Succès diplomatique suisse à la Cour pénale internationale

Article paru sur le site du journal Le Temps le 07/12/2019 par Stéphane Bussard

Réunie dans la capitale néerlandaise, l’Assemblée des Etats parties au Statut de Rome a approuvé vendredi à l’unanimité un amendement proposé par la Suisse pour que la CPI soit compétente pour poursuivre comme crime de guerre le fait d’affamer délibérément des civils dans des conflits armés internes.

Un crime de guerre de plus que la Cour pénale internationale (CPI) peut poursuivre. Vendredi, la Suisse a réussi, en un an et demi, à faire adopter à l’unanimité par l’Assemblée des Etats parties au Statut de Rome réunie ces jours à La Haye un amendement reconnaissant qu’affamer des populations civiles lors d’un conflit armé interne ou empêcher l’accès de l’aide humanitaire constitue un crime de guerre dont la CPI peut se saisir.

Le crime de guerre consistant à affamer les populations civiles est déjà reconnu en droit international, notamment à travers le droit humanitaire et les Conventions de Genève ainsi que le droit coutumier. Mais cet amendement donne pour la première fois compétence à la CPI de s’en saisir dans le cadre de conflits internes, d’où son importance. La Cour pénale internationale peut se saisir des cas de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité, de crimes de génocide et de crimes d’agression. Le nouvel amendement sera utile pour permettre à la CPI d’enquêter sur ce qui se passe dans des pays comme le Yémen, le Soudan du Sud ou le Nigeria, relève Catriona Murdoch, consultante juridique auprès de l’organisation Global Rights Compliance.

CPI renforcée

Directrice de la Direction du droit international public au sein du Département fédéral des affaires étrangères, Corinne Cicéron Bühler ne boude pas son plaisir face à ce succès de la diplomatie helvétique. «Cet amendement va renforcer la compétence de la CPI, car jusqu’ici, il y avait une incohérence. Elle pouvait poursuivre des cas où des civils avaient été délibérément affamés dans le cadre de conflits internationaux, mais elle n’était pas habilitée à le faire dans les conflits armés internes» qui sont aujourd’hui la majorité des théâtres de guerre. Corinne Cicéron Bühler le souligne: «Ce résultat n’a été possible qu’avec le soutien de nombreux Etats parties avec lesquels nous avons discuté.» Parmi les 21 Etats cosponsors de l’amendement suisse figurent l’Argentine, l’Autriche, les Pays-Bas, la Belgique, la Grèce, l’Espagne, le Bénin ou encore le Nigeria.

L’histoire de l’amendement proposé par la Suisse remonte à avril 2018. Berne a émis la proposition à New York dans le cadre du groupe de travail des Etats parties pour réviser le Statut de Rome. L’initiative suisse était synchronisée avec la résolution 2417 présentée par les Pays-Bas et adoptée par le Conseil de sécurité pour interdire la famine comme arme de guerre et le refus d’accès de l’aide humanitaire. Les discussions ont commencé en 2018 et se sont achevées le 25 novembre dernier par un consensus du groupe de travail. A La Haye vendredi, l’objet n’a pas suscité de discussions.

Tradition humanitaire

L’engagement de la Confédération en faveur de la CPI n’est pas nouveau. La Suisse fut très impliquée dans les travaux préparatoires du Statut de Rome. Elle en fait toujours l’une de ses priorités: «La Suisse est dépositaire des Conventions de Genève, ajoute Corinne Cicéron Bühler. C’est dans notre tradition humanitaire de se mobiliser pour protéger les populations vulnérables et les civils. La lutte contre l’impunité est l’une de nos priorités.»

Ex-ambassadeur pour les crimes de guerre de l’administration de Barack Obama, Stephen Rapp était présent à La Haye. Il n’est pas étonné par l’unanimité. Il le déclare: «Pour les victimes de conflit faisant face à la famine provoquée par des belligérants, la décision des Etats parties est une énorme reconnaissance. C’est aussi une lueur d’espoir dans une ère assez sombre où la mise en œuvre du droit international et la lutte contre l’impunité sont des tâches compliquées.» Pour Stephen Rapp, l’initiative suisse est à saluer. «Il y a eu une poignée d’amendements en 2010, 2015 et 2017, mais ils sont très rares.»

Près de 500 millions de personnes dans le monde sont mal nourries et près de 80% des 155 millions d’enfants en insécurité alimentaire sur le globe résident dans des pays en proie à un conflit. La majorité des conflits armés actuels sont des guerres civiles à l’intérieur d’un pays.

Impact sur la prévention

Quand il sera ratifié par les 122 Etats parties qui le souhaitent, le nouvel amendement aura un impact important. Il va rendre beaucoup plus visible le problème de la famine comme arme de guerre dans des conflits internes. Il va pousser la CPI à agir et va servir les efforts de prévention. Les Etats seront incités à inclure dans leurs codes pénaux et leurs manuels militaires la notion de crime de guerre causé par la volonté délibérée d’affamer des civils. «Cet amendement offre aussi, conclut un expert du droit international, une perspective de justice aux victimes.»


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