Article paru sur le site de l’IRIN le 21/12/2017
S’il n’existe aucun moyen sûr de prédire d’où viendra la prochaine crise des réfugiés, la tendance actuelle en matière de gestion de l’immigration semble être à la méthode forte. Et ce qui est étonnant, c’est de voir à quel point les politiques migratoires en viennent à se ressembler malgré des contextes extrêmement variés.
Dans les pays industrialisés, les partis populistes de droite ont réussi à utiliser les migrants et les réfugiés comme boucs émissaires et à convaincre les électeurs que ces derniers devaient à tout prix être dissuadés de migrer. Dans les pays en développement, les migrants sont ainsi devenus une monnaie d’échange permettant aux pays d’origine et de transit d’obtenir un maximum d’aide au développement ainsi que diverses autres concessions de la part des pays plus riches.
L’évolution de la situation en 2017 dépendra dans une certaine mesure de l’efficacité des efforts déployés par les leaders de la société civile et les politiciens modérés pour lutter contre des politiques qui n’ont que peu d’effet si ce n’est de détourner les mouvements migratoires d’un pays à un autre.
La sous-traitance des politiques migratoires européennes
En dépit de ses défauts, l’accord de migration UE-Turquie servira de modèle pour la stratégie continue adoptée par l’Union européenne qui vise à externaliser ses problèmes en matière de migration. Au départ, l’objectif de l’accord était de donner un répit à l’UE pour lui permettre de développer des politiques plus durables, mais les États membres n’ont pas réussi à s’entendre. L’accord avec la Turquie sera ainsi consolidé, même si cela suppose de fermer les yeux sur les violations des droits de l’homme commises par le gouvernement du président Recep Tayyip Erdogan. L’Europe cherchera en outre à conclure des accords similaires avec des pays tiers afin de fermer la route de la Méditerranée centrale, qui est désormais la plus visible des routes de migration clandestine vers l’Europe.
En l’absence d’un gouvernement central fonctionnel en Libye, le principal point de départ des bateaux de passeurs, l’UE a dû regarder plus loin. Elle négocie actuellement des accords avec l’Éthiopie, le Mali, le Niger, le Nigeria et le Sénégal. Dans le sillage du cadre de partenariat avec les pays tiers, signé en juin de cette année, il est fort probable que l’UE tente de conclure davantage d’accords de coopération avec des pays africains d’origine et de transit en 2017.
« Nous avons adopté une approche tournée vers l’extérieur, car nous ne savons pas comment aborder le problème de l’intérieur », a dit Elizabeth Collett, directrice de Migration Policy Institute (MPI) Europe, à Bruxelles. « On s’intéresse davantage à la prévention et à la dissuasion qu’à la recherche de voies légales alternatives. Les élections nationales et les politiques internes risquent de nous empêcher d’explorer plus avant ces solutions de rechange. »
Le maintien des zones de rétention en Grèce et en Italie
Les accords conclus avec les pays tiers ne donneront probablement pas de résultats à court terme (on peut en fait se demander quel impact ils auront, même à long terme). Pour le moment, on cherche simplement à garder le plus longtemps possible en Grèce et en Italie les nouveaux arrivants qui continuent d’affluer. Les systèmes d’accueil des deux pays sont cependant très proches du point de rupture.
Alexander Betts, directeur du Centre d’études sur les réfugiés (Refugee Studies Centre, RSC) de l’Université d’Oxford, prédit qu’en 2017, l’UE fera pression pour une accélération du traitement des dossiers et des retours des demandeurs d’asile de la Grèce vers la Turquie et pour une intensification des patrouilles sur la mer Égée. Il a ajouté que le résultat du référendum en Italie et la démission du Premier ministre Matteo Renzi – « une voix modérée dans l’espace des réfugiés » – porteraient sans doute un coup dur aux politiques d’asile progressistes dans ce pays. Les élections anticipées qui auront sans doute lieu en juin 2017 pourraient en effet déboucher sur une victoire du Mouvement 5 étoiles, un parti anti-immigration.
L’effet Trump sur la politique d’immigration nationale
Il faudra du temps à Donald Trump pour donner suite à un certain nombre de ses promesses électorales en matière d’immigration. À ce stade-ci, il est difficile de savoir combien de ces promesses il cherchera réellement à concrétiser. Dans des interviews accordées récemment, il a dit que sa priorité absolue était de déporter les deux à trois millions d’immigrants ayant des antécédents criminels. Cela représente un recul par rapport à sa promesse de campagne, qui était de déporter les 11,3 millions de migrants sans papiers qui vivent aux États-Unis, même si ce chiffre est probablement exagéré, selon Doris Meissner, qui dirige le programme de politique d’immigration américaine du Migration Policy Institute (MPI).
