Enfants-soldats, acteurs et victimes de conflits armés

L’Allemagne nazie avait ses « Jeunesses hitlériennes » (« Hitler Jugend »), Charles Taylor au Libéria pratiquait le recrutement forcé d’enfants (voir l’excellent roman fondé sur des faits réels « Allah n’est pas obligé » d’Ahmadou Kourouma, Prix Renaudot 2000), Saddam Hussein avait sa « Futuwah » (Avant-garde armée) d’enfants, et maintenant un rapport britannique, intitulé Children of Islamic State (« Enfants de l’Etat islamique »), publié le 9 mars 2016, documente l’endoctrinement d’enfants par Daesh (« l’Etat islamique »).

Le Conseil de sécurité des Nations Unies avait adopté à l’unanimité, le 18 juin 2015, une résolution 2215 (2015) condamnant les enlèvements d’enfants, dont l’immense majorité est perpétrée par des acteurs non-étatiques, dont des organisations terroristes comme Daesh et Boko Haram.

C’était une étape pour protéger les 250 millions d’enfants qui vivent dans des situations de conflit. Le Conseil de sécurité, sous la présidence de la France, avait organisé le 25 mars 2015 un débat public sur les enfants dans les conflits armés, en présence du Secrétaire général des Nations Unies et du Directeur général de l’UNICEF, M. Anthony Lake. La France avait alors invité les Etats qui ne l’avaient pas encore fait à endosser les « Principes et engagements de Paris » en vue de protéger les enfants contre une exploitation ou un recrutement illégaux par des groupes ou des forces armées.

Le Conseil des Droits de l’Homme a examiné  lundi 7 et mardi 8 mars la question des enfants victimes de conflits armés.

Deux Représentantes spéciales du Secrétaire général des Nations Unies y présenteront leur rapport annuel :

  • La Représentante spéciale du Secrétaire général pour le sort des enfants en temps de conflit armé, Madame Leïla Zerrougui (Algérie), présente un rapport ( A/HRC/31/19 ) qui couvre la période allant de décembre 2014 à décembre 2015. La Représentante spéciale décrit les activités qu’elle a menées en application de son mandat et les progrès réalisés en matière de lutte contre les violations graves commises à l’égard d’enfants, notamment l’action menée auprès des parties aux conflits afin de prévenir et de faire cesser ces violations. La Représentante spéciale y étudie également les difficultés liées au renforcement de la protection des enfants touchés par les conflits armés, et traite notamment des effets de l’extrême violence, de la privation de liberté des enfants en temps de conflit et du déplacement d’enfants du fait d’un conflit armé. La Représentante spéciale met en lumière les progrès réalisés dans le cadre de la campagne « Des enfants, pas des soldats », qui vise à prévenir et à faire cesser l’enrôlement et l’utilisation d’enfants par les forces nationales de sécurité, et met en évidence les éléments clefs à prendre en considération pour progresser. En outre, elle évoque les faits nouveaux concernant l’établissement des responsabilités concernant les violations graves commises à l’égard d’enfants. En dernier lieu, elle formule des recommandations à l’intention du Conseil des droits de l’homme et des États Membres pour améliorer encore la protection des droits de l’enfant.
  • La Représentante spéciale du Secrétaire général chargée de la question de la violence à l’égard des enfants, Madame Marta Santos Pais (Portugal) demande dans son rapport (A/HRC/31/20 ) de promouvoir une culture de respect des droits de l’enfant et de tolérance zéro pour la violence. Elle relève à juste titre que l’année 2016 pourrait être le début d’une nouvelle ère de la protection de l’enfant grâce à une meilleure articulation entre engagements internationaux et acteurs locaux.

Ces deux excellents rapports se complètent. Ils convergent sur un thème : les enfants en détention…

C’est une approche globale, couvrant toutes les situations, utilisant tous les instruments et mécanismes du droit international, du droit national, des organisations régionales, de la société civile, y compris de l’économie privée, des centres de recherche et de formation (civils et militaires), des formateurs d’opinion (médias, artistes), des dirigeants spirituels, des communautés locales qui doit être adoptée avec détermination.

De nombreux instruments du droit international, universels et régionaux, protègent les enfants contre la violence : droits de l’homme, droit international humanitaire, droits des réfugiés, droit pénal international, droit du travail. La mise en œuvre de ces normes et d’abord de la responsabilité des Etats, individuellement et collectivement.

