Sommet humanitaire mondial – Un élan nouveau vers Istanbul et au delà

Le responsable des opérations humanitaires de l’ONU (OCHA), le Britannique Stephen O’Brien, et le nouveau Directeur du Secrétariat du Sommet humanitaire mondial, le Français Antoine Gérard, mettent les bouchées doubles pour la préparation du Sommet, qui doit se tenir les 23 et 24 mai à Istanbul.

Après une réunion d’information des Missions permanentes à Genève à mi-décembre, M. Stephen O’Brien est revenu à Genève le 19 janvier, était le soir même à Davos pour s’exprimer devant le Forum économique mondial (WEF), retournait à New York lundi 25 janvier pour informer les Missions permanentes à New York, sera du 27 au 30 janvier à Addis Abéba au Sommet de l’Union africaine, qui se réunit sous le thème « 2016 Année africaine des Droits de l’Homme » (2016 est en effet le 40e anniversaire de l’entrée en vigueur des deux Pactes des Droits de l’Homme), passera par Londres le 4 février pour une conférence co-organisée par le Royaume-Uni, le Koweït et la Norvège sur la crise syrienne (« Supporting Syria & the region »), et retournera à New York pour présenter le Rapport du Secrétaire général des Nations Unies le 9 février…

Le Sommet, qui devrait accueillir quelque 5.000 participants représentants Chefs d’Etat et de Gouvernement, Ministres, Chefs d’organisations humanitaires et hauts responsables d’ONG et de la société civile, apparaît maintenant avec plus de clarté, à la fois dans sa nécessité et dans le sérieux de son organisation (pour laquelle la Turquie déploie de grands efforts, à la fois par le Ministère des Affaires étrangères, le Ministère de la Coopération au Développement (TIKA) et le Bureau du Premier Ministre pour les secours en cas de catastrophes (AFAD) et le Croissant-Rouge Turc).

La nécessité de ce Sommet ressort de l’actualité et des appels lancés par responsables politiques et humanitaires face aux crises se multipliant et posant de défis qui demanderaient davantage de ressources et aussi une réflexion sur un meilleur usage des ressources existantes de l’aide humanitaire et du développement, et un accent sur les moyens locaux.

L’organisation des deux journées du Sommet dans le Centre des Congrès d’Istanbul (« Istanbul Congress Centre (ICC) »)  et le Centre d’expositions
(« Lutfi Kirdar Convention and Exhibition Center (LKCC) ») qui lui est adjacent devrait donner lieu à :

  • Une Plénière du Sommet (« Summit Announcement Plenary ») où Chefs d’Etat et d’organisations s’exprimeront
  • Des Tables Rondes à haut-niveau (« High-Level Roundtables »)
  • Des Evénements spéciaux (« Special Events ») sur des thèmes intéressants comme la protection, le respect du droit international humanitaire et aussi le rôle des acteurs humanitaire d’inspiration religieuse (« Faith-based organizations »)
  • Des Evénements parallèles (« Side-Events ») ouverts tant aux Gouvernements, organisations internationales, ONG, société civile, experts individuels
  • Une Exposition et une foire aux innovations (« Exhibition Fair and Innovation Marketplace »), qui devrait permettre, comme à Sendai en mars 2015, à l’économie privée, aux instituts de recherche et de formation de partager leurs projets et réalisations.

 

Certaines Délégations, dont celle de l’Union Européenne, ont fait savoir leur intention d’être présentes sur toutes ces plateformes.

Les inscriptions sont ouvertes sur le site du Sommet depuis lundi 25 janvier 

Le Rapport du Secrétaire général des Nations Unies devrait être publié fin janvier et présenté à New York le 9 février.

Les grandes lignes de ce Rapport, selon Stephen O’Brien, devraient mettre l’accent sur la nécessité de prendre en compte les conséquences sur l’humanité de toute décision (« placing humanity at the centre of global decision making »); ce n’est en effet pas seulement un impératif moral mais bien une nécessité stratégique (« This is not just a moral imperative but a strategic necessity to confront today’s global challenges »).

Le Secrétaire général fera référence aux trois piliers de l’ONU :

  • Paix et sécurité,
  • Développement durable,
  • Droits de l’Homme.

