Cinq propositions pour une ONU plus efficace et plus démocratique
L’ONU est l’institution internationale la plus légitime car la plus démocratique.
En effet, c’est une organisation universelle qui rassemble 193 Etats, soit pratiquement tous les pays du monde, sur une base égalitaire puisque lors de son Assemblée générale, chaque Etat, qu’il soit riche ou pauvre, est doté d’une voix lors des votes. L’ONU est donc bien plus démocratique que les institutions financières internationales comme le FMI, où plus un Etat est riche, plus il dispose de voix, et que les «clubs» comme l’OCDE ou les G7, G8, G20 qui ne rassemblent que les Etats les plus développés et puissants du monde.
Il reste cependant encore des choses à faire pour rendre l’ONU plus efficace et plus démocratique. Voici cinq propositions urgentes :
1) Supprimer le statut de membre permanent du Conseil de sécurité et le droit de veto
Le statut de membre permanent du Conseil de sécurité, avec droit de veto, dont disposent cinq pays (France, Etats-Unis, Royaume-Uni, Chine, Russie) apparaît comme un privilège, voire une entorse au caractère démocratique de l’ONU. La raison de ce privilège – le fait que ces pays étaient les vainqueurs de la Seconde guerre mondiale – n’apparaît plus justifiée aujourd’hui, comme le relèvent de nombreux pays. De plus, le veto a été, tout au long des 70 ans d’existence de l’ONU, un élément de blocage de l’action onusienne : le veto, ou la simple menace du veto, ont empêché en bien des cas l’ONU d’agir sur des sujets importants, comme dans les années 1950-60 lors de la guerre d’Algérie ou de la guerre du Vietnam.
Les projets de réforme qui ont été suggérés ces dernières années, et qui proposent d’étendre ce privilège à d’autres pays (l’Allemagne, l’Afrique du Sud, le Brésil…), n’apparaissent pas convaincants, car si l’on étend le droit de veto à d’autres pays, cela paralyserait encore plus l’ONU. Et la situation demeurerait toujours injuste, car il y aurait toujours des pays qui s’estimeraient lésés de ne pas avoir eux aussi ce privilège.
La solution est de supprimer purement et simplement le statut de membre permanent du Conseil de sécurité et le droit de veto, pour rendre l’ONU plus efficace et véritablement démocratique dans son fonctionnement.
Loin d’affaiblir la France, cette réforme serait tout à son honneur ; cela ouvrirait également la voie à la possible élection d’un Secrétaire général français. En effet, une convention tacite, depuis la création de l’ONU, veut que les pays dotés du droit de veto ne puissent jamais avoir un de leur ressortissant nommé Secrétaire général. Avec la suppression du droit de veto, cela le rendrait possible l’élection.
2) Faire de la nomination du Secrétaire général une véritable élection démocratique
Jusqu’à présent, le Secrétaire général de l’ONU a toujours été nommé, et non pas élu, par l’Assemblée générale sur proposition du Conseil de sécurité, qui traditionnellement ne propose qu’un seul nom, choisi lors d’une réunion privée, lors de laquelle le veto peut être employé. C’est dire si ce processus est tout sauf démocratique ! Selon les termes de l’ambassadeur suisse à l’ONU, Paul Seger, cette pseudo-élection est encore moins transparente que celle du pape, ce qui est révélateur…
Il faudrait donc faire de ce processus une véritable élection, par l’Assemblée générale. Cela aurait comme avantage de permettre le déroulement d’une véritable campagne électorale, relayée par les médias du monde entier, ce qui rendrait la population mondiale plus concernée, plus intéressée, par cette élection et par l’ONU.
Un premier pas sur cette voie a été fait cette année, puisque pour la première fois, les huit candidats officiels à la succession de Ban Ki-moon ont pu se présenter chacun devant l’Assemblée générale et exposer leurs idées et leur projet pour diriger l’ONU. Mais pour l’instant, rien n’a été changé au processus de nomination, ce qui fait qu’en pratique ce sont toujours les cinq membres permanents du Conseil de sécurité qui ont la haute main sur la nomination du Secrétaire général.