C’est aussi le mandat d’organisations internationales humanitaires comme l’UNICEF, le Haut Commissariat pour les Réfugiés (HCR), l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), l’Organisation internationale du travail (OIT), le Haut Commissariat aux Droits de l’Homme, le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), sans oublier le Comité international de la Croix-Rouge (CICR). C’est aussi la responsabilité de la société civile : O.N.G. internationales et nationales, organisations religieuses, souvent actives dans la réhabilitation et la réinsertion, communautés locales, en soulignant le rôle essentiel des familles dans la prévention et la réinsertion des enfants victimes de la violence.

La réinsertion est aussi l’affaire des systèmes éducatifs et de l’économie privée pour leur donner une formation et une place de travail.

C’est enfin, le cas échéant, la tâche de celles et ceux qui vont leur prodiguer des soins physiques, psychologiques voire psychiatriques nécessaires.
Considérant la complexité de la tâche et la multitude d’acteurs impliqués, il est important d’avoir une vue d’ensemble et d’assigner les moyens nécessaires pour faire face à ses défis, qui ne sont pas seulement humanitaires mais aussi économiques et sécuritaires ( comme le montrent certains pays sortant de conflits, ces enfants soldats – s’ils ne sont pas réintégrés dans la société – rejoindront des groupes criminels voire terroristes).

Nous voudrions souligner la valeur de la justice réparatrice, et rappeler le rôle souvent irremplaçable d’organisations religieuses pour la réinsertion, l’éducation et la formation professionnelle.

L’Ordre de Malte en France pendant de nombreuses années a eu un projet éducatif pour des enfants détenus à Madagascar. De même l’Ordre de Malte a un programme en République démocratique du Congo avec Malteser International et agit depuis des années en faveur d’enfants syriens fuyant la violence déplacés dans leur propre pays ou réfugiés au Liban et en Turquie.

Une campagne mondiale (« Des enfants, pas des soldats ») a été lancée il y a exactement deux ans, le 7 mars 2014, à New York. Comme le relève une des Représentantes spéciales du Secrétaire général, cette campagne progresse. Nous espérons qu’elle recevra les ressources et les appuis politiques nécessaires à sa mise en œuvre.

La protection des enfants victimes de la violence et des conflits armés nécessite l’engagement complémentaire de la communauté internationale à New York avec le Conseil de sécurité et à Genève avec le Conseil des Droits de l’Homme, tout comme des organisations régionales et des communautés locales, sans oublier la société civile, l’économie privée, les systèmes éducatifs, les médias, les artistes sans oublier les dirigeants spirituels.

Michel Veuthey,
Observateur Permanent Adjoint
Mission Permanente d’Observation de l’Ordre Souverain de Malte auprès de l’Office des Nations Unies à Genève

 


Pour aller plus loin 

-> Voir cet extrait d’un article du « Guardian » (Londres), intitulé « Comment l’Etat Islamique transforme les enfants en tueurs en les endoctrinant dans la haine. Au moins 50 jeunes britanniques grandissent dans le « Califat » d’Isis, où les moyens d’éducation consistent à regarder des vidéos de meurtres « :

« Le but est de préparer une, nouvelle et plus forte, deuxième génération de moudjahidin, conditionnés et éduqués à être une ressource future pour le groupe, » ajoute le rapport. « Le champs le plus préoccupant est que l’Etat Islamique prépare son armée en endoctrinant les jeunes enfants dans ses écoles et les habitue à la violence les faisant assister à des exécutions publiques, en leur faisant regarder leur vidéos et en faisant jouer les enfants avec des armes factices. » L’accent mis sur la jeunesse présente des similitudes, selon le rapport, avec le recrutement forcé d’enfants soldats au Libéria dans les années 1990, lorsque Charles Taylor a pris le pouvoir en 1997 avec une armée rebelle constituée d’enfants. Les auteurs concluent qu’Isis semble aussi avoir étudié le régime nazi, qui a créé la jeunesse Hitlérienne, pour endoctriner les enfants. L’ONU a reçu des informations crédibles mais non vérifiées à propos d’une « aile jeunesse » d’Isis,  la Fityan al-Islam, ce qui signifie « les garçons de l’Islam ». Les auteurs soulignent également que le précédent régime baasiste en Irak, à la fin des années 1970, a créé le mouvement Futuwah avec les plus importantes unités irakiennes d’enfants soldats connues sous le nom Ashba Saddam, composées de garçons âgés 10 à 15 ans. « 