Le Rapport du Secrétaire général des Nations devrait reprendre les conclusions des réunions internationales suivantes :

Le Secrétaire général soulignera dans son rapport les cinq responsabilités essentielles que la communauté internationale devrait assumer :

  1. Conflits : les prévenir et y trouver des solutions pacifiques : la communauté internationale doit agir en amont, investir dans la stabilité,  et rechercher des solutions pour et avec les populations. En fait, il faut trouver des solutions pour réduire les besoins qui ne cessent d’augmenter auxquels le système humanitaire doit répondre : l’appel lancé le mois dernier mentionnait le chiffre de plus de 87 millions de personnes dans 37 pays en quête d’assistance humanitaire; il y a un an, ce chiffre était de 57 millions…
  2. Droit et principes d’humanité : le rapport du Secrétaire général réaffirmera la nécessité que tous respectent les normes qui sauvegardent notre humanité, y compris le droit international humanitaire, les Droits de l’Homme, le droit des réfugiés comme aussi les principes humanitaires…  Et de citer les images d’enfants affamés dans la ville syrienne assiégée de Madaya : le siège est une tactique barbare qui n’a plus sa place au 21e siècle… Toutes les personnes dans le besoin doivent avoir accès à l’assistance et à la protection humanitaire… Le Sommet humanitaire mondial sera un moment où les dirigeants de ce monde devront s’engager publiquement de respecter les règles qui protègent la personne humaine en temps de conflit armé : il faudra qu’ils prennent des mesures face à des violations et aussi pour s’assurer que les personnes qui ont besoin d’aide et de protection puissent en bénéficier.
  3. Agir en priorité en faveur des plus vulnérables : le Rapport du Secrétaire général rappellera que nous ne pouvons atteindre les Objectifs de l’Agenda 2030 sur le développement durable sans prendre en compte la nécessité de ne laisser personne sans aide (« leave no one behind »). Dans ce sens, il faudra prendre en compte les besoins des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays, les réfugiés, les migrants, les apatrides, les femmes, les jeunes filles, les enfants, les vieillards, les personnes handicapées… La crise des déplacements forcés a frappé l’opinion en Europe; mais presque la plupart des régions du monde sont affectées. Il faut donc aider davantage les pays et les communautés qui accueillent des réfugiés et des personnes déplacées. Une assistance à long terme, y compris des investissements sur l’infrastructure et les services, sont dans l’intérêt mutuel des communautés d’accueil et des personnes déplacées. Et nous devons aussi soutenir un retour volontaire, dans la dignité et la sécurité.
  4. Mettre l’accent sur les causes et non plus les effets (« move from delivering aid to ending needs ») pour faire face efficacement aux défis humanitaires et de développement d’aujourd’hui et de demain, prendre en compte les risques et les vulnérabilités, renforcer plutôt que de remplacer les structures locales et nationales, surmonter la division entre humanitaire et développement, ne plus travailler isolément (« We can no longer afford to work in silos »), investir dans des partenariats qui seraient davantage orientés sur une action locale, inclusive, adaptée au contexte.
  5. Investir dans l’humanité : le Secrétaire général des Nations Unies et M. Stephen O’Brien étaient aux Emirats Arabes Unis le 17 janvier 2016 pour présenter le Rapport du Groupe de haut niveau sur le financement humanitaire intitulé “Trop important pour échouer – Répondre au déficit de financement humanitaire”. Beaucoup des recommandations de ce Groupe se retrouveront dans le Rapport du Secrétaire général. Il s’agira ainsi non seulement de diversifier et d’optimiser le financement de l’humanitaire mais aussi le financement de la gestion des risques, de la prévention des conflits et de la consolidation de la paix. Le financement pourra prendre des formes différentes, y compris de contrats d’assurance… Investir dans l’humanité, soulignera le Secrétaire général, c’est d’abord investir dans les capacités locales.

Stephen O’Brien a conclu tant à Genève le 19 qu’à New York le 25 janvier en annonçant que le Secrétaire général des Nations Unies, en annexe à son Rapport, proposera un « Agenda pour l’humanité » (« Agenda for Humanity ») qui résumera la vision du Secrétaire général, fera une liste d’actions à entreprendre en relation avec les cinq responsabilités qui viennent d’être mentionnées et qui seront développées dans le Rapport. L’ »Agenda pour l’humanité » constituera le cadre dans lequel les Etats et d’autres acteurs pourront formuler une vision d’action, de changement et de responsabilité mutuelle au delà même du Sommet.

Les résultats du Sommet devraient en effet être repris dans un « Résumé de la Présidence » (« Chair’s Summary »), ainsi que dans une liste d’engagements pris par les participants (« Commitments to Action Document ») et finalement dans un autre Rapport du Secrétaire général qui sera présenté en vue de l’Assemblée générale des Nations Unies à New York cet automne.

Le Sommet d’Istanbul ne devrait ainsi qu’une étape sur la route d’un réexamen global de l’humanitaire, tant dans l’assistance que la protection de la vie et de la dignité des personnes affectées. Ce Sommet devrait aussi amener une meilleure prise en compte des relations entre humanitaire et sécurité, tant sur le plan local, national qu’international.

Pour en savoir plus …. 

Michel Veuthey,
Observateur Permanent Adjoint
Mission Permanente d’Observation de l’Ordre Souverain de Malte auprès de l’Office des Nations Unies à Genève
(28/01/2016)