3) Encourager l’ONU à lancer un vaste plan d’assistance aux réfugiés
La «crise» des réfugiés que nous vivons actuellement, avec plus de 60 millions de personnes déplacées dans le monde, est sans précédent. A ce vaste enjeu, qui se joue à l’échelle planétaire, il faut une réponse mondiale, et l’ONU est bien placée pour s’en charger. En effet, l’ONU peut tirer parti de son expérience en la matière : au sortir de la Seconde guerre mondiale, alors qu’il y avait également des millions de personnes déplacées en Europe, l’ONU avait créé une agence ad hoc, l’Organisation internationale des réfugiés (OIR), qui avait fonctionné de 1946 à 1952, et qui, dotée d’un personnel nombreux, s’était activement occupée de réinstaller 10 millions de personnes dans des pays d’accueil et de les aider à se réinsérer. En 1951 a été adoptée la Convention relative au statut des réfugiés, et en 1952 a été créé le Haut Commissariat des Nations unies aux réfugiés (HCR). Mais sur la question des migrations, l’agence qui a été créée, en 1951, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), a été placée en dehors du système des Nations unies, suivant la volonté des Etats-Unis qui ne voulaient pas que ce soit l’ONU qui s’occupe de cette question.
Il faudrait permettre à l’ONU de se ressaisir pleinement de la question des migrants et réfugiés, soit en créant une nouvelle OIR, soit en étendant et en humanisant l’action du HCR (qui bien souvent est trop restrictif dans l’attribution du statut de réfugié). L’ONU pourrait montrer la voie aux Etats en adoptant une conception humaniste du migrant, du réfugié, au lieu de les criminaliser comme le font beaucoup de pays. Faire respecter les droits fondamentaux des migrants, rendre impossible leur détention inhumaine dans des camps, cela doit être l’action de l’ONU.
L’ONU a d’ailleurs adopté des textes progressistes en la matière, comme la «convention pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants et de leurs familles» de 1990, ou les deux conventions (1954 et 1961) sur les apatrides, textes que la France n’a malheureusement pas ratifiés. Faire connaître et faire ratifier ces textes progressistes doit être un objectif fédérateur.
4) Préconiser une action de l’ONU pour interdire les paradis fiscaux, contrôler les grandes multinationales, faire un contre-TAFTA et créer une taxe internationale sur les transactions financières
A l’origine, les questions économiques et commerciales devaient relever intégralement de l’ONU. Une charte progressiste, la Charte de la Havane, avait été négociée au sortir de la Seconde guerre mondiale et signée en 1948. Elle prévoyait la création d’une Organisation internationale du commerce (OIC) totalement intégrée à l’ONU, et fondée sur des idées de justice sociale. Mais elle n’a pas été ratifiée par le Sénat américain et finalement c’est en dehors de l’ONU qu’a été entreprise la régulation des échanges internationaux, sous l’égide du GATT, devenu en 1995 l’OMC. Or, l’OMC est fondée sur des conceptions libérales, à l’opposé des conceptions humanistes et progressistes de la Charte de l’ONU.
Il faut donc faire en sorte que l’ONU se ressaisisse de ces attributions économiques et commerciales, afin de lutter efficacement contre l’évasion fiscale. Le problème des paradis fiscaux étant un enjeu transnational, seule une organisation mondiale peut le résoudre, cela ne peut pas venir d’un seul pays ni même d’un groupe de pays.
Face au projet d’un grand marché transatlantique (TAFTA), au problème de la gestion des dettes souveraines des Etats, des initiatives progressistes sont lancées en ce moment même au sein de l’ONU, notamment par des pays du Sud. La France doit les soutenir et les encourager.
