/03/2017. Auteur : Stéphane Bussard
Le rapport sur la prise d’Alep établi par la commission dirigée par Paulo Pinheiro dresse un constat très sévère à l’encontre des groupes armés de l’opposition, mais surtout du régime syrien, évoquant de «possibles» crimes de guerre
La Commission internationale indépendante d’enquête sur la Syrie a diffusé mercredi au Palais des Nations à Genève un rapport accablant qui met en lumière les conséquences dramatiques de la bataille autour d’Alep entre les forces syriennes et russes et les groupes rebelles syriens. Membre de la commission, l’ex-procureure générale de la Confédération et ancienne procureure du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie Carla Del Ponte n’a pas mâché ses mots: «Ce que nous avons vu en Syrie (dans les documents consultés), je ne l’ai pas vu au Rwanda ou en ex-Yougoslavie. Ce qui s’est passé est juste incroyable.» Les populations civiles ont payé un lourd tribut de ces affrontements.
Dans un document de 37 pages, la commission, mandatée par le Conseil des droits de l’homme, a enquêté en Syrie et à Genève, menant près de 300 interviews, dont certains à distance avec des résidents d’Alep. Elle souligne que son travail a été fortement entravé à Alep. «Les autorités syriennes ont refusé toute coopération et tout contact», a expliqué le président de la commission Paulo Pinheiro.
Affamer la partie Est d’Alep
Elle épingle sévèrement le régime de Bachar el-Assad: «Les forces gouvernementales et leurs alliés ont employé des tactiques brutales pour forcer les groupes armés à se rendre.» La manière dont elles ont cherché à affamer la partie Est d’Alep a eu un impact «désastreux» sur les populations civiles. Elle fustige Damas et Moscou pour les raids aériens qui ont tué plusieurs centaines de civils et des infrastructures vitales. Entre juillet et novembre, les attaques d’hôpitaux et de centres de soins ont été perpétrées lors de raids aériens menés par Damas et Moscou bien qu’aucune présence militaire n’ait été observée à proximité.
La répétition des bombardements opérés en vague par des hélicoptères et avions révèle des efforts «délibérés et systématiques visant des infrastructures médicales s’inscrivant dans une stratégie cherchant à faire capituler» l’ennemi.
Le bombardement du 1er octobre 2016
Le 1er octobre 2016 par exemple, vers 11h du matin, des bombes barils ont endommagé l’hôpital M10, dans le district Al-Sakhour, forçant des centaines de patients et d’employés à trouver refuge dans les sous-sols. Des bombes puissantes anti-bunker, des sous-munitions et du chlore ont aussi été utilisés au cours de cette attaque. Les forces aériennes syriennes et russes ont fait de même avec d’autres établissements médicaux, dont l’hôpital pédiatrique Al-Hakim. L’impact de tels raids fut «dévastateur» pour l’accès des enfants à des soins. En raison de la destruction d’installations électriques, des nouveau-nés sous incubateur sont décédés.
De tels établissements de santé étant particulièrement protégés par les conventions de Genève, la Commission d’enquête estime que ces bombardements ainsi que les attaques contre le personnel médical et les ambulances pourraient équivaloir à un crime de guerre.
Recours aux armes chimiques
Le recours aux armes chimiques est aussi dénoncé par le rapport. La commission relève que de nombreuses bombes improvisées au chlore ont été larguées par hélicoptère. Elle est catégorique: les forces aériennes syriennes sont les responsables de ces attaques. L’utilisation du chlore relève d’une stratégie délibérée de Damas et pourrait valoir au pouvoir de Bachar el-Assad d’être accusé de crimes de guerre. Le rapport précise toutefois qu’elle n’a trouvé aucune preuve montrant que des attaques chimiques auraient été perpétrées par les forces russes. Russes et Syriens sont aussi accusés d’avoir utilisé de façon massive des armes à sous-munition dont les conséquences humanitaires, à long terme, pourraient entraver fortement un retour à la normale pour la population civile d’Alep. Selon la commission, les forces aériennes syriennes et russes ont utilisé, entre juillet et décembre 2016, des bombes, des missiles air-sol, des bombes incendiaires et barils. Les attaques aériennes perpétrées la nuit ont été, poursuit le rapport, menées avant tout par les forces russes, l’aviation syrienne n’ayant que des capacités limitées de voler la nuit.
Le document incrimine aussi les groupes rebelles armés à l’est d’Alep qui ont utilisé les civils comme des boucliers humains et qui les ont privés parfois de l’aide humanitaire qui leur revenait. Ces groupes armés ont également utilisé des armes sans discrimination, touchant mortellement de nombreux civils, en particulier à l’ouest d’Alep.
L’un des points forts du rapport est sans doute l’attaque, le 19 septembre 2016, du convoi humanitaire des Nations unies et du Croissant-Rouge syrien, qui fit au moins 14 morts civils et une quinzaine de blessés. Dix-sept des 31 camions d’aide furent anéantis. Le convoi se mit en route à partir d’un territoire contrôlé par Damas après que les forces armées syriennes déclarèrent la fin d’un cessez-le-feu qui était en vigueur depuis le 12 septembre 2016. L’attaque aérienne dura au moins trente minutes. Pour s’assurer qu’il s’agissait bien d’une attaque aérienne, les experts de la Commission d’enquête ont analysé des fragments des bombes sur le site où s’est déroulée la tragédie. Ils ont aussi recouru à des images satellitaires montrant des impacts au sol clairement provoqués par des attaques aériennes. «C’est l’un des rapports les plus pointus» qui ait été établi, a martelé le président de la commission, Paulo Pinheiro. Répondant aux doutes d’un journaliste russe, Carla Del Ponte a été claire: «Nous avons obtenu suffisamment de garantie pour pouvoir identifier les vrais responsables de ce crime. Malheureusement, nous n’avons pas encore de tribunal pénal» pour les juger.
Pour la commission, il est clair qu’il s’est agi d’un raid aérien mené par des avions Su-24 et des hélicoptères Mi-8. Aucun avion de la coalition internationale n’était à moins de 50 kilomètres du lieu de la tragédie. «Le type de munitions utilisé, la taille de la zone ciblée et la durée de l’attaque laisse clairement entendre que celle-ci était planifiée méticuleusement et menée sans pitié par les forces aériennes syriennes pour empêcher de façon délibérée l’apport de l’aide humanitaire», relève sévèrement le rapport, remettant clairement en question la rhétorique de Damas niant toute implication.
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