-> Le site de la Fondation Quilliam qui a publié un rapport sur Daesh 

-> Un article du Guardian : L’agonie sans fin des enfants soldats du Libéria 

-> Rapport annuel 2015 de la Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies pour le sort des enfants en temps de conflit armé, présenté le 8 mars 2016 à la 31e session du Conseil des Droits de l’Homme à Genève

-> Principes et engagements de Paris

-> Union Interparlementaire : Manuel sur la protection des enfants
« Combattre la violence contre les enfants », élaboré conjointement par l’UNICEF et l’UIP. Ce guide formule des recommandations et donne des exemples de bonnes pratiques destinés à aider les parlementaires à suivre les orientations de l’étude du Secrétaire général de l’ONU sur la violence contre les enfants parue récemment. Le Guide a été officiellement présenté le 2 mai 2007 lors de la 116ème Assemblée de l’UIP à Bali (Indonésie). A l’occasion du lancement, les parlementaires ont été encouragés à se servir du guide, à le faire connaître au sein de leurs parlements et à le faire traduire dans leurs langues nationales

-> Guide à l’usage des parlementaires sur la lutte contre la traite des enfants
Produit conjointement avec l’UNICEF, ce guide met l’accent sur les mesures concrètes que les parlementaires pourraient mettre en œuvre pour combattre le trafic des enfants. En donnant des exemples concrets des moyens employés pour créer des conditions propices à la protection de l’enfance et des réponses données par les parlementaires aux défis de cette protection, il devrait les inciter à passer à l’action.

-> Guide sur la protection de l’enfance
Produit conjointement avec l’UNICEF, ce guide couvre un large éventail de thèmes liés à la protection de l’enfance, notamment le trafic des enfants, les violences dont ils sont victimes, les mutilations sexuelles féminines, l’exploitation sexuelle des enfants, les enfants et la guerre, et la justice des mineurs. En donnant des exemples concrets des moyens employés pour créer des conditions propices à la protection de l’enfance et des réponses données par les parlementaires aux défis de cette protection, il devrait les inciter à passer à l’action.

-> Guide parlementaire : éradiquer les pires formes de travail des enfants
Ce guide offre une présentation très pédagogique de la complexité du sujet et de la Convention N° 182, qui constitue la pièce maîtresse de l’action internationale pour lutter contre les pires formes de travail des enfants. Il présente des exemples de bonne pratique et donne aux parlementaires un aperçu des dispositions qu’ils sont à même de prendre pour prévenir et éradiquer le fléau des diverses formes d’abus auxquels les jeunes travailleurs sont exposés. Il propose également des instruments modèles et des éléments de référence, outils qui devraient faciliter le travail des législateurs.

-> Guide parlementaire protection des réfugiés : Guide sur le droit international relatif aux réfugiés
Ce guide offre une présentation très complète et pédagogique du droit international relatif aux réfugiés et de son évolution en cours 50 ans après l’adoption de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés qui constitue la pièce maîtresse du régime international en la matière. Il donne un aperçu des multiples enjeux et de ce que les parlementaires sont à même de faire pour assurer la protection des réfugiés et des personnes déplacées. Il propose également des instruments modèles et des éléments de référence, outils qui devraient faciliter le travail des législateurs.

-> Guide parlementaire : respecter et faire respecter le droit international humanitaire
Ce guide – le premier de la série inaugurée en 1999 – offre une présentation très vivante et pédagogique du droit international humanitaire et un aperçu de ce que les parlementaires sont à même de faire pour oeuvrer à son respect. Il propose également des instruments modèles et des éléments de référence, outils qui devraient faciliter le travail des législateurs s’agissant de l’adhésion aux traités du droit international humanitaire et du travail de suivi.

-> UNICEF : Ressources en ligne pour la protection des enfants

-> Déclaration de M. A. Lake, Directeur général de l’UNICEF, le 1er mars après une visite en Syrie : « il y a plus de huit millions d’enfants victimes de la guerre en Syrie, six en Syrie et deux millions à l’étranger ».

-> Principes directeurs relatifs à la mise en oeuvre nationale d’un système complet de protection des enfants associés à des forces ou à des groupes armés (CICR)

-> Site sur lequel peuvent être téléchargés les documents de la 31e session du Conseil des Droits de l’Homme