« Nous estimons le nombre d’immigrants ayant des antécédents criminels à 820 000. Parmi eux, 300 000 peuvent être considérés comme de grands criminels. [Leur déportation] est déjà la priorité de l’administration actuelle », a dit Mme Meissner.
Depuis son élection, M. Trump n’a pas répété sa promesse d’abroger le décret promulgué par le président Barack Obama qui exempte de déportation les migrants mineurs arrivés aux États-Unis avant l’âge de 16 ans, un programme connu sous le nom de Deferred Action for Childhood Arrivals, ou DACA.
Mme Meissner a dit que la forte mobilisation de certains acteurs et groupes pour défendre le programme DACA avait surpris. Le programme bénéficie notamment du soutien de certains chefs d’entreprise, de l’armée et de Lindsey Graham, un important sénateur républicain qui parraine un projet de loi bipartisan (le « BRIDGE Act ») ayant pour but de protéger le statut des bénéficiaires du programme DACA.
Il y a aussi de fortes chances que la Californie et plusieurs grandes villes s’opposent à tout effort visant à intensifier les déportations en refusant de coopérer avec le gouvernement fédéral et en offrant une assistance juridique gratuite aux personnes qui tentent de lutter contre la déportation. « C’est une stratégie intelligente, car les tribunaux d’immigration sont déjà tellement débordés : l’augmentation du nombre de personnes qui se battent pour ne pas être déportées viendra créer un engorgement qui pourrait mettre le système à genoux », a dit Mme Meissner.
L’effet Trump sur les déplacements régionaux forcés
Sous l’administration Obama, les États-Unis se sont entendus avec le Mexique pour intercepter et déporter les ressortissants des pays du Triangle du Nord (Salvador, Honduras et Guatemala) fuyant la violence liée aux gangs avant qu’ils n’atteignent la frontière américaine et demandent l’asile. Il se peut que le gouvernement mexicain soit moins disposé à collaborer avec l’administration Trump à la suite des commentaires extrêmement offensifs qu’il a faits pendant la campagne au sujet des immigrants mexicains. Mme Meissner prédit cependant qu’il pourrait être dans l’intérêt du Mexique de continuer d’assurer une présence policière sur sa frontière sud. Les autorités mexicaines peuvent déporter les ressortissants des pays d’Amérique centrale, mais ils n’ont pas conclu d’accords de déportation avec les pays d’Afrique et d’Asie. Or les citoyens de ces pays sont de plus en plus nombreux à traverser l’Amérique du Sud et centrale pour atteindre les États-Unis. Le nombre d’Haïtiens, d’Africains et d’Asiatiques qui demandent l’asile à la frontière américaine continuera ainsi probablement d’augmenter en 2017.
La nomination de John Kelly au poste de secrétaire à la Sécurité intérieure aura aussi un impact sur les migrations vers la frontière américaine. M. Kelly, un général retraité qui vient tout juste de quitter son poste de chef du Commandement Sud, une division des forces armées américaines qui couvre l’Amérique centrale et du Sud, est au courant des facteurs de déplacement dans la région et de la nécessité d’agir sur ces facteurs tout en renforçant les mesures de coercition. Il s’est fait le champion de l’Alliance for Prosperity, un programme d’assistance à l’Amérique centrale d’une valeur de 750 millions de dollars. On s’attend ainsi à ce qu’il adoucisse certaines des positions extrêmes de M. Trump au sujet de l’immigration clandestine.
L’effet Trump sur les réfugiés
Ce sera sans doute sur le programme américain de réinstallation des réfugiés – qui est actuellement le plus vaste au monde – que l’effet Trump se fera d’abord sentir. Le président élu a en effet promis de suspendre les admissions de réfugiés issus de plusieurs pays à majorité musulmane, y compris la Syrie.
« Revoir à la baisse le programme de réinstallation des réfugiés est quelque chose que M. Trump pourrait faire très rapidement. Il pourrait aussi, s’il le souhaite vraiment, fermer des dossiers qui sont déjà en traitement », a dit Mme Meissner.
M. Trump pourrait aussi décider de réduire les sommes versées par les États-Unis au Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), dont le budget dépend actuellement à hauteur de 40 pour cent des contributions américaines. Il est par ailleurs peu probable qu’il fasse preuve du même leadership qu’Obama au moment de demander l’aide des autres nations et du secteur privé pour financer les opérations visant à répondre aux besoins des réfugiés.
Le HCR et les autres ONG internationales sous pression
La diminution des fonds accordés par les États-Unis (et même par l’UE, potentiellement, si les partis populistes remportent d’autres élections en 2017) pourrait entraîner une réduction du rôle joué par le HCR et d’autres grandes ONG internationales dans le régime international des réfugiés. Jeff Crisp, ancien chef du service d’évaluation et d’élaboration de la politique générale du HCR, prédit que cela pourrait ouvrir la voie à d’autres acteurs pour combler certaines des lacunes inévitables du soutien aux réfugiés, en particulier dans les secteurs privé et du développement et au sein de la société civile.