Enfin, une taxe internationale sur les transactions financières permettrait de résoudre une grande partie des problèmes économiques et sociaux des pays. L’ONU, dont les attributions officielles s’étendent à ces sujets, est l’institution adéquate pour établir un tel dispositif.
Rappelons que la Banque mondiale et le FMI font théoriquement partie de l’ONU, mais s’en sont rapidement autonomisés après la Seconde guerre mondiale, c’est-à-dire que ces structures se sont affranchies du fonctionnement démocratique onusien (1 Etat = 1 voix). Il faudrait remettre ces institutions financières internationales sous le contrôle de l’Assemblée générale de l’ONU.
5) Doter l’ONU de plus de budget et de plus de pouvoir
L’ONU est l’organisation internationale la plus légitime, or elle a de facto moins de pouvoir que d’autres institutions comme l’OMC qui, elle, a le pouvoir d’imposer des sanctions économiques à des Etats, au moyen de son organe de règlement des différends (ORD). Il faut doter l’ONU d’un pouvoir de sanction tout aussi fort, dans les cas où des Etats, des personnes ou des entreprises ne respectent pas ses résolutions ou ses conventions. En effet, le plus souvent, lorsque les résolutions ou conventions de l’ONU ne sont pas respectées, rien ne se passe, ces textes restent soit lettre mortesoit de belles résolutions qui ne sont pas appliquées. Il est essentiel de donner plus de pouvoir à l’ONU pour faire appliquer ses textes.
Pour rendre l’ONU plus efficace, il faut aussi qu’elle dispose d’un budget plus important. Actuellement, son budget est très faible. Par exemple, le budget de l’UNESCO est inférieur à celui de la ville de Paris, alors que cette institution culturelle doit agir dans le monde entier ! Quant à l’AIEA (agence internationale de l’énergie atomique), son budget est équivalent à 0,06% du budget de la défense des Etats-Unis, ce qui est dérisoire.
Actuellement, le budget des Nations unies est tellement insuffisant que l’ONU et ses agences sont obligées de plus en plus d’avoir recours à des donateurs privés, qui sont le plus souvent des entreprises. Or, accepter de l’argent d’entreprises privées est dangereux car cela limite l’indépendance de l’ONU et l’amène à infléchir son discours dans un sens pro-secteur privé alors qu’elle devrait être vigilante face aux pratiques sociales de ces firmes, avoir un esprit critique face aux grandes multinationales.
Pour éviter cet écueil et permettre à l’ONU d’avoir de vrais moyens d’agir, il est essentiel que les Etats lui donnent davantage de budget, et honorent également leur engagement à donner 0,7% de leur PIB en faveur de l’aide au développement.
Doter l’ONU de plus de pouvoir, d’un budget plus important, et la rendre plus démocratique dans son fonctionnement, est fondamental pour lui permettre d’exercer efficacement sa mission de paix et de progrès social auprès des citoyens du monde entier. La France, pays des droits de l’Homme, se doit d’oeuvrer dans cette voie, main dans la main avec les pays du Sud, qui poussent en ce sens. Son image auprès de ces pays et sur la scène internationale en serait rehaussée.
Chloé Maurel
Chloé Maurel est chercheure associé à lIRIS. Ancienne élève de l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm, elle est agrégée d’histoire et docteure en histoire contemporaine. Ses domaines de recherche sont l’histoire globale, les institutions internationales et la gouvernance mondiale, et en particulier l’ONU et ses agences : Unesco, OIT, FAO, OMS… Elle étudie les différentes actions onusiennes : maintien de la paix, protection du patrimoine mondial, santé, aide aux réfugiés…, et analyse comment l’ONU pourrait être plus efficace. Elle a publié plusieurs livres, sur l’histoire des relations internationales, l’UNESCO, l’ONU, et s’intéresse à l’histoire et à la situation des peuples et des pays du Sud (Asie, Afrique, Amérique latine). Elle a enseigné dans plusieurs universités françaises et a organisé des séminaires de recherche à l’Ecole Normale Supérieure et à Sciences Po.
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