Selon M. Betts, du RSC, le HCR atteindra une croisée des chemins en 2017. Il devra développer une stratégie claire pour supporter le climat politique actuel, sans quoi il risque de perdre sa raison d’être. Les coupes dans le financement et les places de réinstallation ainsi que l’augmentation du nombre de pays faisant fi du droit international en matière de réfugiés placeront l’organisation dans « une situation difficile », a ajouté M. Betts.
« Pour le moment, le HCR s’est surtout attaché à réaffirmer les vieux principes et les vieilles valeurs. Ce qui m’inquiète, c’est que même si ce sont peut-être de bonnes valeurs en termes absolus, l’organisation risque d’avoir de la difficulté à s’en tenir à ces objectifs sans une stratégie politique claire. »
D’après M. Betts, l’arrivée de l’ancien chef du HCR Antonio Guterres au poste de Secrétaire général des Nations Unies, qui aura lieu en 2017, pourrait permettre d’attirer davantage l’attention sur les causes sous-jacentes du déplacement. M. Guterres pourrait également contribuer à mettre en place « un espace politique favorable » pour l’élaboration des pactes mondiaux sur les réfugiés et la migration que les États membres des Nations Unies se sont engagés à rédiger en septembre dernier.
L’augmentation du nombre de retours forcés
Le renforcement du contrôle des migrations en Europe, aux États-Unis et en Australie n’est pas passé inaperçu dans les pays en développement, où sont toujours accueillis la vaste majorité des réfugiés. Les coupes potentielles dans le financement du HCR et les flux continus de réfugiés provenant de l’Afghanistan, de l’Irak, du Soudan du Sud et de la Syrie viendront ajouter à la pression à laquelle sont déjà soumis les principaux pays hôtes, y compris le Kenya, l’Ouganda, le Pakistan et la Turquie.
En novembre, le Kenya a décidé de remettre à plus tard la fermeture du camp de réfugiés de Dadaab, qui accueille 261 000 réfugiés somaliens. La nouvelle date butoir a cependant été fixée à la fin mai. On parle de « rapatriements volontaires », mais il s’agit en réalité de retours forcés. Le retour en Somalie malgré l’insécurité qui y règne constitue donc une menace bien réelle à laquelle les résidents de Dadaab devront faire face en 2017.
Les réfugiés afghans au Pakistan bénéficient eux aussi d’un sursis temporaire. Le programme de rapatriement qui a donné lieu au retour forcé de plus d’un demi-million d’Afghans en 2016 a été suspendu jusqu’au 1er mars 2017. Le Pakistan exige cependant que tous les réfugiés afghans quittent le pays d’ici la fin du mois de mars, sans quoi il commencera à les déporter. L’Iran a aussi déporté de nombreux Afghans sans papiers au cours des derniers mois. Finalement, l’Europe prévoit d’intensifier les déportations des demandeurs d’asile afghans dont les demandes ont été déboutées l’an prochain.
Tuesday Reitano, de la Global Initiative against Transnational Organised Crime (Initiative mondiale contre le crime organisé transnational) croit que de nombreux rapatriés tenteront de migrer de nouveau pour échapper à l’aggravation de l’insécurité en Afghanistan.
« En général, les gens ne se sentent pas en sécurité et le désir de partir est fort. Il y a beaucoup d’argent à faire là-bas [pour les passeurs]. Je pense que nous n’avons pas été suffisamment attentifs à ce qui se passe là-bas. »
La prédominance de la perception sur les résultats
La tendance au durcissement des attitudes à l’égard des migrants et des réfugiés se poursuivra en 2017 dans de nombreuses régions du monde, mais il convient de rappeler que les gouvernements cherchent surtout à donner l’impression qu’ils sont réactifs et qu’ils prennent des mesures pour dissuader les migrants. Il est souvent plus important de créer cette perception au sein de l’électorat que d’obtenir des résultats concrets comme la diminution des statistiques d’immigration.
La promesse de M. Trump de construire « un très grand et très beau mur », qui l’a presque certainement aidé à remporter l’élection, est déjà considérée comme irréalisable et largement symbolique. Et l’UE continue de promettre à tout va que les accords qui seront conclus avec les pays tiers permettront de réduire le nombre d’arrivées.
« Le message transmis par toutes ces politiques prend le pas sur ce qui est réellement faisable », a dit Mme Collett, du MPI. « Ce fossé entre le message et les mesures véritablement mises en œuvre est quelque chose que nous verrons de plus en plus en 2017. »
Source URL: https://diplomatie-humanitaire.org/tendances-de-migration-a-surveiller-2017/
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